Sur un électromètre monofilaire de grande sensibilité

Sur un électromètre monofilaire de grande sensibilité
Journal de Physique et le Radium - 1953 - vol. 14 (extrait Sur un électromètre monofilaire de grande sensibilité) (p. 627-629).

Sur un électromètre monofilaire de grande sensibilité

Par Mme Éliane Montel, M. Ouang Te Tchao et Mlle P. Pannetier.


Sommaire. — On a réalisé un électromètre monofilaire perfectionné muni d'un fil à la Wollaston de 1 micron de diamètre, qui permet de déceler une charge de l'ordre de 3.10^(-15) Cb, soit un peu moins de 20.000 électrons. On décrit la technique de préparation de tels fils ainsi que les perfectionnements mécaniques de l'appareil. Enfin, on compare les divers types d'électromètres et l'on indique quelques conseils concernant leur utilisation.


1. On sait qu'un électromètre idéal exige, en plus de sa haute sensibilité à la charge et au potentiel, une période courte, un zéro stable, insensible aux vibrations mécaniques, aux fluctuations du voltage et de la température ; enfin, l'appareil doit, autant que possible, être robuste, de construction et de maniement simples, et ne pas présenter de trop grandes difficultés de réglage. Parmi les divers types couramment utilisés dans les laboratoires, nous n'en connaissons pas qui remplisse à la fois toutes les conditions énumérées ci-dessus. Il appartient aux chercheurs de choisir dans chaque cas le modèle le mieux adapté à l'ensemble des conditions de leurs travaux. Au cours de nombreuses expériences effectuées à l'aide des électromètres les plus sensibles, l'un de nous a pu comparer les avantages et les inconvénients de ces divers appareils. On a utilisé neuf types d'électromètres appartenant aux quatre groupes suivants :


  • 1) Electromètre à quadrants : types Dolezalek, Beaudoin[1], Compton et Lindemann ;


  • 2) Electromètre à binants : type Hoffmann ;


  • 3) Electromètres monofilaires : types Wulf, Pohl et Edelmann ;


  • 4) Lampes électromètres.


Bien que l'électromètre Dolezalek soit très robuste et de réglage simple, il est loin d'être suffisant pour les mesures de très faibles courants. L'électromètre Beaudoin, de sensibilité analogue, présente quelques perfectionnements, notamment un petit électroaimant qui permet une mise au sol facile et un quadrant mobile qui permet de corriger la dissymétrie mécanique. Contrairement à l'opinion généralement répandue, la sensibilité à la charge du type Compton n'est pas considérable : d'après notre expérience, avec une suspension de 3 microns, elle est très peu supérieure à 10^(-4) u. e. s./mm ; quant à la sensibilité à la tension, de l'ordre de 5 m/V, elle peut dans les meilleures conditions, atteindre une dizaine de mètres par volt et même au delà, mais la mise au point est alors très délicate et le socle doit être extrêmement stable pour que le zéro soit fidèle : par exemple, une tablette murale en chêne massif, même très soigneusement installée, peut se déformer suffisamment sous l'influence d'une variation des conditions extérieures, pour provoquer un déplacement du zéro. Les principaux avantages du Lindemann consistent dans la possibilité d'utilisation en position quelconque et la faible durée de la période ; par contre, la sensibilité est souvent insuffisante ; de plus la suspension, constituée par un fil de quartz de 6 microns recouvert de métal pulvérisé, perd parfois assez vite à l'usage son revêtement conducteur, d'où nécessité de réparations plus ou moins fréquentes. L'électromètre le plus sensible est le modèle Hoffmann qui permet, en principe, de déceler une charge d'environ 1000 électrons, soit 5.10^(-7) u. e. s. par division ; mais ce degré de sensibilité implique des précautions très délicates et longues dans le réglage : par exemple, la nécessité d'opérer sous pression réduite et d'équilibrer deux séries de piles étalons par des systèmes de commande relativement compliqués ; en pratique nous avons pu, dans des mesures soignées effectuées sur les électrons de conversion interne du radioactinium[2], mesurer un courant de 200 électrons par seconde. L'inconvénient des lampes électromètres est le lent déplacement continu du spot, superposé à de petites fluctuations inévitables (bruit de fond). Grâce au progrès de la technique des lampes et au perfectionnement des circuits de compensation, on arrive cependant à réduire beaucoup cet inconvénient, mais il reste très difficile d'obtenir une grande stabilité pour des résistances supérieures à 5.10^(11) Ohm. Néanmoins les lampes électromètres rendent de grands services en raison de leur haute sensibilité, comparable à celle du Hoffmann, et de la facilité de leur mise en place. Les électromètres monofilaires tels que ceux de Wulf et de Pohl ou d'Edelmann présentent des qualités intermédiaires entre celles des divers modèles précédents : robustesse, période courte, stabilité de zéro, simplicité du réglage sont autant de qualités précieuses pour la mesure des faibles charges ; cependant, nous avons eu l'occasion de constater que dans ces appareils, certains défauts de fonctionnement subsistent, qu'il peut être utile de corriger tout en améliorant également la sensibilité ; celle-ci, déjà assez élevée, de l'ordre de 5.10^(-14) Cb, n'est cependant pas comparable à celle de l'électromètre Hoffmann.


2. En tenant compte des remarques précédentes, nous avons construit un modèle monofilaire qui permet d'obtenir une amélioration assez notable sur les précédents, notamment dans la sensibilité.

Les modifications effectuées sont les suivantes :


  • 1) Le volume d'air adopté pour la cage est intermédiaire entre celui du modèle Wulf dans lequel un trop grand nombre d'ions risque de perturber la stabilité du zéro, et celui du Pohl dont la réduction excessive entraîne un accroissement nuisible de la capacité ;


  • 2) Dans tous ces appareils à couteaux, le déplacement du fil n'est linéaire que dans la partie centrale, c'est pourquoi on les utilise de préférence en méthode de zéro : ceci nous a conduits à introduire, comme dans le modèle Hoffmann, un anneau d'influence qui permet une compensation facile et bien définie ;


  • 3) Dans certains des appareils existants, les lignes de force, à cause de la présence de l'objectif du viseur, sont dissymétriques par rapport au plan des couteaux et le fil se trouve parfois entraîné hors de ce plan. Pour remédier à cet inconvénient qui oblige à corriger de temps à autre la mise au point, nous avons ajouté, symétriquement au viseur, un tube métallique fixé dans la partie postérieure de la cage et qui rétablit la symétrie des lignes de force ;


  • 4) En ce qui concerne la tension mécanique du fil, dont dépend étroitement la sensibilité, il nous a paru indispensable de réaliser une finesse de réglage bien supérieure à celle des modèles courants, et d'ajouter un système de blocage plus maniable qui assure la fixité de ce réglage : en conséquence, nous avons introduit une vis de pas beaucoup plus petit munie d'un tambour gradué et d'un vernier, qui permettent des déplacements de 1/10ème à 1/100ème de millimètre suivant la graduation du tambour ; ce système est solidaire de la paroi inférieure, d'où une grande simplicité de démontage pour les vérifications éventuelles ;


  • 5) Une autre condition essentielle de sensibilité maximum est que le fil de suspension ait une masse aussi faible que possible ; mais l'étirage de fils à la Wollaston de très faible diamètre est très délicat en raison du défaut d'homogénéité, d'où risque de rupture qui en rend la manipulation très minutieuse : c'est ce qui explique que l'on n'ait pas réussi, pendant longtemps, à utiliser des diamètres inférieurs à 1,5 microns. Or l'industrie produit maintenant des fils de 1 micron enrobés dans une gaine d'argent de 50 microns ; il nous a paru intéressant d'en profiter pour améliorer la sensibilité de notre appareil.


3. Pour pouvoir utiliser un fil de ce diamètre, nous avons mis au point la technique de préparation suivante : on prend un fil de longueur un peu supérieure à celle des couteaux, c'est-à-dire d'environ 7 cm, que l'on soude par une de ses extrémités au bout de la tige supérieure de l'équipage ; on replie l'autre extrémité sur une longueur de 2 à 3 mm, on le soude à lui-même et l'on enrobe le petit crochet ainsi formé d'une pellicule de piscéine qui permet d'introduire le fil dans une solution nitrique à 50 pour 100 sans que cette partie soit attaquée ; la soudure alourdit le fil juste assez pour que, l'argent une fois dissous, il reste verticalement dans le liquide sans risquer, par flottement, de se coller à lui-même ou à la paroi. La difficulté principale de l'opération consiste à régler la quantité de soudure et la forme de la goutte de piscéine de manière à éviter la rupture du fil, extrêmement fragile, soit dans le bain, soit au moment où on l'en retire. Le rinçage dans l'eau distillée et le recuit dans une très petite flamme se font à la manière habituelle[3].


4. L'ensemble des perfectionnements qui viennent d'être indiqués permet d'obtenir un progrès notable dans la sensibilité. Dans le graphique ci-dessous, on donne la sensibilité à la charge en fonction de la tension mécanique du fil, pour diverses positions des couteaux. En ordonnées, on a porté la charge qui fait dévier l'image du fil d'une division de l'échelle arbitraire d'un micromètre comportant 200 divisions. Une division du micromètre projetée sur une règle à 1 m de distance couvre 2,8 mm, ce qui correspondrait dans l'observation habituelle à l'aide d'un miroir, à une sensibilité maximum de l'ordre de 3.10^(-15) Cb/mm. Pratiquement, une charge de cet ordre est encore décelable par observation directe.


5. Ainsi, un électromètre de type monofilaire équipé d'un fil de 1 micron convient particulièrement aux mesures de très faibles courants tels que les courants photoélectriques ou radioactifs. Par exemple, une montre à aiguilles lumineuses posée sur la partie supérieure d'une chambre d'ionisation donne, à travers une mince feuille d'aluminium, une vitesse de déviation du fil de l'ordre de 2 divisions par seconde. Un autre exemple montre la faible inertie de l'équipage : un conducteur traversé par le courant du secteur induit, par influence, à une distance de 20 cm, sur la tige isolée dépourvue de protection électrostatique, une charge variable à la fréquence du courant, qui fait vibrer le fil de l'électromètre autour de sa position d'équilibre. L'amplitude de l'oscillation dépend de la distance du fil inducteur à la tige influencée, et de l'intensité du courant. Le fait que les bords de la bande sont plus nets que le milieu montre que l'oscillation est bien sinusoïdale. Il semble donc que cet électromètre puisse être utilisé comme un oscillographe de basse fréquence.


6. Il nous semble intéressant d'indiquer aux chercheurs non familiarisés avec les électromètres sensibles quelques conseils techniques afin de leur éviter d'inutiles tâtonnements.


  • 1) Si le spot n'est pas stable, il faut tout d'abord vérifier que les diverses parties du montage sont à des potentiels bien définis, en particulier, que la mise à la masse est très soignée. Même quand ces conditions sont remplies en apparence, il peut subsister une certaine instabilité. Cela se produit, par exemple, dans les mesures de rayonnements X par l'électromètre Lindemann : un examen plus attentif montre en ce cas que la fenêtre de verre a pris une certaine charge par suite de l'ionisation intense de l'air au voisinage immédiat. Il suffit alors de pulvériser une mince couche métallique transparente pour rétablir le zéro.


  • 2) La dérive du spot est un inconvénient auquel on se heurte fréquemment ; elle provient dans la plupart des cas d'un défaut d'isolement de l'électrode dû à l'humidité de l'isolant, surtout lorsque l'appareil n'a pas servi depuis un certain temps. L'expérience montre qu'en nettoyant celui-ci légèrement à l'éther avec un morceau d'étoffe souple, ce phénomène gênant se trouve supprimé au bout d'un temps nécessaire à la complète disparition des charges de surface développées par le frottement. Dans le cas des lampes électromètres, d'autres causes interviennent : défaut de compensation, épuisement des piles, effet microphonique, etc. ; on ne peut donc pas donner de procédé général, car chaque montage pose un problème particulier.


  • 3) Dans les électromètres Lindemann et Compton, il arrive souvent que la déviation du spot ne corresponde pas à la tension ou à la charge appliquée. On constate en pareil cas que le fil de torsion a perdu en grande partie la couche de métal pulvérisé qui le rend conducteur ; il est alors indispensable de renouveler la pulvérisation.


  • 4) Dans l'électromètre Hoffmann, il arrive qu'au moment où l'on isole l'électrode, on observe une brusque déviation du spot. Cela résulte d'un défaut de simultanéité dans l'application des tensions aux binants, dû au fait que la surface du mercure n'est pas suffisamment propre. Remarquons que dans le nouveau modèle, le mercure est contenu dans des ampoules de verre fermées qui en assurent la protection.


  • 5) Dans le Wulf ou le Pohl, il peut arriver, lorsqu'on rapproche trop les couteaux, que le fil aille se coller sur l'un d'eux ; afin d'éviter sa rupture, on doit éviter de le toucher directement. Il faut alors éloigner d'abord l'autre couteau et le relier à la masse ; puis, relier à l'électrode centrale le couteau auquel adhère le fil ; enfin, on approche très lentement un bâton chargé : sous l'effet des charges influencées, le fil se détache par répulsion.


Manuscrit reçu le 11 mai 1953.

  1. Charles Beaudoin (1845-1916), constructeur d'instruments scientifiques. Cf. Denis Beaudoin, Charles Beaudouin, une histoire d'instruments scientifiques, EDP Sciences, 2005.
  2. Ouang Te Tchao, Jean Surugue et Mlle Marguerite Perey, Comptes-rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des Sciences, 1944, 218, 190.
  3. Ouang Te Tchao, Fils fins en silice et à la Wollaston, Techniques générales du laboratoire de physique (Jean Surugue), volume II, pages 107-118.