CHAPITRE CXXXII.

Quêteuses.


Le sévere pasteur d’une église use souvent d’une ingénieuse piété pour mieux exciter la générosité des fideles. Il a prêché le matin contre la parure, il a appellé scandale effroyable, tous les ornemens légers qui ajoutent à la beauté. Le soir, il attend d’une aimable quêteuse qu’il a invitée, de sa taille élégante & de son joli minois, la récolte d’aumônes plus abondantes.

Elle est parée ; son sein est découvert, un gros bouquet l’accompagne sans le cacher ; elle est à la porte d’une église ou d’une prison, sollicitant avec un gracieux sourire la compassion de chaque personne qui entre ; elle fait une douce violence aux rebelles ; elle les arrête ; un son de voix intéressant, de belles dents, & l’éloquence irrésistible d’un bras nu & de deux beaux yeux supplians… Que ne prodigue-t-on pas en faveur des pauvres !

À chaque offrande, quelque mince qu’elle soit, elle vous paie d’une révérence particuliere & faite avec grace. La beauté vous salue, sa bouche vous remercie, & votre charité est récompensée avant même que le ciel vous en tienne compte.

Bientôt elle traverse la nef, précédée d’un Suisse qui fait résonner la hallebarde. Plus la nef est remplie, plus son zele augmente. Le plus joli homme de sa connoissance lui donne la main ; elle se penche charitablement à droite & à gauche, & étend un bras d’albâtre pour atteindre à la main lente & paresseuse qui voudroit retenir l’aumône.

L’avare s’attendrit ; l’œil des assistans le détourne de l’autel pour dévorer ses charmes ; quand elle présente sa bourse ouverte, elle semble quêter des cœurs. Le plus insensible met encore quelque chose dans sa bourse ; le prêtre qui la suit, semble jouir de son triomphe : on ne lui laisse que la place qu’il faut ; car la foule empressée des fideles la presse & l’environne. Embellie par ces saintes fatigues, en bute à tous les regards, si elle a remarqué qu’on louoit sa taille avantageuse & bien prise, si elle a eu un moment de vanité, l’église lui pardonnera sans doute ce petit mouvement d’orgueil, sur-tout lorsque, rentrant au presbytere, elle aura étalé une bourse bien pleine & que ses charmes ont conquise.

La collation commence ; elle est servie par les amis du curé ; elle reçoit les félicitations des grosses perruques de la fabrique. Un cortege de prêtres & de clercs tonsurés vient à la file & aventurent la galanterie ; le maître des convois a déridé son front ténébreux, & tourne gauchement un madrigal : mais il veut plaire ; le vin coule, les gâteaux sucrés se mangent, & l’on se permet enfin quelques paroles un peu mondaines, en comptant l’argent des charitables mondains.