CHAPITRE CCLIII.

Les Vapeurs.

La mollesse est douce & sa suite est cruelle.

Ce vers de Voltaire est d’un physicien. En effet, la mollesse du corps indique l’inaction de l’ame. Toutes les parties de notre corps tombent dans un relâchement qui enleve aux fibres l’élasticité nécessaire pour que les sécrétions se fassent avec régularité.

De là les vapeurs qui naissent de ce défaut d’occupation qui a détérioré les facultés de l’ame. L’imagination est d’autant plus active, qu’elle regne sur des organes délicats, qui incessamment flattés, ont perdu leur ressort, & se sont affaissés dans une langueur qui soumet les nerfs aux plus terribles convulsions, parce que, détendus par trop de jouissances, ils se replient & agissent sur eux-mêmes.

C’est l’imagination qui ouvre le champ de la douleur, parce que cette puissance, quand elle n’a pas un objet qui la captive, a le don de métamorphoser en maux tout ce qui l’environne. L’oisiveté favorise les passions trop sensuelles ; & celles-ci sont si tôt épuisées, que le principe de sensibilité qui survit ne sait plus où se prendre & s’attacher.

Ce principe fatigue, devient un tourment. Il n’y a plus de voluptés pour l’être misérable qui se sent exister, & qui voudroit des plaisirs à l’infini ; tandis que ses organes sont oblitérés, & que les nerfs ne peuvent plus transmettre les sensations dont ils sont les véhicules.

Terrible état ! c’est le supplice de toutes les ames efféminées, que l’inaction a précipitées dans des voluptés dangereuses, & qui, pour se dérober aux travaux imposés par la nature, ont embrassé tous les fantômes de l’opinion.

Nos docteurs accoutumés à tâter le pouls à nos jolies femmes, ne connoissent plus que les vapeurs & les maux de nerfs. Quand un fort de la halle est malade, ils disent qu’il a des vapeurs, & ils le mettent au bouillon de poulet & à l’eau de tilleul.

Une jolie femme qui a des vapeurs, ne fait plus autre chose que de se traîner de sa baignoire à sa toilette, & de sa toilette à son ottomane ; suivre dans un char commode une file ennuyeuse d’autres chars, cela s’appelle se promener ; elle ne prend point d’autre exercice. Celui-ci est même réputé trop violent, & elle n’en use que deux fois le mois.

Ainsi les riches sont punis du déplorable emploi de leur fortune. En voyant d’un œil sec la misere d’autrui, ils n’en sont pas plus heureux ; & ne sachant point tirer un parti réel & avantageux de leur opulence, ils sont maudits, sans faire un pas de plus vers le bonheur.