CHAPITRE CXII.

Jurisdiction Consulaire.


Elle expédie plus d’affaires litigieuses en un seul jour que le parlement en un mois. Les parties plaident elles-mêmes. Les vaines subtilités sont bannies de ce tribunal, ainsi que la longue formalité des procédures ordinaires. Les juges, qui sont commercans, ne cherchent qu’à découvrir la bonne-foi de l’un & la mauvaise foi de l’autre. Ils ne s’assujettissent pas à des mots vuides de sens ; ils examinent le fait particulier, & le jugent d’après l’expérience journaliere qu’ils ont des fraudes dans le négoce.

Ils ne connoissent que de contestations pour fait de marchandises, & de procès entre marchands & gens de commerce. Toute obligation pour fait de négoce est soumise à leur jurisdiction ; mais le particulier qui auroit acheté des marchandises pour son propre usage, peut demander son renvoi au Châtelet. Ils connoissent des billets à ordre, des lettres de change pour remise d’argent de place en place. Pour celles-ci, ils n’accordent aucun délai, & prononcent la prise de corps. Leurs sentences s’exécutent toujours, nonobstant & sans préjudice de l’appel.

Sans cette jurisdiction, dont l’utilité égale l’étendue, il n’y auroit ni ordre ni sûreté dans le commerce, les autres tribunaux étant des mois entiers à rendre une sentence ou un arrêt, & la chicane pouvant reculer pendant plusieurs années un jugement définitif.

De même la jurisdiction de la maçonnerie juge tous les faits de maçonnerie, les différends survenus entre les entrepreneurs & les ouvriers, les marchés entre maçons, carriers, plâtriers, &c. On voit évidemment que les autres tribunaux ne sauroient prononcer sur ces matieres qui demandent des notions particulieres.

Il seroit à souhaiter que l’on multipliât ces petites jurisdictions, parce qu’elles ont l’avantage de vuider un grand nombre de procès, qu’elles n’ont aucun intérêt à commettre des injustices, & que loin du labyrinthe de la procédure, elles voient le fait dans sa clarté primitive, sans aucun de ces nuages sous lesquels on l’obscurcit ailleurs.

Ailleurs les procès n’ont presque pas de fin. Si l’on a été condamné au Châtelet ou dans des tribunaux subalternes, on en appelle au Parlement, & de là on se pourvoit en cassation ou revision au conseil. La multiplicité des affaires qui y sont portées rend les arrêts du conseil si communs, qu’on se flatte de pouvoir les obtenir dans les causes les plus indifférentes & les plus minutieuses.

Les grands font évoquer au conseil d’état toutes les affaires dans lesquelles ils présument devoir succomber ailleurs. L’affaire est accrochée ou pendante à ce conseil, c’est-à-dire, qu’elle ne sera jamais jugée ; & voilà ce que l’on voit encore en France.

Le chaos monstrueux de notre jurisprudence & de notre procédure augmente de jour en jour, & tout semble livré à la merci du plus audacieux ou du plus adroit. Il n’y a que la jurisdiction consulaire qui conserve dans ses travaux le front de la justice.