Sur le pont d’Iéna

Les Baisers
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 25-26).




VIII.


SUR LE PONT D’IÉNA.





 
Singulier rendez-vous ! — Oui, c’était un jeudi,
A la fin de janvier ; il faisait clair de lune.

Les glaçons charriés par le fleuve engourdi
Nous rappelaient, si blancs sur l’eau luisante et brune,
Les larges nénuphars cueillis pendant l’été…

Va ! sur ce pont désert, sous cette bise rêche,

Nous n’avions froid ni l’un ni l’autre en vérité !
Seulement, mon cher cœur, ta joue était si fraîche !…

Ta lèvre était tantôt glacée, ô mon amour,
Comme une fraise encore humide de rosée,
Et tantôt tiède ainsi qu’une fraise exposée
Au soleil, et qu’on cueille à la chute du jour…

Tandis que la rivière où le gaz se reflète,
Avec un cliquetis doux et charmant filait,
Dans chacun de tes yeux, à travers la voilette,
Une petite lune exquise étincelait !