Sur les revenus des pasteurs


Sur les Revenus des Pasteurs.

1693



Sur les Revenus des Pasteurs1.

Quel est donc ce cahos, et quelle extravagance
Agite maintenant tout l’esprit de la France ?
Quel demon infernal, amy des changemens,
Fait tant de nouveautez dans tous nos reglements ?
On fait, on redefait, on retablit, on casse ;
Rien ne demeure fait, quelque chose qu’on fasse ;
On retranche les saints2, on les refeste après3 ;
On plaide au Châtelet quand c’est feste au Palais.
On trouve à reformer même sur la Reforme.
L’ancien code à present est un code de forme ;
On ne le connoit point, tant on le voit changé.
Encor si l’on vouloit reformer le clergé,
Si l’on vouloit oster la moitié de leurs dixmes,
La Reforme pourroit reformer bien des crimes.
Les trop grands revenus perdent beaucoup de gens,
Et les riches pasteurs sont toujours negligents.
Pourquoy ceux qui devroient imiter les Apôtres
Ont-ils seuls plus de bien qu’il n’en faut pour dix autres ?
On devroit bien regler un tel dereglement
Et montrer aux pasteurs à vivre sobrement ;
On ne voit que des gens de mitres et de crosses
Faire aujourd’huy rouler de superbes carosses,
Sans se ressouvenir qu’autrefois l’Eternel
Ne monta qu’un asnon dans un jour solennel.
On parle des impôts dont la France est remplie,
Tout le peuple en murmure et tout le monde en crie ;
Qu’est-ce en comparaison de tant d’injustes droits
Qu’aujourd’huy les pasteurs levent en tous endroits ?
Tout le monde en naissant doit à la sacristie ;
Il faut payer l’entrée et payer la sortie ;
Tous les pasteurs enfin, par un fatal accord,
Trouvent de quoy gagner en la vie et la mort4.
Bonne condition, qui donne de quoy vivre
En lisant seulement quelques feuillets d’un livre ;
Recitant tous les jours trois ou quatre oraisons,
Ils gagnent pour fournir aux frais de leurs maisons.
Que le breviaire est bon dans le temps où nous sommes !
Un pasteur est toujours le plus heureux des hommes.
Veut-on se marier, il faut jetter un ban ;
On en achète deux, et le pasteur les vend ;
Vous ne les auriez pas s’il manquoit une obole.
Comment nommer cela, si ce n’est monopole,
Qu’un sacré partisan a mis injustement
Aux yeux de tout Paris, sur le Saint-Sacrement ?
Meurt-il quelque personne, autre supercherie.
Voulez-vous, dira-t-on, la grande sonnerie5 ?
Il faut tant, ou sinon l’on ne sonnera point.
Monopole jamais monta-t-il à ce point6 ?
Entre tous les impôts, quel autre impost approche
De celuy que l’on met sur le son d’une cloche ?
On sonne donc enfin, et pour vos cinq escus
On vous donne du son. Sont-ce là des abus ?
Un infâme crieur, de qui l’âme inhumaine
Ne voit aucun vivant qu’avec beaucoup de peine,
Ce funeste crieur qui ne vit que de morts7,
Marchande insolemment pour enterrer des corps.
Choisissez-vous, dit-il, un endroit pour la fosse ?
Plus il est près du chœur et plus la somme est grosse8.
Il faut tant près des fonds, tant près du maître autel.
Entre tous les impots en voyez-vous un tel,
Et qui peut plus choquer les droits de la nature,
Que de vendre à des morts le droit de sépulture ?
Je passe volontiers certains tours de baton
Dont un rusé pasteur attrape le teston9.
Je suis fort catholique, et je n’ay pas envie
De censurer icy les censeurs de ma vie.
Je croy que ce qu’ils font a de bonnes raisons,
Et que tous leurs patrons font bien des guérisons ;
Qu’on guerit de tous maux en leur offrant un cierge,
Qu’on en guerit plutost s’il est de cire vierge ;
Que qui ne guerit pas n’a pas assez de foy,
Et je croy tout cela parceque je le croy.
Pour moy, je ne veux point penetrer ce mystere ;
Mon pasteur me l’a dit, c’est à moy de le croire10.
Je crois ce qu’il me dit ; s’il fait mal, à son dam.
Mais je souffre à regret que l’on achète un ban,
Et que des ornemens qui servent à l’eglise
Soient de differens prix, comme une marchandise.
Si vous voulez les beaux à votre enterrement,
Il faut tant, vous dit-on, pour un tel parement,
Et, pour l’argenterie, un crieur vous demande
Si vous voulez avoir la petite ou la grande11 :
Le prix est différent, ils vous cousteront tant ;
Et si l’on ne fait rien si l’argent n’est comptant.
Jamais aucun credit ne se fait à l’eglise.
N’avez-vous point d’argent, la croix de bois est mise12 ;
Enfin, lorsque l’on va porter les sacremens,
Si c’est chez un pauvre homme, on va sans ornemens ;
On y va sans flambeau, sans daiz et sans clochette ;
En un mot, on diroit qu’on le porte en cachette.
Taisons-nous, toutefois ! il est fort dangereux
De parler des pasteurs, et de mal parler d’eux.
Telles gens ne sont pas des sujets de satyre.
Muse, va prendre ailleurs quelque sujet pour rire ;
Va t’en au Châtelet voir ces deux conseillers :
Ils etoient l’an passé chez monsieur Desperiers,
Et, comme de seconde on monte en retorique,
Ils furent conseillers sortant de la Logique.
Une explication sur une simple loy
Les abêtit tout deux. Mais, ma muse, tais toy,
J’ay beaucoup de procès. Si tu dis quelque chose,
Tu me mets en danger de voir perdre ma cause ;
Et cette liberté trop grande que tu prends
Me feroit pour le moins condamner aux depens ;
Trop heureux seulement si ces jeunes novices
Se vouloient moderer en taxant leurs epices.
Je sçais qu’en fait de taxe ils valent bien les vieux,
Qu’ils le font aussi bien, pour ne pas dire mieux.
Mais brisons là dessus, ne faisons point querelle.
Les greffiers, aujourd’huy, font de plus grands abus,
Et ce sont ces gens là qui friponnent le plus.
Je voudrois bien pouvoir les passer sous silence ;
Mais quoy ! pour quatre mots que porte une sentence,
Pour dire : Un deffendeur payera cent escus,
Ils font en parchemin quatre roles, et plus ;
Enfin, ils font si bien, que de quatre paroles
Que prononce le juge ils composent des roles.
Un petit parchemin, plus court de quatre doits
Qu’il ne leur est prescrit par l’ordre de leurs loix,
Une marge plus grande à chaque bout de lignes
Marque que ces gens là sont des fripons insignes ;
Sans compter l’à tous ceux qui ces lettres verront,
Qu’ils etendront autant et plus qu’ils ne pourront,
Cent mots reiterez, cent autres synonimes,
Et, toutefois, Paris endure tous ces crimes ;
Il aura reformé les pauvres Innocens13,
Et tous ces criminels recevront de l’encens.
Je ne puis endurer que cette extravagance
Agite maintenant tout l’esprit de la France,
Qu’on fasse en notre etat des nouveaux changemens
Et que l’on laisse encor tant de dereglemens.




1. Cette pièce se trouve, p. 278–282, dans le curieux recueil Le tableau de la vie et du gouvernement de MM. les cardinaux Richelieu et Mazarin, et de M. Colbert, représenté en diverses satyres et poésies ingénieuses, etc. Cologne, P. Marteau, 1694, in-12. Seulement, elle est fautive dans cette édition ; nous l’avons rétablie d’après celle qui avoit paru l’année précédente, et qui est bien plus correcte.

2. Il s’agit encore ici du retranchement des fêtes, au sujet duquel nous avons déjà publié une pièce (t. 6, p. 245), et qui avoit été ordonné par le roi, en 1666, sur un Mémoire de Colbert, reproduit dans la Revue rétrospective, 2e série, t. 4, p. 257–258.

3. On n’avoit pas retranché moins de dix-sept fêtes. V. Journal ms. d’Olivier d’Ormesson, 2e partie, fol. 139. Le peuple, qui tenoit à quelques-unes, cria fort et si bien qu’on finit par les rétablir. Celle de saint Roch étoit du nombre. V. notre t. 6, p. 249–250. C’est pour celle-ci surtout qu’il commença sa désobéissance : « Le mardy 16 août (1667), feste de saint Roch, dit encore M. d’Ormesson, fol. 151, tout le monde festa nonobstant le retranchement. »

4. C’est ce que Marigny a développé avec tant de verve et d’esprit dans son charmant poème du Pain bénit, ou se trouve entr’autres ce vers :

Il fait cher mourir à Paris,

repris par Regnard lorsqu’il fait dire par le Crispin du Légataire, à la scène du testament :

Il fait trop cher mourir.

5. Il faut encore entendre Marigny faisant expliquer par les marguilliers de Saint-Paul les détails d’un convoi de première classe, avec les beaux ornements que leur avoit donnés M. de la Rivière, évêque de Langres, leur riche paroissien de la place Royale. La grosse sonnerie n’y est pas non plus oubliée :

Tout le convoi fut fort heureux,
Aucun critique n’y peut mordre ;
Les enfants, gris, rouges et bleux,
Marchèrent dans un fort bel ordre,
Grande cour, chambres, escalier
Bien garnis de tapisserie,
Vous eûtes nos grands chandeliers
Et notre belle argenterie,
Nos beaux ornements bien brodés,
Que monsieur de Langre a donnés ;
Et puis qu’il faut qu’on vous le die,
La croix de Fieubet a marché
Avec sa grosse sonnerie.

6. C’est aussi le propos de Marigny :

Cette sorte d’exaction
Est un infâme monopole
Honteux à la Religion.

7. Les frais du crieur étoient compris dans ceux de l’enterrement :

Vous ignorez, pour le certain,
Qu’il faut les droits de la fabrique,
D’un crieur et du sacristain.

C’étoit lui qui apportoit dans les maisons l’attirail des convois, comme dit Regnard dans le Légataire, acte IV, scène dernière, et qui régloit le tarif, comme on le voit ici.

8. On sait qu’alors tout paroissien d’importance se faisoit enterrer dans l’église.

9. Sur cette expression, v. notre t. 5, p. 250, note.

10. Alors on prononçoit craire. C’est ce qui donne raison à la singulière rime qui se trouve ici. Toutefois, dans les vers il étoit d’usage d’employer la prononciation qui a prévalu. V. Journal de l’Académie françoise, par l’abbé de Choisy (1696), fol. 7. On ne vouloit pas sans doute que l’accident qui arriva un jour à une actrice de province pût se renouveler. Elle avoit à dire ce vers :

Le prince vit encore ! ô ciel ! puis-je le croire ?

Elle le prononça suivant la mode admise dans la conversation ; aussi son interlocuteur, pour ne pas manquer la rime à craire, riposta tout aussitôt :

Oui, princesse, il arrive, et tout couvert de glaire.

11. V. l’une des notes précédentes.

12. Mais, dit encore Marigny, dans la discussion qu’il établit entre les marguilliers de Saint-Paul et un parent révolté de la somme énorme des frais :

— Mais, s’il meurt sans laisser de bien,
Qu’avez-vous coutume de faire,
Suivant votre honnête métier
De ne faire rien pour rien ?…
— Sans prière ni luminaire
On le fait porter, comme un chien,
Dam quelque coin du cimetière ;
Et, de plus, sachez qu’en ce cas
L’exactitude est si précise,
Que même nous ne souffrons pas
Que le corps passe par l’église.

13. La fête des Saints-Innocents étoit au nombre de celles qu’on avoit retranchées. V. notre t. 6, p. 249.