Tableau chronologique des œuvres de Ronsard/03/11
ODE
La Nymphe de France parle
Je suis des Dieux la fille aisnée
De cent lauriers environnée,
La bonne Nymphe des François,
Qui d’armes et d’hommes feconde
Ay tousjours fait trembler le monde
Soubs la puissance de mes lois.
Mon heur ne porte point d’envie
A l’Afrique ny à l’Asie,
Tant abondante je me voy
En chasteaux, en ports, et en villes :
Et mes terres sont si fertiles.
Que les Cieux sont jaloux de moy.
C’est moy qui ay donné naissance
A tant de monarques de France,
A Clovis, à Charles le Grand,
Et à ce Charles que j’honore,
Qui me commande et qui redore
Ce siècle, qui de luy dépend.
Sous luy je me voy bien traittée.
Sous luy ma gloire est augmentée,
Sous luy j’ay reveu la clarté,
Par la conduite de sa mere,
Qui m’a d’une longue misere
Remise en douce liberté.
C’est ceste Royne qui tressage,
Me sauvant au fort de l’orage,
Lors que plus j’attendois la mort,
Comme un Astre m’est apparuë,
Et, faisant dissiper la nuë,
A conduit ma Nef à bon port :
A qui l’on doit mille Colosses,
Mille termes taillez en bosses,
Mille temples, et la nommer
Des François la mere eternelle,
Et d’une pompe solennelle
Tous les ans sa feste chommer.
C’est moy qui n’a gueres lit naistre,
Ce grand Henry, qui fut mon maistre,
Monarque aux armes non pareil,
Et son fils Henry, qui l’egale
En force, en vertu martiale,
Des François le second soleil :
Qui tient soubs luy (race divine)
L’heureuse province Angevine,
Dont le front et les bras guerriers
Et les belliqueuses espées
Sont orgueilleuses de Trophées
Et de Palmes et de Lauriers.
C’est ce Henry qui sa jeunesse
Toute bouillante de prouësse
A nourrie entre les dangers,
Victorieux en trois battailles,
Foudre des superbes murailles,
Et la frayeur des estrangers.
Nul mieux que luy n’a sceu entendre
Les conseils de sa Mere et prendre
Les armes pour ayder son Roy,
Son Frere (amitié charitable),
Qui d’age en age mamorable
Aux freres servira de loy.
Aussi le Ciel qui tout dispense
Luy a donné pour recompense
L’heur qu’autre Prince n’avoit eu,
Et d’avantage luy ordonne
Le grand sceptre de la Polonne
Pour le loyer de sa vertu :
Afin que l’un sa force estande
Sur la France, et l’autre commande
Aux peuples sous l’ourse escartez,
Et que toute l’Europe craigne
Ceste race de Charlemaigne,
Deux grands Monarques indontez.
O Polonne chevaleureuse,
Trois et quatre fois bien heureuse
D’avoir si sagement esleu
Ce Duc pour régir ta Province.
Si le Ciel n’avoit point de Prince,
Le Ciel mesme l’eust bien voulu.
En telle commune allégresse
Je n’ay peu celer ma liesse,
Sans la faire en public sortir :
Toutefois dans le cueur je pleure,
Et peu sans faut que je ne meure,
Le voyant proche de partir.
J’avois mes principales Filles,
Nymphes des Terres et des Villes,
Conduittes icy pour vanter
Sa vertu des Cieux aprouvée.
Mais de dueil la voix enrouée
Ne leur a permis de chanter.
Pource, mes compaignes loyales.
Destournez vos faces royales
Vers ce Duc des peuples vainqueur :
Par dehors montrez au visage
Publiquement le tesmoignage
Qu’au dedans vous portez au cueur.
Su’ doncq que chacune s’avance :
Par signes, par dons, et par dance,
Faittes luy toutes à sçavoir
Qu’il vous osta de servitude,
Et que jamais l’ingratitude
N’effacera vostre devoir.