CHAPITRE CCCXXXI.

Des Dimanches & Fêtes.


Il n’y a plus que les ouvriers qui connoissent les fêtes & dimanches. La Courtille, les Percherons, la Nouvelle-France se remplissent ces jours-là de buveurs. Le peuple y va chercher des boissons à meilleur marché que dans la ville. Plusieurs désordres en résultent ; mais le peuple s’égaie, ou plutôt s’étourdit sur son sort ; & ordinairement l’ouvrier fait le lundi, c’est-à-dire, s’enivre encore pour peu qu’il soit en train.

Le bourgeois qui a besoin d’économie, ne sort pas des barrieres. Il va se promener assez ennuyeusement aux Thuileries, au Luxembourg, à l’Arsenal, aux Boulevards. Si dans ces promenades il y a une seule robe retroussée, pariez que c’est une femme de province qui la porte.

Le peuple va encore à la messe, mais il commence à se passer des vêpres, que le beau monde appelle l’opéra des gueux. Il faut qu’il reste debout dans les églises, ou qu’il paie une chaise. Cela est très-mal vu ; on lui demandera six sols pour entendre un sermon assis. Les temples sont donc déserts, excepté dans les grandes solemnités, où les cérémonies le rappellent. Quoi, de l’argent encore pour entendre l’office divin !

Pendant l’octave de la Fête-Dieu, il y a toujours beaucoup d’affluence au salut & à l’exposition du Saint-Sacrement : il est vrai que c’est pour la petite bourgeoise un prétexte de sortir & de se promener à la tombée du jour, dans une belle saison. Les jeunes filles sur-tout sont fort dévotes au salut & à la bénédiction du soir ; en général le dimanche est précieux pour elles. L’amour fait son profit des vacances ordonnées par l’église.

Le magnifique jardin des Thuileries est abandonné aujourd’hui, pour les allées des Champs-Élisées. On admire les belles proportions & le dessin des Thuileries ; mais aux Champs-Élisées, tous les âges & tous les états sont rassemblés : le champêtre du lieu, les maisons ornées de terrasses, les cafés, un terrein plus vaste & moins symmétrique, tout invite à s’y rendre.

Il est singulier que, dans les états catholiques, le dimanche soit presque par-tout un jour de désordres. On a supprimé enfin à Paris quatorze jours de fêtes par an ; on s’est arrêté en beau chemin ; il en reste encore trop ; autant d’enlevé du moins à l’ivrognerie à la débauche crapuleuse.

Un savetier voyant un jeudi, au coin d’une borne, un sergent ivre qu’on tâchoit de relever & qui retomboit lourdement sur la pierre, quitta son tire-pied, se posta devant l’homme chancelant, & après l’avoir contemplé, dit en soupirant : voilà cependant l’état où je serai dimanche !

Ce trait qui ne doit pas être dédaigné du philosophe, appartient, à ce qu’il me semble, à la connoissance du peuple, & même à celle du cœur humain ; car il est très-applicable à la logique des passions.

Au reste, les dimanches & fêtes s’annoncent par la fermeture des boutiques. On voit sortir de bonne heure les petits bourgeois tout endimanchés, qui se hâtent d’aller à la grand’-messe pour avoir le reste du jour à eux. Ils arrangent un dîner à Passy, à Auteuil, à Vincennes, ou au bois de Boulogne.

Les gens du bon ton ne sortent pas ces jours-là, fuient les promenades, les spectacles, & les abandonnent au peuple. Les spectacles donnent ce qu’ils ont de plus usé ; les acteurs médiocres s’emparent de la scene : tout cela est bon pour des parterres moins difficiles, & pour qui les pieces les plus anciennes sont toujours des pieces nouvelles. Les acteurs chargent ces jours-là plus que de coutume, & obtiennent d® grands applaudissemens.

Les bourgeois aisés sont partis dès la veille pour leur petite maison de campagne, voisine de la barriere. Ils y ont mené leur femme, leur grande fille & leur garçon de boutique, quand on est content de lui, ou quand il a su plaire à madame.

On a porté la veille, dans un fiacre bien plein, toute la provision, & un pâté de Le Sage. C’est le jour des gaudrioles. Le pere fera des contes, la mere rira aux larmes ; la grande fille s’émancipera un peu, & se tiendra moins droite ; le garçon de boutique, qui aura acheté des bas de soie blancs & des boucles toutes neuves, honoré du titre de joli garçon, fera des gentillesses & déploiera tous les moyens de plaire, attendu qu’il aspire de loin à la main de mademoiselle ; car elle aura bien en dot dix à douze mille francs, malgré ses deux petits freres qui sont en pension, & qui ne participent pas encore aux jouissances de la maison de campagne, jusqu’à ce qu’ils aient remporté un prix au college. Il ne faut pas les distraire du soin de devenir un jour de grands hommes, lorsqu’ils sauront la langue latine : c’est ce que croient pieusement le pere, la mere & toute la maison.