CHAPITRE CLXI.

Les Lorgneurs.


Paris est plein de ces lorgneurs impitoyables, qui se plantent devant vous, & fixent sur votre personne des yeux immobiles & assurés : cette coutume ne passe plus pour indécente, à force d’être commune. Les femmes ne s’en offensent pas, pourvu que cela arrive aux spectacles & aux promenades ; mais si l’on s’avisoit de les regarder ainsi dans un cercle, le lorgneur seroit taxé d’insolence, & traité comme un impoli.

Il ne faut pas confondre ces lorgneurs avec les physionomistes, qui trouvent à exercer leur sagacité au milieu d’une foule aussi immense, & qui à la longue acquierent un certain tact. Ils observent toute l’habitude du corps encore plus que la physionomie.

Un peintre, un poëte sont nés physionomistes. Voilà pourquoi ils se plaisent où est la multitude. Voyez au sallon cette foule de portraits ; ils assigneront le caractere d’après la figure. Il ne faut pas nier la révélation de la physionomie ; elle ne trompe guere : la probité donne un air ouvert ; le front d’un sot est reconnoissable entre mille. Celui qui à l’air vil ou méchant, justifie presque toujours son visage. Les vieillards, dont l’ame est glacée, n’ont plus de physionomie ; le sentiment est éteint chez eux ; l’empreinte de l’ame l’est aussi. Latour, peintre célebre, dont les portraits ont une vérité frappante, disoit : ils croient que je ne saisis que les traits de leur visage, mais je descends au fond d’eux-mêmes à leur insu, & je les remporte tout entiers.

Une femme d’esprit, apprenant qu’un certain homme alloit se faire peindre, dit : il est bien hardi ce coquin-là ; il osera regarder en face un homme qui tient le pinceau ! Si je pouvois nommer le personnage, on verroit combien le mot a de justesse ; mais j’abhorre trop la satire, & ne veux tracer que des peintures générales.