CHAPITRE DXXIX.

Figure équestre de Henri IV.


Oh, que le bon roi est bien sur le Pont-Neuf ! Il a un front populaire ; il sourit aux passans ; il n’est point environné d’hommes à argent. Les oiseaux du ciel viennent se percher sur sa tête royale, & sa place n’a rien coûté.

Académiciens de province, qui avez demandé l’éloge du bon roi, brûlez vos programmes, fondez cette médaille que vous destiniez au phrasier, au rhéteur ; venez, & arrêtez-vous aux pieds de cette statue que l’amour a élevée au centre de la capitale ! Lisez dans tous les regards combien sa mémoire est adorée ; le recueillement de cet homme qui contemple & qui se tait ; cette mere empressée qui montre Henri IV à son jeune enfant ; cet infortuné qui leve les mains au ciel, & soupire en silence. Ce respect universel d’un peuple attendri devant ce bronze : que dis-je ! cet hommage non moins vif des étrangers, devenus citoyens en ce moment ; tout le monde d’accord pour le regretter & le bénir, comme s’il vivoit encore, comme si le fil de ses jours avoit pu s’étendre jusqu’à nous. Ah, que ce cri unanime est touchant, qu’il surpasse par son énergie tout ce que l’éloquence s’efforcera vainement d’exprimer !

Un officier, conduisant un détachement de soldats & passant devant cette statue vénérée, s’arrêta tout-à-coup & cria : haut les armes ! Saluons celui-ci, mes amis, il en vaut bien un autre.

On devroit faire de la petite esplanade qui environne cette statue, un jardin pour les enfans. S’il y a sur la terre un lieu contraire à l’enfance, c’est cette grande ville. Les enfans ne peuvent jouer sans risque dans la rue ni dans les carrefours ; & s’il y a des gazons devant la place du Louvre & ailleurs, on les repousse avec le fusil : on ne permet pas aux bonnes de s’y asseoir. À quoi sert ce gazon, s’il n’est pas pour l’enfance ? Ah ! monsieur d’Angeviller, je vous présente ici ma requête ; les enfans orneront vos gazons encore mieux que vos sentinelles.

J’aimerois à voir la statue du bon roi environnée de la génération qui vient de naître ; & les enfans, en conservant le souvenir de leurs premiers jeux, auroient appris de bonne heure à bénir sa mémoire & à redire ses vertus à la génération suivante.