CHAPITRE CXXXIV.

Catéchisme.


Je ne sais si les sages-femmes de Paris moulent & pétrissent toujours la tête molle & délicate des enfans qui viennent au monde ; si le doigt de ces matrones inhumaines, par ces pressions barbares & réitérées, détruit encore l’organisation primitive de la nature & le siege de l’entendement ; enfin, si pour imprimer une forme ronde à une tête humaine, ces femmes ignorantes la modifient éternellement pour l’imbécillité ou l’idiotisme : mais je sais bien que l’inintelligible catéchisme de Paris est toujours le premier livre qu’on fait apprendre par cœur aux enfans. Ils se remplissent la mémoire de ces mots sans idée, & se forment à parler le reste de leurs jours sans avoir la conscience de ce qu’ils disent.

Des catéchismes ! Mais point de traité élémentaire, de morale, qui explique & prouve les devoirs de l’homme & du citoyen : rien sur les principes du droit naturel à la portée de l’adolescent : aucun livre, enfin, clair, méthodique, applicable aux écoles, écrit d’un style simple, afin qu’il puisse être lu & retenu dans le cours de l’éducation domestique.

C’est un clerc qui fait lui-même le catéchisme d’un côté aux garçons, & de l’autre aux filles, & qui n’y comprend rien lui-même, ainsi que ses jeunes auditeurs. Comment abuse-t-on à ce point de la premiere aurore de l’intelligence humaine ? N’est-ce pas la condamner à ne plus voir tous les objets que dans une ombre impénétrable & mystérieuse.

Il est assez plaisant de voir un jeune clerc faisant le catéchisme à des filles de quinze à dix-sept ans, qui viennent de faire leur premiere communion. Il est seul au milieu de cinquante jeunes beautés dont les regards l’assiegent ; il paroît niais & embarrassé ; voyez-le qui rougit plus d’une fois devant celle qu’il catéchise ; elles jouissent un peu malignement de son embarras. Les filles répondent avec plus de hardiesse qu’il n’interroge ; on diroit qu’il apperçoit le ridicule de la théologie dans ces bouches de roses ; qu’il devine bien que d’autres mysteres vont bientôt les occuper. Pour elles, comme au-dessus de toutes ces arides questions, elles prononcent d’une maniere aisée, gracieuse & même folâtre, l’arrêt des dogmes les plus terribles & les plus effrayans. Les mots de purgatoire, d’enfer & d’éternité perdent leur accent sévere : il n’y a plus de physionomie de démon sur les levres de ces anges ; & malgré les menaces redoutables du catéchiste, elles semblent mieux instruites, promettre & annoncer par-tout grace & paradis.