Sur une propriété de la lumière réfléchie

Sur une propriété de la lumière réfléchie.

Par M. Malus.

Lorsqu’un rayon solaire est réfléchi ou réfracté, il conserve en général ses propriétés physiques ; et, soumis à de nouvelles épreuves, il se comporte comme s’il émanoit directement du corps lumineux : le prisme, en dispersant les rayons colorés, ne fait que changer leur direction respective, sans altérer leur nature. Il y a cependant des circonstances où l’influence de certains corps imprime aux rayons qu’ils réfléchissent, ou qu’ils réfractent, des caractères et des propriétés qu’ils transportent avec eux, et qui les distinguent essentiellement de la lumière directe.

La propriété de la lumière que je vais décrire est une modification de ce genre. Elle avoit déja été apperçue dans une circonstance particulière de la duplication des images, offerte par le spath calcaire ; mais le phénomène qui en résultoit étant attribué aux propriétés de ce cristal, du premier cristal est en entier réfracté extraordinairement par le second ; et réciproquement, le faisceau provenant de la réfraction extraordinaire du premier cristal est en entier réfracté par le second suivant la loi ordinaire, ce qui réduit de nouveau à deux le nombre des images. Ce phénomène est indépendant des angles d’incidence, puisque dans le mouvement du second cristal les faces réfringentes des deux rhomboïdes conservent entre elles la même inclinaison.

Ainsi le caractère qui distingue la lumière directe de celle qui a été soumise à l’action d’un premier cristal, c’est que l’une a constamment la faculté d’être divisée en deux faisceaux, tandis que dans l’autre cette faculté dépend de l’angle compris entre le plan d’incidence et celui de la section principale.

Cette faculté de changer le caractère de la lumière et de lui imprimer une nouvelle propriété qu’elle transporte avec elle, n’est pas particulière au spath d’Islande ; je l’ai retrouvée dans toutes les substances connues qui doublent les images, et ce qu’il y a de remarquable dans ce phénomène c’est qu’il n’est pas nécessaire pour le produire d’employer deux cristaux d’une même espèce. Ainsi le second cristal, par exemple, pourroit être de carbonate de plomb ou de sulfate de barite : le premier pourroit être un cristal de soufre et le second un cristal de roche. Toutes ces substances se comportent entre elles de la même manière que deux rhomboïdes de spath calcaire. En général cette disposition de la lumière à se réfracter en deux faisceaux ou en un seul, ne dépend que de la position respective de l’axe des molécules intégrantes des cristaux qu’on emploie, quels que soient d’ailleurs leurs principes chimiques et les faces naturelles ou artificielles sur lesquelles s’opère la réfraction. Ce résultat prouve que la modification que la lumière reçoit de ces différens corps est parfaitement identique.

Pour rendre plus sensibles les phénomènes que je viens de décrire, on peut regarder la flamme d’une bougie à travers deux prismes de matières différentes donnant la double réfraction et posés l’un sur l’autre. On aura en général quatre images de la flamme ; mais si on fait tourner lentement un des prismes, autour du rayon visuel comme axe, les quatre images se réduiront à deux, toutes les fois que les sections principales des faces contigues seront parallèles ou rectangulaires. Les deux images qui disparoissent ne se confondent pas avec les deux autres, on les voit s’éteindre peu-à-peu tandis que les autres augmentent d’intensité. Lorsque les deux sections principales sont parallèles, une des images est formée par des rayons réfractés ordinairement par les deux prismes, et la seconde par des rayons réfractés extraordinairement. Lorsque les deux sections principales sont rectangulaires, une des images est formée par des rayons réfractés ordinairement par le premier cristal, et extraordinairement par le second, et l’autre image par des rayons réfractés extraordinairement par le premier cristal et ordinairement par le second.

Non seulement tous les cristaux qui doublent les images peuvent donner à la lumière cette faculté d’être réfractée en deux faisceaux ou en un seul, suivant la position du cristal réfringent, mais tous les corps diaphanes solides ou liquides, et les corps opaques eux-mêmes, peuvent imprimer aux molécules lumineuses cette singulière disposition qui sembloit être un des effets de la double réfraction.

Lorsqu’un faisceau de lumière traverse une substance diaphane, une partie des rayons est réfléchie par la surface réfringente, et une autre partie par la surface d’émergence. La cause de cette réflexion partielle qui a jusqu’ici échappé aux recherches des physiciens, semble avoir, dans plusieurs circonstances, quelque analogie avec les forces qui produisent la double réfraction.

Par exemple, la lumière réfléchie par la surface de l’eau sous un angle de 52° 45′ avec la verticale, a tous les caractères d’un des faisceaux produits par la double réfraction d’un cristal de spath calcaire dont la section principale seroit parallèle ou perpendiculaire au plan qui passe par le rayon incident et le rayon réfléchi que nous nommerons plan de réflexion.

Si on reçoit ce rayon réfléchi sur un cristal quelconque, ayant la propriété de doubler les images, et dont la section principale soit parallèle au plan de réflexion, il ne sera pas divisé en deux faisceaux comme l’eût été un rayon de lumière directe, mais il sera réfracté tout entier suivant la loi ordinaire, comme si ce cristal avoit perdu la faculté de doubler les images. Si, au contraire, la section principale du cristal est perpendiculaire au plan de réflexion, le rayon réfléchi sera réfracté tout entier suivant la loi extraordinaire. Dans les positions intermédiaires il sera divisé en deux faisceaux suivant la même loi et dans la même proportion que s’il avoit acquis son nouveau caractère par l’influence de la double réfraction. Le rayon réfléchi par la surface du liquide a donc, dans cette circonstance, tous les caractères d’un rayon ordinaire formé par un cristal dont la section principale seroit perpendiculaire au plan de réflexion.

Pour analyser complètement ce phénomène j’ai disposé verticalement la section principale d’un cristal, et après avoir divisé un rayon lumineux, à l’aide de la double réfraction, j’ai reçu les deux faisceaux qui en provenoient sur la surface de l’eau et sous l’angle de 52° 45′. Le rayon ordinaire, en se réfractant, a abandonné à la réflexion partielle une partie de ses molécules comme l’eût fait un faisceau de lumière directe, mais le rayon extraordinaire a pénétré en entier le liquide ; aucune de ses molécules n’a échappé à la réfraction. Au contraire, quand la section principale du cristal étoit perpendiculaire au plan d’incidence, le rayon extraordinaire produisoit seul une réflexion partielle, et le rayon, ordinaire étoit réfracté en entier.

L’angle sous lequel la lumière éprouve cette modification en se réfléchissant à la surface des corps diaphanes, est variable pour chacun d’eux, il est, en général, plus grand pour les corps qui réfractent davantage la lumière. Au-delà et en deça de cet angle une partie du rayon est plus ou moins modifiée, et d’une manière analogue à ce qui se passe entre deux cristaux dont les sections principales cessent d’être parallèles ou rectangulaires.

Lorsqu’on veut simplement prendre connoissance de ce phénomène sans le mesurer avec exactitude, il faut placer en avant d’une bougie ou le corps diaphane ou le vase contenant le liquide qu’on veut soumettre à l’expérience. On examine à travers un prisme de cristal l’image de la flamme réfléchie à la surface du corps ou du liquide, on voit généralement deux images ; mais en tournant le cristal autour du rayon visuel comme axe, on s’apperçoit qu’une des images s’affoiblit à mesure que l’autre augmente d’intensité. Au-delà d’une certaine limite, l’image qui s’étoit affoiblie recommence à augmenter d’intensité aux dépens de la seconde. Il faut saisir à-peu-près le point où l’intensité de lumière est au minimum, et rapprocher ou éloigner de la bougie le corps réfléchissant, jusqu’à ce que l’angle d’incidence soit tel qu’une des deux images disparoisse totalement ; cette distance déterminée, si on continue à faire tourner lentement le cristal, on s’appercevra qu’une des deux images s’éteindra alternativement à chaque quart de révolution.

Le phénomène que nous avons remarqué dans les rayons qui se réfléchissent sous un certain angle à la surface d’un corps diaphane, a lieu aussi sous un autre angle dans les faisceaux réfléchis intérieurement par la surface d’émergence, et le sinus du premier angle est au sinus du second, dans le même rapport que les sinus d’incidence et de réfraction ; ainsi, en supposant la face d’incidence et la face d’émergence parallèles, et l’angle d’incidence tel que le rayon réfléchi à la première surface présente le phénomène que nous avons décrit, le rayon réfléchi à la seconde surface sera modifié de la même manière. Si le rayon incident est tel que toutes ses molécules échappent à la réflexion partielle en traversant la face d’entrée, elles y échapperont de même en traversant la face de sortie. Cette nouvelle propriété de la lumière offre un moyen de mesurer d’une manière précise la quantité de rayons absorbés à la surface des corps diaphanes, problème que la réflexion partielle rendoit presque impossible à résoudre.

Lorsqu’un corps, qui donne la double réfraction, réfléchit la lumière à sa première surface, il se comporte comme une substance diaphane ordinaire. La lumière réfléchie sous un certain angle d’incidence acquiert la propriété que j’ai décrite ; et cet angle est indépendant de la position de la section principale qui n’influe que sur la double réfraction, ou sur les réflexions qui ont lieu dans l’intérieur du cristal.

En effet, les rayons qui se réfléchissent intérieurement à la seconde surface, présentent des phénomènes particuliers qui dépendent à la fois des forces réfringentes, et des propriétés de la lumière réfléchie que j’ai déja exposées.

Lorsqu’un faisceau lumineux a été divisé en deux rayons à la première surface d’un rhomboïde de spath calcaire, ces deux rayons sortent par la seconde face en deux faisceaux parallèles au rayon incident, parce que chacun d’eux éprouve, à cette face, le même genre de réfraction qu’à la première. Il n’en est pas de même de la lumière réfléchie. Quoique le rayon réfracté ordinairement à la première face, soit réfracté ordinairement à la seconde, il est néanmoins réfléchi à cette surface en deux faisceaux, l’un ordinaire, l’autre extraordinaire. De même le rayon réfracté extraordinairement se réfléchit en deux autres ; en sorte qu’il y a quatre rayons réfléchis, tandis qu’il n’y en a que deux émergens. Ces quatre rayons revenant à la première face du cristal en sortent par quatre faisceaux parallèles, qui font, avec cette surface, mais en sens contraire, le même angle que le rayon incident, et qui sont parallèles au plan d’incidence. Pour lier ce genre de réflexion à celui de la double réfraction, il faut concevoir, par les deux points d’émergence de la seconde face, deux rayons incidens, faisant, avec cette surface, mais en sens contraire, le même angle que les rayons émergens. Ces deux rayons, par leur réfraction à travers le cristal, produiront quatre faisceaux qui suivront exactement la route des rayons réfléchis. Ainsi, la loi de la double réfraction étant connue, celle de la double réflexion peut s’en déduire facilement.

Nous allons passer actuellement au genre de phénomène qui fait l’objet de ce Mémoire, et qui est relatif non à la loi suivant laquelle se dirigent les rayons, mais à la quantité et aux propriétés de la lumière qu’ils contiennent.

Supposons l’angle d’incidence constant et le cristal posé horizontalement. Si on fait tourner le rhomboïde autour de la verticale de manière à rapprocher sa section principale du rayon incident, on voit diminuer peu-à-peu l’intensité du rayon ordinaire réfléchi extraordinairement, et du rayon extraordinaire réfléchi ordinairement. Enfin, lorsque le plan de la section principale passe par le rayon incident, ces deux rayons réfléchis disparoissent totalement, et il ne reste que le rayon ordinaire réfléchi ordinairement, et le rayon extraordinaire réfléchi extraordinairement. Ce dernier a néanmoins une intensité beaucoup moindre que le premier.

Si actuellement le rayon incident continuant à être compris dans la section principale, on augmente ou on diminue l’angle d’incidence, jusqu’à ce qu’il soit égal à 56° 30′, alors le dernier rayon réfléchi disparoît totalement, et il ne reste que celui qui a été réfracté ordinairement et réfléchi ordinairement. Au-delà et en deça de cet angle, le rayon extraordinaire réfléchi extraordinairement, reparoît avec d’autant plus d’intensité qu’on s’éloigne davantage de cette limite. L’angle d’incidence dont je viens de parler est celui sous lequel un rayon réfléchi à la première surface, auroit acquis la propriété de se diviser en deux faisceaux ou en un seul, comme cela a lieu à la surface de tout autre corps diaphane. Le phénomène précédent se lie facilement à l’expérience dans laquelle nous avons pris l’eau pour exemple ; car si on fait tomber sur la surface du rhomboïde et sous l’angle d’environ 56° 30′, un rayon disposé à ne se réfracter qu’en un seul faisceau extraordinaire, ce rayon ne produit pas de réflexion partielle à la première surface, ce qui semble expliquer pourquoi il n’en produit pas à la seconde.

Cependant, il n’en est pas de même lorsque le plan d’incidence fait un angle sensible avec la section principale. Si on fait tomber dans ce plan et sous l’angle d’environ 56° 30′, le rayon dont nous venons de parler, il se comporte à la première surface comme dans le cas précédent ; il la traverse sans se réfléchir, mais à la seconde surface il est réfléchi en deux faisceaux qui parviennent à leur maximum d’intensité lorsque le plan d’incidence est perpendiculaire à la section principale.

On sent que la lumière réfléchie à la seconde face ne se comporte pas ici comme dans le cas précédent, parce que dans la première expérience le rayon incident réfracté et réfléchi est toujours dans un même plan, au lieu que dans le dernier cas la force répulsive qui produit la réfraction extraordinaire, détourne la lumière du plan d’incidence, en sorte qu’elle cesse d’être dans les mêmes circonstances par rapport aux forces qui agissent sur elle.

Si on examine la lumière qui provient de la réflexion partielle des corps opaques, tels que le marbre noir, le bois d’ébène, etc., on trouve également un angle pour lequel cette lumière jouit des propriétés de celle qui a traversé un cristal de spath d’Islande. Les substances métalliques polies sont les seules qui ne semblent pas susceptibles de fournir ce phénomène, mais si elles n’impriment pas aux rayons lumineux cette disposition particulière, elles ne l’altèrent pas lorsque la lumière l’a déja acquise par l’influence d’un autre corps.

Cette propriété se conserve aussi dans les faisceaux qui traversent les corps qui réfractent simplement la lumière.

J’exposerai dans la seconde partie de ce Mémoire les circonstances, où à l’aide de la réflexion, sur les miroirs métalliques, on peut changer la disposition mutuelle des molécules d’un même rayon ordinaire ou extraordinaire, de manière que les unes se réfractent toujours ordinairement, tandis que les autres se réfractent extraordinairement. L’examen de ces diverses circonstances nous conduira à la loi de ces phénomènes, qui dépend d’une propriété générale des forces répulsives qui agissent sur la lumière.