CHAPITRE CXXIV.

Nouvel Incendie.


Le 8 juin 1781, un embrasement subit détruisit en quelques heures la salle de l’opéra, commode & magnifique malgré ses défauts. Une corde de l’avant-scene s’alluma dans un lampion, mit le feu à la toile, la toile embrasa les décorations, & les décorations porterent l’incendie dans le pourtour des loges. Tout le théatre fut consumé. Un seau d’eau auroit arrêté l’incendie dans son origine. La salle ne manquoit pas de pompes ni d’un réservoir spacieux en cas de danger ; mais le réservoir étoit à sec. Des débats parmi les administrateurs avoient fait négliger les précautions les plus indispensables. Quatorze personnes ont été réduites en charbon. L’art des pompiers n’a pu sauver que la façade sur la rue Saint-Honoré.

Il étoit tout à la fois horrible & curieux de voir la flamme large & pyramidale, qui s’élançoit du ceintre, successivement nuancée de toutes les couleurs, effet de la combustion des toiles peintes à l’huile, de la dorure des loges, & de l’inflammation d’esprit-de vin.

Le 25 octobre de la même année, une salle d’opéra provisoire, bâtie dans cet intervalle, vaste & solide, s’ouvrit sur le Boulevard, avec tout son spectacle & ses dépendances. Imaginez un hôpital réduit en cendres. Il faudra quatre années au moins pour s’arranger sur les nouveaux plans.

L’opéra, dit-on, ne sauroit souffrir d’interruption. Il emploie à son service un grand nombre de sujets. Les chanteurs, les danseurs, les symphonistes, les décorateurs, les peintres, les tailleurs, les garçons de théatre : c’est un peuple. Il offre au commerce des débouchés nombreux, par la variété & la richesse des costumes. Il faut des magasins toujours remplis, pour fournir aux étoffes, aux soieries, à la gaze, aux rubans. Ses représentations intéressent tous les arts d’agrément. Cette foule de beautés captive l’étranger & lui fait verser dans le royaume un argent qu’il eût porté ailleurs.

La fermeture de l’opéra causeroit donc un vuide dans la capitale, & ralentiroit le commerce ; de plus, un grand art, inconcevable dans ses effets, est attaché à la fortune de ce spectacle, parce qu’il est le seul qui puisse entretenir les talens du chant & de la danse dans une certaine perfection & leur offrir en même tems une récompense assurée. Point d’opéra ! Ce jeûne sera constament regardé comme une sorte de calamité pour la capitale ; c’est le théatre qui donne à la fois aux spectateurs un plus grand nombre de sensations : & comment s’en passer ?

Il faut avouer que ce beau monstre commence à recevoir des proportions & à prendre un caractere unique sous la main de l’homme de génie qui lui a imprimé un intérêt suivi.

Les salles de spectacles paroissent toutes inévitablement destinées à finir par les flammes. Rome, Amsterdam, Milan, Saragosse, Paris en ont renouvellé les tristes exemples. Ils disent assez haut qu’il faut absolument isoler ces sortes de bâtimens, & dans leur construction ne se servir de bois qu’autant que la nécessité le rend indispensable.

Un lord Anglois a publié une invention très-simple, dont le procédé est facile & peu dispendieux. C’est un préservatif salutaire, qui garnit les cloisons & les plafonds, & qui oppose une barriere sûre à la fatale étincelle. Procédé précieux dans une ville, sur-tout, où tandis que les citoyens dorment, les fours des boulangers recelent des brasiers innombrables, dont l’action peut percer une maçonnerie ordinairement mal cimentée. Quand la voûte creve, la maison est embrasée.

Jetez dans une pompe contenant cinquante à soixante seaux d’eau, huit à dix livres de salin ou de potasse, & cette eau ainsi imprégnée éteindra merveilleusement les progrès du plus furieux incendie.