CHAPITRE CCLXXVIII.

Sentence de mort.


Quelle voix sinistre & retentissante, emplissant les rues & les carrefours, se fait entendre jusqu’au sommet des maisons, & crie qu’un homme plein de jeunesse va périr, égorgé de sang-froid par un autre homme, au nom de la société ? Le colporteur, en courant & hurlant, vend la sentence encore humide ; on l’achete pour savoir le nom du coupable, & apprendre quel est son crime : on a bientôt oublié l’un & l’autre. C’est une condamnation subite qui vient épouvanter les esprits au moment où l’on ne s’y attendoit pas.

La populace quitte les atteliers & les boutiques, & s’attroupe autour de l’échafaud, pour examiner de quelle maniere le patient accomplira le grand acte de mourir en public au milieu des tourmens.

Le philosophe qui, du fond de son asyle, entend crier la sentence, gémit ; & se remettant à son bureau, le cœur gonflé, l’œil attendri, il écrit sur les loix pénales & sur ce qui nécessite le supplice ; il examine si le gouvernement, la loi n’ont rien à se reprocher ; & tandis qu’il plaide la cause de l’humanité dans son cabinet solitaire, & qu’il songe à remporter le prix de Berne, le bourreau frappe avec une large barre de fer, écrase le malheureux sous onze coups, le replie sur une roue, non la face tournée vers le ciel, comme le dit l’arrêt, mais horriblement pendante ; les os brisés traversent les chairs. Les cheveux hérissés par la douleur, distillent une sueur sanglante. Le patient, dans ce long supplice, demande tour-à-tour de l’eau & la mort. Le peuple regarde au cadran de l’Hôtel-de-ville, & compte les heures qui sonnent ; il frémit consterné, contemple & se tait.

Mais le lendemain un autre criminel fait relever l’échafaud, & le spectacle affreux de la veille n’a point empêché un nouveau forfait. La populace revient contempler le même spectacle ; le bourreau lave ses mains sanglantes, & va se confondre dans la foule des citoyens.

L’assassin meurt ; & l’homme qui a fait éprouver à une armée entiere les horreurs de la famine, qui a été plus terrible aux soldats de la patrie, que le fer & le feu de l’ennemi ; qui a fait disparoître des voitures de farines, & peuplé les hôpitaux ; cet homme vient bâtir un palais devant l’effigie du monarque qu’il a trompé & volé ! Il devroit y entendre le murmure de l’état, les cris plaintifs des soldats qu’il a fait mourir d’inanition : il devroit se réveiller, agité par la frayeur, & voir des spectres menaçans errer autour de lui. Cependant il dort avec sécurité ; des registres signés par des hommes de loi, vendus à ses rapines, ont légitimé ses vols. À l’aide de calculs faux, il paroît innocent : son vil & infame métier l’accrédite pour ainsi dire, & lui donne un rang parmi cette race affamée d’or. Dans ses momens de bonne humeur, il raconte jusqu’à ses exploits meurtriers, & comment, mettant le feu lui-même à des magasins, il a revendu à l’état ce qui lui avoit été payé. Incendiaire & assassin en Allemagne, il en plaisante à Paris.

Et le millionnaire qui médite, invente des plans extendeurs d’impositions ingénieuses & calculées sur la partie indigente du peuple, lorsqu’il a bien dîné, calcule ce qui doit lui revenir de tel forfait politique, au moment où il est travaillé d’une digestion laborieuse.

Je ne lui pardonnerai jamais ; je le citerai incessamment au tribunal de l’humanité ; je pardonnerai plutôt au malheureux qui, n’ayant qu’un pistolet & du courage, m’attaquera au détour d’une rue, pour m’ôter le signe représentatif des alimens dont il a besoin.

Oui, l’homme qui m’assassineroit, me paroîtroit moins odieux que tous ces oppresseurs de la patrie. Je lui pardonne d’avance si ce malheur doit m’arriver ; partie offensée, je lui rends mon affection, je le justifie même, & je garde le sentiment de la haine pour l’être monstrueux qui égorge dans le sein du luxe & des richesses, & le sentiment du mépris pour des loix qui n’ont pas la force d’arrêter ou de punir ces détestables attentats.