Sur le recrutement des écoles normales

Sur le recrutement des écoles normales
Revue pédagogique, second semestre 1883 (p. 347-348).

Sur le recrutement des écoles normales.

Une école préparatoire est nécessaire pour assurer le bon recrutement des écoles normales.

Il nous est très difficile, à nous instituteurs, de préparer directement les jeunes gens à l’école normale. Si nous avons un aspirant, nous devons le garder jusqu’à quinze ou seize ans ; nous ne pouvons avoir une première division dont les élèves soient aussi avancés que cet aspirant ; nous voilà donc obligés de lui donner des leçons particulières ; si nous les donnons pendant les heures de classe, nous négligeons les autres élèves, qui forment la presque totalité ; Îles donnons-nous après, ce qui arrive forcément, surcroît de travail pour nous, perte de force et d’énergie pour la classe du lendemain. Malgré tout, nous ne pouvons en général donner une instruction aussi soignée que les professeurs d’une école spéciale ; et puis, comme l’a dit M. Lebrun, le stimulant, l’émulation fait défaut à l’élève.

Est-ce l’école primaire supérieure qui préparera les futurs élèves-maîtres ? Mais une école primaire supérieure n’est pas une école spéciale : elle prépare des agriculteurs, des industriels, des commerçants, non exclusivement des instituteurs. Or, si chacun doit être élevé en vue de son état à venir, à plus forte raison le futur instituteur a-t-il le droit d’être formé en vue de sa profession. Il lui faut pour sa préparation un milieu spécial, un esprit professionnel qui favorisent sa vocation et tournent toutes ses forces, toutes ses pensées vers l’éducation. Où sont ce milieu, cet esprit ? à l’école normale.

En un mot, l’école primaire élémentaire ne peut guère préparer des élèves-maîtres ; l’école primaire supérieure n’est pas faite pour eux, : la conclusion se tire d’elle-même. Voyons les objections. L’entretien des enfants à l’école préparatoire coûtera cher aux familles. — Mais la plupart d’entre elles sont en état de faire un sacrifice d’un millier de francs ; il serait institué des bourses pour les enfants d’indigents.

La construction du local nécessitera de gros frais. — Depuis quelques années la France ne s’arrête plus devant de pareilles objections, quand les dépenses sont jugées nécessaires et d’un intérêt général.

Le recrutement des écoles primaires supérieures sera compromis. — On pourrait répondre à cela que les écoles primaires supérieures sont faites pour les élèves qui en ont besoin, et non les aspirants élèves-maîtres pour les écoles primaires supérieures. Mais non : ces dernières trouveront, et heureusement, des élèves en dehors des futurs instituteurs.

L’instituteur sera privé de sa joie et de sa gloire en perdant ses meilleurs élèves à l’âge de treize ou quatorze ans. — Mais son suprême honneur consiste dans une classe bien tenue pour la masse des élèves, et, si l’on veut, dans un grand nombre de certificats d’études. Aller au delà, garder les jeunes gens jusqu’à seize ans, ce n’est plus son rôle : à chacun sa tâche. D’ailleurs il restera libre de le faire ; et si l’on objectait que la concurrence deviendra impossible avec une école préparatoire spéciale, un tel aveu serait la meilleure preuve de la nécessité de cette école.

En résumé, la meilleure école pour les futurs élèves-maîtres serait une école préparatoire annexée à l’école normale, sans compter que cette école serait aussi très utile à la préparation professionnelle des candidats au professorat, à Saint-Cloud, à la direction des écoles supérieures.

Comment serait organisée cette école ? C’est là une autre question qui pourra être résolue le jour où un grand mouvement d’opinion se sera manifesté en faveur du principe même de sa nécessité.

A. Bidart,
Instituteur.