TITRE OEUVRE/L’Amour à passions/10

Jean Fort (p. 169-171).

X

Sur Commande


La nature ne les satisfait pas, comme impure, imparfaite, ils ont besoin de la corriger, de l’adapter à leurs goûts spéciaux. Ce sont les prédécesseurs des cubistes, des futuristes… La femme ne leur dit rien, l’homme non plus. Ils n’en trouvent pas à leur idée. Ils préfèrent les rêves des peintres, des sculpteurs, des poètes. Certains, peu riches, ne pourraient contenter leurs désirs autrement ; d’autres, même milliardaires, ne pourraient satisfaire leurs fantaisies sanglantes, brutales, parfois mortelles.

Alors, ils les font écrire ou dessiner.

Il se trouve des gens pour écrire, pour dessiner ça… Excusons-les en pensant qu’ils n’ont pas mangé depuis plusieurs jours. Seulement, il s’en trouve, aussi, pour vendre ça aux amateurs, et ceux-là font des fortunes ! On les tolère parce que, paraît-il, ils sont indispensables aux étrangers. C’est un article de Paris !

Ce n’est vraiment pas la peine de se gêner ! En plein Palais-Royal, à la vitrine, une pancarte annonce : « Aquarelles sur commande » ! Avez-vous envie de ci, de ça ? Vous n’avez qu’à entrer. Ça coûte un peu cher (20 à 30 fr. un dessin sans la moindre valeur) ! mais, l’on vous fait remarquer qu’on risque la prison à vendre ça, que le Parquet est excessivement sévère pour ce genre, de délit, etc.

Et le naïf acheteur ne réfléchit pas que le Parquet tolère l’annonce !

À la rigueur, si vous ne savez pas ce que vous désirez, on vous donnera des idées, on vous montrera des modèles.

À moins que vous vouliez des livres ou des manuscrits. Il y a un catalogue sur lequel le Marquis de Sade voisine avec les derniers ouvrages sur la flagellation : il comprend toutes sortes de divisions et de subdivisions, c’est-à-dire tous les vices et leurs raffinements.

Ces livres, d’une valeur marchande de quelques sous, coûtent vingt francs et plus. Mais, rassurez-vous ! on les loue, au jour, à la semaine, moyennant un cautionnement. N’est-ce pas exquis ? De même, on loue les manuscrits. C’est un peu plus cher. Plus fort : on loue des photographies ! Vous figurez-vous la mentalité de l’être qui loue des photographies ? N’est-il pas mûr pour Bicêtre ?

Tout cela, je le répète, se passe en plein Paris. Les photographies sont, pour la plupart, faites à Paris, les manuscrits sont écrits presque tous par des bureaucrates parisiens — j’en pourrais citer un à l’Assistance et un à l’Élysée !

Le hasard m’a mis en main deux de ces manuscrits : l’immondice ne le cède qu’à l’imbécillité. C’est du charabia, un ramassis de fautes de français. Après tout, la police a peut-être raison de tolérer ça, car, vraiment, ça ne peut pas faire grand mal ! Et je doute que les gens qui payent si cher ces manuscrits soient très satisfaits. Ils cherchent, évidemment, à perfectionner leurs manies, ils demandent à l’imagination d’un autre des raffinements, des mots, des phrases, des expressions, des images, des idées, des gestes que leurs cerveaux angoissés, trop travaillés, ne peuvent plus forger. Ils doivent être déçus ! Ils tombent sur des crève-de-faim ne connaissant rien de l’homme et de la femme, clients de pierreuses, amis d’apaches, fort naturels en amour, fort bourgeois en cet acte, et n’ayant jamais fréquenté dans une maison de rendez-vous.