CHAPITRE DV.

Le Landi.


Lorsque le papier n’étoit pas encore en usage, on se servoit de parchemin, & tous les ans on en vendoit pour toute l’année, à une foire franche, où le recteur de l’université alloit en procession. Les écoliers & les régens, seuls consommateurs du précieux parchemin, l’accompagnoient à cheval. Dès lors les écoliers n’ont point oublié la fête du landi. Elle arrive au commencement de l’été.

Les écoliers cotisant leurs bourses, dans l’âge où l’on n’a pas encore appris à calculer, courent chez tous les loueurs de chevaux. Malheur aux pauvres animaux efflanqués sur qui tombera le sort ! C’est leur jour de supplice.

L’écolier se leve avant l’aurore. Sorti des murailles de son college, il fait galoper le coursier boiteux. Un autre cheval, compagnon de misere, traîne avec peine le cabriolet chargé de disciples & du lourd professeur. Il adoucit sa voix sévere, cache sa férule, & une partie de son empire est perdue pour vingt-quatre heures.

Le jour, quoique long alors, ne l’est pas encore assez. L’imagination embrasse toutes les jouissances ; on voudroit les réaliser toutes à la fois. Le festin sera dressé sur l’herbe ; le vin que l’on boira ne sera plus gâté par l’eau surabondante ; la voix rauque des pédans n’osera plus tonner sur les aimables jeux. Les écoliers braveront dans une ardente liberté les regards des fâcheux pédagogues.

Il n’y a plus de maîtres ce jour-là. Quand le régent rit, tout doit rire dans l’univers. Y a-t-il une autre puissance sur terre ? Non : voici la royauté qui s’avance ; le hasard a conduit le monarque au milieu d’eux ; le monarque est leur camarade ; il a l’air riant ; ils se familiariseront avec le monarque[1] qui, dans ce jour privilégié, aura daigné se mêler à leurs jeux, à leurs courses, & mettre de côté sa grandeur, à l’exemple du recteur violet qui a fait treve avec la sienne.

L’écolier qui connoît peu la distinction des rangs, qui ne suit dans ces heures rapides que la voix du plaisir, pense que tout ce qu’il rencontre doit participer à sa vive alégresse. Il n’immolera pas une minute de ses plaisirs ; toutes sont comptées. Il s’est enivré trois mois d’avance de l’attente de ce jour unique. Il a secoué la poussiere des bancs, franchi la grille ; il faut que rien ne reste du banquet servi sur le frais gazon. On dévore & l’on court ; on court & l’on dévore : voilà les fonctions de ce jour fortuné.

On voit à regret le soleil qui déjà penche vers son déclin. Alors on précipite les jeux ; l’écolier redouble d’activité ; il tourmente de nouveau le coursier qui ne prend pas part à la fête. Hélas ! quand il reviendra le soir, il attestera tout poudreux, les jambes roides & immobiles, qu’il a acquitté avec usure le prix de son louage. Le maître a exigé le double, & sans injustice. L’animal fatigué, tout pensif, semble craindre qu’une pareille fête se renouvelle.

C’est le lendemain, jour nébuleux quand il feroit le plus beau soleil, que l’étude paroîtra triste & pesante, que la voix des professeurs deviendra plus haïssable, & que le rudiment semblera le plus détestable de tous les livres.

  1. Louis XVI rencontrant des écoliers un jour de landi, se mit à jouer avec eux aux barres ; & les ayant invités ensuite à goûter, ils refuserent, leur goûter étant plus proche que le goûter royal, & l’appétit l’emportant sur l’honneur.