Tableau chronologique des œuvres de Ronsard/03/11

Librairie Hachette et Cie (p. 97-100).


ODE

La Nymphe de France parle


Je suis des Dieux la fille aisnée
Je sDe cent lauriers environnée,
Je sLa bonne Nymphe des François,
Je sQui d’armes et d’hommes feconde
Je sAy tousjours fait trembler le monde
Je sSoubs la puissance de mes lois.


Mon heur ne porte point d’envie
Je sA l’Afrique ny à l’Asie,
Je sTant abondante je me voy
Je sEn chasteaux, en ports, et en villes :
Je sEt mes terres sont si fertiles.
Je sQue les Cieux sont jaloux de moy.

C’est moy qui ay donné naissance
Je sA tant de monarques de France,
Je sA Clovis, à Charles le Grand,
Je sEt à ce Charles que j’honore,
Je sQui me commande et qui redore
Je sCe siècle, qui de luy dépend.

Sous luy je me voy bien traittée.
Je sSous luy ma gloire est augmentée,
Je sSous luy j’ay reveu la clarté,
Je sPar la conduite de sa mere,
Je sQui m’a d’une longue misere
Je sRemise en douce liberté.

C’est ceste Royne qui tressage,
Je sMe sauvant au fort de l’orage,
Je sLors que plus j’attendois la mort,
Je sComme un Astre m’est apparuë,
Je sEt, faisant dissiper la nuë,
Je sA conduit ma Nef à bon port :

A qui l’on doit mille Colosses,
Je sMille termes taillez en bosses,
Je sMille temples, et la nommer
Je sDes François la mere eternelle,
Je sEt d’une pompe solennelle
Je sTous les ans sa feste chommer.

C’est moy qui n’a gueres lit naistre,
Je sCe grand Henry, qui fut mon maistre,
Je sMonarque aux armes non pareil,
Je sEt son fils Henry, qui l’egale
Je sEn force, en vertu martiale,
Je sDes François le second soleil :


Qui tient soubs luy (race divine)
EnL’heureuse province Angevine,
EnDont le front et les bras guerriers
EnEt les belliqueuses espées
EnSont orgueilleuses de Trophées
EnEt de Palmes et de Lauriers.

C’est ce Henry qui sa jeunesse
EnToute bouillante de prouësse
EnA nourrie entre les dangers,
EnVictorieux en trois battailles,
EnFoudre des superbes murailles,
EnEt la frayeur des estrangers.

Nul mieux que luy n’a sceu entendre
EnLes conseils de sa Mere et prendre
EnLes armes pour ayder son Roy,
EnSon Frere (amitié charitable),
EnQui d’age en age mamorable
EnAux freres servira de loy.

Aussi le Ciel qui tout dispense
EnLuy a donné pour recompense
EnL’heur qu’autre Prince n’avoit eu,
EnEt d’avantage luy ordonne
EnLe grand sceptre de la Polonne
EnPour le loyer de sa vertu :

Afin que l’un sa force estande
EnSur la France, et l’autre commande
EnAux peuples sous l’ourse escartez,
EnEt que toute l’Europe craigne
EnCeste race de Charlemaigne,
EnDeux grands Monarques indontez.

O Polonne chevaleureuse,
EnTrois et quatre fois bien heureuse
EnD’avoir si sagement esleu
EnCe Duc pour régir ta Province.
EnSi le Ciel n’avoit point de Prince,
EnLe Ciel mesme l’eust bien voulu.


En telle commune allégresse
EnJe n’ay peu celer ma liesse,
EnSans la faire en public sortir :
EnToutefois dans le cueur je pleure,
EnEt peu sans faut que je ne meure,
EnLe voyant proche de partir.

J’avois mes principales Filles,
EnNymphes des Terres et des Villes,
EnConduittes icy pour vanter
EnSa vertu des Cieux aprouvée.
EnMais de dueil la voix enrouée
EnNe leur a permis de chanter.

Pource, mes compaignes loyales.
EnDestournez vos faces royales
EnVers ce Duc des peuples vainqueur :
EnPar dehors montrez au visage
EnPubliquement le tesmoignage
EnQu’au dedans vous portez au cueur.

Su’ doncq que chacune s’avance :
EnPar signes, par dons, et par dance,
EnFaittes luy toutes à sçavoir
EnQu’il vous osta de servitude,
EnEt que jamais l’ingratitude
EnN’effacera vostre devoir.

(Août 1573).