CHAPITRE CLVIII.

Indépendans. Contempteurs.


Les indépendans sont des jeunes gens qui affectent de rompre en visiere aux regles établies : ils ne s’habillent point ; ils vont à la campagne l’hiver, battent les remparts, fuient l’opéra & les autres spectacles ; peuplent les tréteaux, laissent là les femmes de qualité ; font le contraire des autres, se moquent de tout, & finirent par se lasser de leur rôle, & par revenir à la société.

Il y a ensuite les contempteurs du genre humain ; mais ceux-ci sont en petit nombre à Paris, parce qu’on y aime trop la vie libre & agréable pour les écouter long-tems.

Ces contempteurs vraiment curieux (& toujours dans la classe des jeunes gens) ont décidé qu’ils étoient supérieurs à tout ce qui existoit ; qu’eux seuls avoient cette pénétration exquise, extraordinaire, qui découvre ce qui échappe à tous les yeux : ils croient vous faire grace quand ils vous parlent ; ils n’écoutent que la moitié de ce qu’on leur dit ; ils méprisent tout ce qui sort des presses. Ils ont le tact si fin, le goût si exquis, l’esprit si pénétrant, qu’aucun homme, aucun livre ne les contentent ; ils regardent comme détestable ce que les autres regardent comme merveilleux : mais ils ont soin de ne point compromettre leur prétention au plus haut degré du génie, en gardant le silence prudent de feu Conrat, dont parle Boileau.

Quelquefois cet orgueil en impose par sa hauteur & par son jargon ; car ils ne se familiarisent pas, de peur de se laisser voir tout entiers. Ces jeunes gens ne veulent jouer que le rôle d’hommes supérieurs, & le plus souvent ils n’ont, tout bien considéré, que de l’esprit & de la politique.