CHAPITRE CLXXVI.

De la Mode.


Il ne faut que les fesses d’un singe pour faire courir tout Paris. Cela est vrai à la lettre. Figurez-vous une infinité de ministres, dont le regne ne s’étendroit pas au-delà d’un jour, & qui chaque matin changeroient à leur lever les habillemens, les usages, les esprits, les mœurs & même les caracteres de tout un peuple. Figurez-vous les femmes austeres, tristes & prudes, se relevant le lendemain coquettes, douces & faciles ; les principes de la veille absolument effacés ; les opinions contraires se succédant d’un instant à l’autre. Tel est aux yeux du philosophe le spectacle de la mode.

Cent ans ne sont pour lui qu’un jour ; & il trouve la race humaine aussi singuliere de changer d’avis deux fois dans un siecle, que s’il voyoit un particulier démentir son assertion une heure après l’avoir exposée.

La rotation perpétuelle du cercle des événemens lui donne une légere teinture de l’instabilité des idées humaines ; & considérant les variations infinies de l’espece, il pardonne au ridicule régnant, qui bientôt va être remplacé par un ridicule tout contraire.

Quand une opinion a été amenée par la mode, rien ne la déracine qu’une nouvelle invasion de la folie. L’autorité, la sagesse sont impuissantes contre la déraison universelle. Les sots sont les ministres de la mode ; ils la respectent, ils regardent ses jeux comme des loix essentielles.

Le sage peut très-bien s’exempter d’adopter les modes nouvelles ; mais il ne faut pas aussi qu’il les contrarie à dessein formé : il lui est très-permis d’avoir un maintien grave, mais non ridicule ; l’affectation en tout est un défaut. Quand, sous Henri II, on portoit à Paris un gros derriere postiche, il n’étoit permis alors aux personnes qui se piquoient de philosophie, que d’en porter un médiocre.

La mode d’être désintéressé ne viendra point, dit Fontenelle.

Les bilboquets, les dragées, les devises, les calottes, les pantins, les magots ont eu leur regne, ainsi que les concetti, les énigmes & le burlesque : puis est venu Vadé, avec son style poissard, & nous avons parlé le langage des halles. Les calembours, les charades ont eu leur tour ; enfin Jeannot s’est vu placé sur nos cheminées en regard avec Préville, qui ne vaut plus rien. Qui succédera à ces grands noms ? Toute la sagacité du génie ne sauroit le deviner. Les économistes ne sont plus, hélas ! Je les ai vu naître, ergoter, briller, nous affamer & disparoître.

On a eu quelqu’envie de s’agiter pour la quadrature du cercle. On parle beaucoup de chymie : la mode aujourd’hui est d’étudier en cucurbite, de parler de l’esprit recteur, de savoir ce que c’est que le gaz silvestre & le fluor. Quoique Buffon soit meilleur naturaliste que Moyse, on a traité ses Époques de la nature comme un ingénieux roman. Les encyclopédistes ont perdu de leur crédit, parce qu’ils ont voulu décider trop impérieusement les réputations littéraires, & que des coqs-d’inde se sont mêlés parmi des aigles.

Il est plus difficile à Paris, de fixer l’admiration publique que de la faire naître ; on brise impitoyablement l’idole qu’on encensoit la veille ; & dès qu’on s’apperçoit qu’un homme ou qu’un parti veut dogmatiser, on rit ; & voilà soudain l’homme culbuté & le parti dissous.