CHAPITRE CCXII.

Battemens de mains.


Langue & monnoie universelles des Parisiens ; ils ne s’expliquent point autrement ; ils claquent pour la reine & pour les princes quand ils paroissent dans leurs loges, & qu’ils ont fait la gracieuse révérence ; ils claquent quand l’acteur paroît sur la scene, & tout aussi fort ; ils claquent pour un beau vers ; ils claquent ironiquement, quand la piece les ennuie ou les impatiente ; ils claquent, quand ils demandent impérieusement l’auteur ; ils claquent pour Gluck & font plus de bruit que tous les instrumens de l’orchestre, que l’on n’entend plus. Ils claquent dans un jardin public au retour d’un héros ; ils claquent dans la chapelle de l’académie françoise, lors d’un panégyrique, ou même d’une oraison funebre : nouveauté fort étrange, & qui pourroit soumettre bientôt les prédicateurs évangéliques au joug de l’approbation & de l’improbation. Ils claquent les vers & la prose dans toutes les séances académiques ou assemblées littéraires. Quelquefois ces battemens de mains vont jusqu’à la frénésie ; on y a joint depuis quelque tems les mots de bravo, bravissimo. On bat aussi des pieds & de la canne ; tintamarre affreux, étourdissant, & qui choque cruellement l’ame raisonnable & sensible qui quelquefois même en est l’objet. Cette manie bruyante avilit beaucoup les jugemens de nos parterres, & en général le prononcé du public, dans nos salles de spectacles.

On avoit conseillé à un auteur perpétuellement sifflé, de faire construire une machine qui imiteroit les claquemens de trois à quatre cents mains, & de la confier dans un coin du spectacle à un ami fidele & sûr. Il n’avoit qu’à acheter des billets, comme certains confreres ; c’eût été la même chose.

Jusqu’à quand le Parisien abusera-t-il de la faculté de claquer, interrompra-t-il avec étourderie un couplet éloquent, en détruira-t-il tout l’effet en le coupant avec une folle impatience ? Cette précipitation tumultueuse nuit à l’acteur & au poëte ; on ne les laisse point achever, & l’illusion, au milieu de ce bruit insensé, s’enfuit à tire-d’aile. Pourquoi tant babiller avec les mains, & plus qu’aucun peuple de la terre n’a babillé avec la langue ?

Mais quel est l’applaudissement qui doit flatter le grand poëte & le grand acteur ? C’est lorsqu’un sombre & profond silence regne dans la salle, lorsque le spectateur, le cœur brisé & l’œil baigné de larmes, n’a ni la pensée ni la force de se livrer à des battemens de mains, que, plongé dans l’illusion victorieuse, il oublie le comédien & l’art ; tout se réalise autour de lui ; un trait ineffaçable descend dans son ame, & le prestige l’environnera long-tems.