Sur une morte (RDDM)



SUR UNE MORTE.

Elle était belle, si la Nuit
Qui dort dans la sombre chapelle
Où Michel-Ange a fait son lit,
Immobile, peut être belle.

Elle était bonne, s’il suffit
Qu’en passant la main s’ouvre et donne,
Sans que Dieu n’ait rien vu, rien dit,
Si l’or sans pitié fait l’aumône.

Elle pensait, si le vain bruit
D’une voix douce et cadencée,
Comme le ruisseau qui gémit,
Peut faire croire à la pensée.

Elle priait, si deux beaux yeux,
Tantôt s’attachant à la terre,
Tantôt se levant vers les cieux,
Peuvent s’appeler la Prière.

Elle aurait souri, si la fleur
Qui ne s’est point épanouie
Pouvait s’ouvrir à la fraîcheur
Du vent qui passe et qui l’oublie.


Elle aurait pleuré, si sa main
Sur son cœur froidement posée
Eût jamais, dans l’argile humain,
Senti la céleste rosée.

Elle aurait aimé, si l’orgueil,
Pareil à la lampe inutile
Qu’on allume près d’un cercueil,
N’eût veillé sur son cœur stérile.

Elle est morte, et n’a point vécu.
Elle faisait semblant de vivre.
De ses mains est tombé le livre
Dans lequel elle n’a rien lu.


Alfred de Musset.