Sur les Progrès récens de la Galvanoplastie

SUR LES PROGRÈS RÉCENS DE LA GALVANOPLASTIE.


De toutes les parties de la fameuse Encyclopédie française du siècle dernier, celle qui traite des arts et métiers est certainement l’une des plus importantes et des plus utiles, et c’est en même temps celle qui a eu le moins de lecteurs. Il est pourtant très curieux d’étudier les procédés par lesquels le génie de l’homme a maîtrisé la nature et a tiré tant d’avantages de ses diverses productions. Franklin définissait l’homme l’animal qui sait se faire des outils. À ce point de vue, les plus simples et les plus vulgaires des instrumens dont nous nous servons tous les jours méritent notre attention. La pince ou tenaille avec laquelle nous saisissons un fer rougi au feu n’est-elle pas une addition précieuse à la main, qui ne pourrait manier impunément un métal incandescent ? La simple pincette du foyer domestique ne représente-t-elle pas deux doigts mécaniques qui ne craignent pas la brûlure ? Pourrait-on remplir sa main de charbons ardens comme on remplit une pelle à long manche, en évitant non-seulement le contact destructeur du feu, mais encore une proximité trop grande du foyer d’où l’on retire le combustible enflammé ? Pourrait-on, en frappant du poing, faire le travail qui devient facile avec le marteau ? On trouve dans Hésiode cette curieuse remarque, que les cyclopes, ouvriers admirables, avaient la force, l’activité et des machines pour aider leurs travaux. Dans Homère, Vulcain arrivant à sa forge fait souffler son feu par deux figures qui étaient évidemment des éolipyles, que l’on n’emploie plus aujourd’hui, sans doute parce que l’on a reconnu que l’air mêlé de vapeur d’eau brûle le charbon sans efficacité pour la production de la chaleur. Les curieux pourront voir dans la belle tragédie d’Eschyle, Prométhée enchaîné, tous les arts que ce titan, bienfaiteur des hommes, se vante de nous avoir donnés. Indépendamment du feu, qui auparavant était exclusivement réservé aux dieux, il mentionne l’art de bâtir, l’astronomie, la marine, les animaux soumis au joug, la médecine, et, chose remarquable, l’art d’écrire et la science des nombres. Il dit qu’en donnant le feu, il a donné tous les arts à l’humanité, mais il y avait encore bien loin du feu à l’électricité.

La galvanoplastie, c’est-à-dire la fabrication électrique d’une pièce métallique, est-elle une science, un art ou une industrie ? Se rapporte-t-elle à l’intelligence purement scientifique et métaphysique, ou bien doit-elle, comme la sculpture et la glyptique, être placée dans la brillante catégorie des beaux-arts, enfans privilégiés de l’imagination ? Doit-on enfin n’y voir qu’un métier utile, dont les produits s’adressent aux besoins de l’homme civilisé, comme tous ceux qui font refuser à ceux qui les exercent le titre d’artistes pour ne leur laisser que le nom d’artisans ou d’ouvriers ?

La galvanoplastie est à la fois une science, un art et un métier. Son origine purement scientifique est la physique de l’électricité. Par ses applications à la production de tous les ouvrages où la forme domine, c’est un art, de ceux que l’on appelle par excellence arts libéraux. Enfin, par ses produits industriels, c’est une laborieuse ouvrière. Tout le monde sent la différence qu’il y a entre la fabrication des objets de quincaillerie, l’argenture ou la dorure des bronzes et le modelage d’une statue, la reproduction d’une planche gravée avec tous les raffinemens de l’art le plus avancé.

Cette espèce de bilan qu’on a dressé de l’humanité en divisant les tendances prédominantes en intelligence, sentiment et besoins matériels, semble fondé sur l’observation des faits comme sur la nature intime de notre espèce. Les arts libéraux, qui tiennent le milieu entre les spéculations métaphysiques, accessibles à peu de têtes, et les travaux purement manuels, qui ne disent rien à l’imagination, sont ceux qui font l’honneur comme la félicité des nations civilisées tant par leur charme naturel que par leur influence salutaire sur la société. La galvanoplaslie se recommande donc sous tous les points de vue à l’étude et à l’intérêt des esprits de toutes les classes.

Au moment où l’exposition universelle de 1855 fut annoncée au public, on s’imagina que des descriptions détaillées des procédés qui avaient fait éclore toutes les merveilles de l’industrie seraient indubitablement recherchées par les visiteurs et par ceux qui n’auraient pas l’avantage d’étudier en détail tout ce que contenait l’immense palais, ou plutôt les immenses palais encombrés par le travail du monde entier. Il n’en a rien été. Les descriptions techniques ont été mises en réserve pour être consultées au besoin ; elles n’ont point occupé les lecteurs, et ne sont point arrivées à prendre rang parmi les sujets de conversation des salons ou des sociétés de Paris et de la province. Elles ont eu tout à fait le même sort que les parties techniques de l’Encyclopédie. L’expérience indique donc que la science seule des faits n’a point d’attraits sans les déductions qui les rattachent à l’homme. « La fourmi, disait Bacon, amasse sans art ; l’abeille amasse et élabore les matériaux qu’elle a recueillis. » Une remarque de salon me fournit un exemple qui peint bien ma pensée. Tout le monde a lu l’Esprit des Lois, le chef-d’œuvre de Montesquieu ; et les lois elles-mêmes, qui a pris connaissance de leur immense ensemble, si ce n’est ceux qui en font une étude professionnelle ?

Je m’abstiendrai donc de faire le tableau de tout ce qu’a produit l’électricité plastique depuis les pages qu’ici même je lui ai consacrées, et je passerai eu revue les travaux de quelques ateliers de la capitale, sous le triple rapport de l’industrie, de la science et de l’art. Du reste, presque tous nos galvanoplastes ont réuni ces trois mérites dans leur fabrication.

Lorsque l’exposition universelle de France ouvrit au monde entier la concurrence de tous les mérites et la rivalité de toutes les fabriques, la puissante maison Elkington de Londres sembla, pour la galvanoplastie, devoir primer le monde entier. Un seul fabricant français, M. Christofle, pouvait soutenir l’honneur de la France, et, n’écoutant que son patriotisme, il s’abstint de rechercher l’avantage d’être membre du jury international, afin de balancer les suffrages, qui en effet le placèrent au même rang que son rival. Mais ce n’est pas tout que de voir les produits d’une immense industrie d’utilité et de luxe ; il faut pénétrer dans les ateliers où se préparent tous les objets que la consommation française réclame et tous ceux par lesquels la France rend les autres nations tributaires de son art et de son activité. J’ose dire que, sous ce point de vue, il n’est point d’homme d’état qui ne voie avec admiration ou même avec reconnaissance l’atelier ou plutôt les cent ateliers de M. Christofle. Là, douze ou quinze centaines d’ouvriers et d’ouvrières, depuis les simples manœuvres jusqu’aux artistes de premier ordre, modèlent, fondent, galvanoplastisent, argentent, dorent, polissent mille sortes d’objets en métaux ordinaires ou précieux, depuis le couvert modeste du pauvre, recouvert en argent, jusqu’aux bronzes argentés et dorés destinés aux plus opulentes maisons du pays. L’agent scientifique, l’électricité, relégué dans un cabinet isolé en plein air pour éviter les émanations nuisibles, envoie par de longs fils de métal son influence aux réservoirs pour le dépôt de l’or et de l’argent et à ceux où le métal se dépose en lames et eu figures dans des moules artistiques. Certaines pièces offrent du travail sans art, d’autres un art exquis ; le plus grand nombre, qui composent ce qu’on appelle l’ornementation, présentent l’assemblage des deux genres, savoir : des pièces massives, enrichies de détails du travail le plus précieux. L’attention scrupuleuse qui a été donnée partout à la salubrité de tous les ateliers pourrait être qualifiée d’admirable, si ce n’était pas l’estime plutôt que l’admiration qui dût payer cette philanthropie si rare. Quand on voit un agent tout à fait scientifique, l’électricité, travaillant en silence, avec une activité infatigable, à la création comme à la décoration de tant de pièces métalliques, on se figure involontairement Diderot, le rédacteur des articles d’arts et métiers de l'Encyclopédie, visitant aujourd’hui un grand atelier de galvanoplastie, et jouissant du progrès provoqué par sa noble initiative d’il y a un siècle. Diderot aurait vu avec bonheur la galvanoplastie réaliser l’union de l’industrie avec les beaux-arts, qu’il comprenait si bien. Comme dans les palais de l’industrie, cet esprit si hardi, et si au-dessus des préjugés de son siècle, aurait applaudi à la réhabilitation, pour ainsi dire officielle, du travail, qui a inauguré la seconde moitié du présent siècle, en admettant aux mêmes distinctions, aux mêmes décorations, le mérite de l’ouvrier et le mérite guerrier. Si, à l’exemple des Grecs, nous prenons la décade de dix années pour l’unité de temps, car le siècle est trop long pour l’activité de la civilisation moderne, la présente décade, qui est la sixième du xixe siècle, et qui a vu les expositions de Londres et de Paris, et les récompenses honorifiques équitablement décernées à tous les travailleurs sans privilège autre que le mérite et sans égard à la routine des préjugés, la présente décade, disons-nous, occupera un rang distingué comme ayant réalisé un progrès moral et politique, de même que le travail avait, lui aussi, réalisé un progrès utilitaire et national. Quand on a été à la peine, on a le droit d’être à l’honneur !

À voir la facilité avec laquelle, sous l’influence électrique, les métaux se solidifient en vases, en statues, en ustensiles divers, et passent de l’état liquide du bain qui les contenait à la rigidité que la fonte seule leur donnait autrefois, on pense tout de suite à ces montagnes de sel qui, dans les marais salans de l’Aunis, se retirent à l’état solide des eaux toujours agitées de l’Océan. Là, l’évaporation fait ce que l’électricité fait dans la galvanoplastie ; seulement il est moins étonnant de voir les cristaux de sel solide apparaître quand l’eau les abandonne par sa volatilisation au travers de l’atmosphère que de suivre dans l’œuvre de l’électricité le dépôt métalliquement rigide exigé d’un réservoir qui ne perd rien par l’évaporation. Il y a deux ou trois décades d’années, on n’eût pas jugé possible de faire du cuivre, de l’or, de l’argent en masses compactes par des dépôts continus de particules pour ainsi dire précipitées une à une, et dont on ne pouvait attendre raisonnablement que du métal en grains, en poussière ou limaille impalpable, comme le donnent toutes les opérations chimiques.

En effet, si dans un laboratoire de chimie bien assorti en produits et en préparations, un flacon renfermant une poudre noire, terne, pulvérulente, porte l’étiquette charbon de bois, charbon de sucre, charbon de terre ou noir de fumée, vous replacerez ce flacon, qui ne dira rien de nouveau à votre curiosité ; mais le flacon d’à côté, renfermant une substance tout à fait semblable, également noire, terne et en poudre, portera l’étiquette argent ; un autre flacon, encore tout pareil, contiendra de l’or. De même le fer, le cuivre, le zinc, le plomb, l’étain et tous les métaux seront des poudres noires comme le charbon, et qu’il serait impossible de distinguer du charbon par l’aspect. Tels sont les produits de la précipitation chimique. Pour vous faire connaître le genre de ces poudres diverses de nature, quoique semblables d’apparence, le chimiste en prendra une petite quantité, et, la fondant au chalumeau, il produira un bouton d’or, de cuivre ou d’argent, suivant le bocal où il aura puisé la substance noire. Au commencement de ce siècle, on a été obligé de faire des travaux chimiques inouis pour faire passer le platine de l’état de précipité pulvérulent à l’état compacte et malléable. Comme le platine est presque infusible, on n’avait pas, ainsi que pour l’argent et le cuivre, la ressource du feu pour l’agglomérer et le réduire en masse brillante. Les expositions des deux ou trois premières décades de ce siècle font foi de ces difficultés péniblement surmontées.

C’est ici le cas de remarquer combien avaient beau jeu les prétendus adeptes du grand œuvre, les possesseurs de la pierre philosophale que Molière appelle

. . . . .Cette benoîte pierre
Qui peut seule enrichir tous les rois de la terre.

Pour faire croire que dans leurs fourneaux ils changeaient diverses substances en métaux précieux et qu’ils faisaient de l’or, il est évident qu’ils mettaient frauduleusement de l’or en précipité noir au lieu de charbon, et qu’ensuite ils ne retiraient que l’or qu’ils avaient introduit dans leur appareil. Sous la régence d’Anne d’Autriche, une mystification de ce genre pensa coûter la vie à l’alchimiste qui se l’était permise, et sans doute la catastrophe sera arrivée plus d’une fois entre la tyrannie avide et le charlatanisme impudent. En vérité on ose à peine plaindre de si peu intéressantes victimes. Quant à la galvanoplastie, au moyen de bains convenablement métallisés, elle a doré, argenté, cuivré, platiné en pellicule, en plaque, en masse compacte, à volonté. De même qu’on peut ne déposer qu’une mince couche métallique dans un moule creux, on peut le remplir complètement de métal sans y laisser aucun vide. C’est l’affaire du temps pendant lequel on laisse agir l’électricité de la pile.

La pile elle-même, cette admirable invention de Volta, que les ouvriers de Paris fabriquent par centaines et par milliers pour les télégraphes électriques, n’était au commencement du siècle que dans les cabinets de physique. Voici comment on la construisait. On plaçait sur une table un disque ou rondelle de cuivre sur laquelle on mettait une pièce semblable de zinc. La dimension de ces pièces ou rondelles était environ deux fois celle d’une pièce française de cinq francs. Au-dessus de la pièce de zinc, on posait une rondelle de drap mouillé d’eau salée, puis on posait dessus un second cuivre, sur celui-ci un second zinc, puis une seconde rondelle de drap humide. On continuait ainsi d’empiler les pièces de zinc sur les pièces de cuivre et les disques de drap mouillé sur les disques de zinc. Après trente ou quarante alternatives, la pile ainsi construite semblerait être le plus inoffensif et le plus innocent des appareils que l’on puisse imaginer. Cependant, si l’on met une main en contact avec la base de la pile et que de l’autre on touche le sommet, on ressent une violente commotion nerveuse qui agit incessamment tant qu’on touche le sommet et la base de la pile avec les deux mains. Avec la pile que Napoléon 1er avait donnée à l’École polytechnique, M. Gay-Lussac fut renversé du choc. Maintenant on administre l’électricité avec de petits appareils analogues à la pile pour le courant électrique, et qui sont très efficaces sous un très faible volume. Chaleur, lumière, composition et décomposition chimique des corps, transport des substances sous forme invisible, sécrétions organiques dans les plantes et les animaux, messages télégraphiques, travail moteur, tout est exécuté par cet agent sans poids, imperceptible à notre vue, et aussi mystérieux dans le bâton de cire à cacheter qui, frotté sur un habit, attire un fil léger que dans le nuage orageux où il constitue la foudre. Ainsi, après avoir fait travailler l’air, l’eau et le feu, le génie de l’homme a su prendre pour collaborateur le fluide même de la foudre, et, chose étonnante, ce redoutable agent physique s’est montré le plus docile et le plus apprivoisé de tous ceux que l’intelligence avait conquis sur la nature matérielle.

L’exposition universelle a vu et apprécié les résultats obtenus par MM. Hulot et Coblence. M. Coblence reproduit une page portant une vignette et un texte imprimé de telle manière qu’on peut la tirer à l’impression comme un stéréotype, réduisant ainsi la reproduction d’un ouvrage à figures intercalées au même degré de facilité que la reproduction typographique ordinaire. Quant à M. Hulot, outre ses admirables spécimens de billets de banque, de timbres-poste tirés à plusieurs milliards, et ses clichés sans pareils, on peut dire que dans le modelage et la reproduction des gravures il a atteint les dernières limites de l’art. Ses ateliers à la Monnaie sont des installations tout à fait scientifiques. Au grand honneur de la science et de l’industrie, on a vu à la distribution des récompenses de l’exposition MM. Hulot et Coblence, le savant et l’ouvrier, recevoir ensemble cette décoration à laquelle l’estime de la France a donné une si haute valeur.

À l’une des dernières séances de l’Académie des Sciences, un galvanoplaste de première distinction, M. Lenoir, a montré des bronzes d’un fini parfait et d’une épaisseur tout à fait uniforme en même temps qu’ils étaient fort légers. L’invention consiste dans l’idée que M. Lenoir a eue d’introduire dans le creux du moule un ou plusieurs fils métalliques conducteurs qui répartissent le dépôt métallique également sur toute la surface intérieure du creux. On peut ainsi atteindre à des figures de toutes les dimensions. La statue se trouve produite tout d’une pièce sans soudure et sans travail d’ajustement, travail coûteux, souvent périlleux et toujours peu artistique. Plusieurs des pièces mises sous les yeux de l’Académie étaient de vrais chefs-d’œuvre de modelé et de distribution du métal plastique. Il va sans dire que tous les galvanoplastes qui arrivent aux travaux d’art confectionnent également tous les objets d’ornement, dont le nombre est déjà immense, car tout ce qu’on peut demander sans risque au travail galvanoplastique, on se garde bien d’essayer de le produire par les anciens procédés du feu et de la fusion, qui tourmentent les moules et ne tirent pas à beaucoup près aussi fin.

L’esprit des procédés galvanoplastiques, c’est donc en général une plus grande perfection du travail artistique jointe à une réduction considérable dans le prix des produits. Quant à ce qu’on appelle le tour de main, c’est-à-dire l’emploi bien entendu d’un nombre considérable de petites précautions qui semblent autant de recettes individuelles, on ferait plus d’un volume de celles que chaque opérateur en grand préconise à juste titre comme gage de succès, et ces prétentions sont légitimées par la beauté des résultats obtenus. Je passe donc à des opérations d’un tout autre genre exécutées en grand dans l’établissement gigantesque de M. Oudry, ayant pour collaborateur M. Levret, officier distingué de notre savante marine française. Là on fait toutes les pièces d’ornementation, de bijouterie même, que j’ai signalées dans les travaux de M. Coblence : la gravure en taille-douce, le clichage, la reproduction des médailles avec plusieurs enveloppes de divers métaux, comme l’avait déjà fait M. Hulot ; mais c’est dans l’industrie des grandes pièces, et surtout pour la marine, qu’il y a chez M. Oudry du nouveau et de l’étonnant. C’est le dernier type que je prendrai pour les progrès de l’art.

On peut dire que M. Oudry change tous les métaux, non pas en or comme les alchimistes, mais bien en cuivre. D’immenses tuyaux de conduite, des rouleaux pour l’impression des étoffes, sont revêtus en dedans et en dehors d’une épaisseur considérable de ce métal, bien moins altérable que le fer. Des chaînes de marine de grande force, des cornières en fonte, des clous de doublage, des candélabres immenses, de hautes grilles, deviennent inaltérables même à l’eau de mer. La marine française a déjà accueilli plusieurs des produits de M. Oudry, et notamment pour l’habitacle des phares. On cite les Anglais et les Américains pour la hardiesse de leurs entreprises industrielles ; l’usine d’Auteuil ne leur cédera en rien. Il s’agit de doubler un navire en fer en le mettant dans une cale à flot et l’entourant d’un bain galvanoplastique. C’est gigantesque, mais cela n’implique rien d’impossible, et le tout est dans le prix de revient, qui semble n’être pas évalué trop bas par M. Oudry. Mais les navires en bois, comment les envelopper de cuivre ? Le doute était ici permis, ou même commandé par la nature du doublage que l’on avait en vue. Il ne semble pas facile au premier abord de fixer sur le bois une épaisseur de cuivre suffisante pour sa préservation. Or l’expérience a prononcé pleinement en faveur des prétentions de M. Oudry. De grandes planches, de celles mêmes qui constituent le bordage des vaisseaux, ont été doublées d’une épaisseur de cuivre de la plus parfaite régularité et d’une adhérence complète à l’aide de petits clous de cuivre incrustés dans le bois, et dont la tête se noie dans le dépôt galvanoplastique. Ces planches ainsi doublées ont un aspect magique, et leur grandeur éloigne toute idée de crainte sur la réussite du doublage d’un bâtiment entier de grandeur quelconque. Après cela, il ne semble plus possible de fixer de limite à la puissance de la galvanoplastie. On pourrait la définir l’art de faire sans la fonte et sans le feu tout ce qu’autrefois on faisait par ces deux moyens. L’école de Pythagore s’amusait de cette énigme : On voit l’homme souder l’airain sur l’homme au moyen du feu ! Le mot de l’énigme était la pose des ventouses. Avec la galvanoplastie, il n’y a pas de doute qu’on réussirait à bronzer une partie considérable d’un corps vivant. Dans l’usine de M. Oudry, tout est revêtu de cuivre, même les rails des petits chemins de service intérieurs.

Pour comparer le procédé galvanoplastique avec la fonte ordinaire, il faut d’abord savoir qu’une statue, un buste ne sont pas coulés pleins ; il y a un vide au milieu. En réalité, une figure de bronze se coule entre deux moules. L’un, grossièrement ébauché, est intérieur et fait de sable, de terre, de charbon pilé, enfin d’une substance qui puisse s’extraire facilement après le coulage. Ce moule intérieur est recouvert d’une couche de cire que le sculpteur travaille ensuite avec tout l’art dont il est capable. C’est cette cire qui est enveloppée d’un nouveau moule. On verse le métal fondu entre les deux moules ; la cire fond ou s’évapore, et le bronze la remplace.

Sequitur fugientem torridus humor.

Voyez sur cette opération les beaux vers du cardinal de Polignac dans l'Anti-Lucrèce. Le sable intérieur est ensuite concassé et retiré. Comme c’est la forme extérieure du métal qui en fait tout le mérite, on estime en général les bronzes légers : tels sont les bronzes antiques et les bronzes florentins de la renaissance ; mais il n’est rien de pareil à ce que peut donner en ce genre la galvanoplastie, et surtout celle de M. Lenoir. Il y a cependant des limites à tout, et ce sentiment artistique qu’on appelle le goût a tout autant de réalité que les formules de la géométrie. L’impératrice Joséphine, qui protégeait les arts du dessin à une époque où la guerre enlevait toute la population studieuse, avait eu l’idée de demander à plusieurs artistes des coupes et des urnes en bronze d’un modèle élégant : il en reste plusieurs dont la forme est gracieuse ; mais quelle fonte, bon Dieu ! Peu s’en faut que la pièce ne soit en bronze plein. On ne pouvait pas objecter ici la difficulté de faire un moule intérieur ; c’était plus facile que les bombes et les obus, que l’on fait par millions. Un antiquaire, possesseur d’une de ces urnes antiques (de forme), me faisait part de la persuasion où il était que c’était l’urne même dans laquelle Achille avait recueilli les cendres et les os de Patrocle. D’après le peu de creux que le fondeur avait laissé à ce bronze, on n’y aurait pas recueilli les cendres et les os d’un coq ou d’une oie. Il va sans dire que j’assurai l’heureux antiquaire que je ne voyais pas comment on pourrait nier son assertion. En fait d’antiquités, on me montrerait le rasoir de Tullus Hostilius, avec lequel le sacrificateur coupa la pierre qui servait à l’aiguiser, que je le reconnaîtrais pour parfaitement authentique.

Après avoir admiré les résultats de la galvanoplastie, il est une première question que chacun se pose ; on veut savoir comment ce dépôt solide est produit. Tout effet a une cause, et plus l’effet est remarquable, plus on tient à connaître la cause qui lui a donné naissance. Or dans la physique rien n’est si obscur que ces actions qui s’exercent entre les particules extrêmes des corps, lesquelles sont d’une ténuité extrême, mais en si grand nombre qu’elles produisent par leur ensemble ce qu’elles ne pouvaient faire individuellement. Depuis Newton, nous savons que toutes les substances matérielles exercent l’une sur l’autre une attraction même à de grandes distances. Deux corps que l’on met en présence, s’ils sont placés sur des supports assez mobiles, se mettent en mouvement l’un vers l’autre. Deux corps polis et bien plans, étant mis en contact, adhèrent fortement. Les ouvriers qui manient habilement la lime dressent deux lames de fer si exactement qu’elles arrivent au contact et se prennent fortement l’une à l’autre. Si on a deux balles de plomb et qu’avec un rasoir on enlève à chacune d’elles un petit morceau, puis qu’on rapproche les deux petites facettes rondes produites par le rasoir, on voit également qu’il naît une adhérence telle entre les deux balles que leur poids ne les détache pas l’une de l’autre ; souvent même cette adhérence résiste à des poids de plusieurs kilogrammes. IL n’est donc point étonnant que l’électricité, en apportant les particules métalliques et les déposant tout près l’une de l’autre, en construise un métal solide tel que nous l’aurait donné la fusion ; car si l’on y réfléchit bien, la fusion n’est aussi qu’un moyen d’exclure tout intermédiaire entre les particules du corps, et par suite de leur permettre d’exercer leur attraction mutuelle au moment où la chaleur se retirera.

Il reste à savoir comment le courant électrique s’empare des particules, et les voiture jusqu’à ce qu’il arrive au point où, s’affaiblissant par diffusion, il abandonne ce qu’il entraînait. Or c’est ici de la physique théorique, et la question rentre dans un tout autre ordre d’idées que celles que nous devons aborder en ce moment.

J’ai déjà dit et répété que la terre dans son ensemble, à cause des courans électriques qui la parcourent de l’est à l’ouest, est une vaste usine galvanoplastique où l’espace et le temps ont produit de curieux effets. Les filons métalliques qui occupent les fentes des grandes masses continentales semblent des dépôts produits par la galvanoplastie de la nature. Quel sera l’industriel qui saura, pour son profit et pour l’avantage de l’humanité, faire travailler ces courans électriques, qui ne coûtent rien ? Jusqu’ici, à ma connaissance, le seul travail qu’on leur ait demandé, ç’a été de remonter une pendule, en sorte que celle-ci va toute l’année sans qu’on ait besoin d’y toucher. C’est un bien mince résultat. De tous les genres de travail, la galvanoplastie me semble celui auquel les forces électriques de la nature s’appliqueraient le plus immédiatement et le plus avantageusement. L’industrie des métaux a toujours rivalisé avec l’agriculture comme source de la richesse. L’Angleterre, avec la partie combustible de son sol, extrait le fer contenu dans l’autre partie et l’exporte avec un avantage immense. Y aurait-il quelque espoir de retirer le fer galvanoplastique de la terre avec les courans de la terre elle-même, comme on retire le cuivre et l’argent par ce procédé ? Il faut convenir que le fer est bien difficile à extraire, mais il est bien utile et d’un emploi bien général. Midas et Cinyras, ces deux personnifications de la richesse dans l’antiquité, me semblent marquer l’époque où l’extraction du fer a succédé à celle du cuivre, qui a devancé l’autre de bien des siècles. Virgile nous peint la terre d’Amathonte, où régnait Cinyras, comme enceinte de métaux :

Gravidam que Amathonta metallis.

Il en dit à peu près autant de l’île d’Elbe (Ilva). La Phrygie de Midas n’était pas moins riche en minerais. Or, dans les localités où les forces de la nature ont déposé électriquement des métaux, ces forces électriques doivent encore subsister. Pourrait-on les utiliser ? Laissons au temps à décider la question. Au reste, je n’ai voulu indiquer ici que les progrès récens de la galvanoplastie. C’est donc de son présent qu’il s’agit et non point de son passé, ou de son avenir. Sans tenir aux beaux-arts d’aussi près que la photographie, la galvanoplastie, par sa fixation des formes, rentre dans leur domaine. Notre siècle, en faisant travailler la lumière et l’électricité, leur a demandé ce qui était dans la nature de chacune. La lumière a fait des tableaux, l’électricité a fait de la statuaire.

Babinet, de l’Institut.



V. de Mars.