Sur la voie glorieuse/Trois lettres

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 73-82).


TROIS LETTRES


AU DIRECTEUR DU « CLARION »
DE LONDRES


RÉPONSE


15 avril 1915.


Cher Confrère,

Je l’ai dit très haut dès le début de la guerre ; je ne puis que le répéter :

Les alliés doivent à l’Europe entière et se doivent à eux-mêmes de poursuivre la guerre libératrice jusqu’à l’étouffement complet des aspirations pangermanistes qui ont troublé l’Europe pendant quarante ans.

Il leur faut, au prix des plus cruels sacrifices, détruire jusque dans ses racines la puissance militaire de l’Allemagne et de l’Autriche allemande.

Le désarmement des Allemagnes importe à la paix du monde, si chère à nos cœurs. Nous devons léguer à nos enfants une Europe délivrée de la menace teutonne.

Point de paix, point de trêve avant que l’ennemi du genre humain ne soit terrassé !

Je vous serre la main cordialement et en bon allié.


AUX LECTEURS DU « NOVOSTI »
« LES NOUVELLES »
JOURNAL RUSSE PUBLIÉ À PARIS


Liberté, liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs !


26 avril 1915.


Amis, cette guerre que nous n’avons pas voulue, nous la ferons jusqu’au bout ; nous poursuivrons notre œuvre terrible et bienfaitrice jusqu’à son entier accomplissement, jusqu’à la destruction totale de la puissance militaire de l’Allemagne.

Nous aimons trop la paix pour la souffrir louche, fausse ou débile. Nous la voulons grande et forte, assurée d’une longue et haute destinée.

Je l’ai dit dès le début de la guerre, je ne me lasserai point de le répéter. La paix, cette paix si chère, si précieuse, il est criminel de l’appeler, criminel de la désirer avant d’avoir réduit à néant les forces d’oppression qui pèsent sur l’Europe depuis un demi-siècle, avant d’avoir préparé le règne auguste du droit.

Jusque-là nous ne devons parler que par la bouche de nos canons. Il ne faut pas que tant de héros aient péri en vain.

Notre heure, l’heure de la justice est proche. La liberté combat avec nous. Le triomphe est certain.


À M. ENGLISH WALLING
NEW-YORK


Cher Confrère,

Ainsi que votre jugement droit et votre intelligence pénétrante vous l’ont fait comprendre, ce serait une grande et dangereuse erreur que de croire que la paix est possible et qu’elle est souhaitable en ce moment.

L’idée qu’on sème en Amérique à cette heure, de hâter la fin de la guerre en prohibant l’exportation des armes et munitions, ne procède pas, je vous le jure, d’une inspiration française. J’ajoute qu’elle ne procède pas non plus d’une inspiration vraiment humaine. Car ni la France et ses alliés, ni le monde entier ne gagneraient rien à une paix qui laisserait subsister cette cause perpétuelle de guerre qu’est le militarisme allemand.

Non certes, l’humanité n’y gagnerait rien et elle y perdrait la sécurité, la liberté et jusqu’à l’espérance.

Ce sont là des considérations de nature à toucher fortement, je crois, la nation américaine si énergique, si maîtresse d’elle-même et si jalouse de son indépendance.

Tous les partis en France, socialistes, nationalistes, radicaux, sont unis dans une même pensée, dans un même sentiment, dans une même intention : libérer l’Europe en brisant le formidable instrument d’oppression que l’Allemagne a forgé et qui, depuis quarante ans, pèse d’un poids inique sur notre vieux monde.

Tel est notre devoir envers la France, envers nos alliés, envers nous-mêmes. Il s’impose à nos socialistes aussi impérieusement, pour le moins, qu’à tout autre des partis politiques et sociaux, maintenant unis et confondus.

Ce devoir que nous accomplirions jusqu’au bout à travers les plus terribles épreuves, au prix des plus cruels sacrifices, ce devoir sacré, comment songerions-nous à nous y soustraire, alors que pour nous en acquitter, il nous suffira d’un effort, rude sans doute, terrible peut-être, mais heureux et décisif, alors que la récompense de notre confiance est certaine, alors que nous voyons le signe de notre triomphe se lever à l’horizon ?

Il ne faut pas que le sang de nos frères, de nos enfants, tombés pour la cause de la justice et de la liberté, crie contre nous. Nous devons à leur mémoire d’achever leur ouvrage. Nous devons aux héros et aux justes morts devant l’ennemi une tombe tranquille, où les lauriers ni les oliviers ne meurent jamais.

Nous aimons trop la paix pour lui donner un berceau vil et honteux ; nous aimons trop la paix pour ne pas la vouloir grande, pure, radieuse, assurée d’une longue destinée.

Nous n’avons rien à craindre du temps : il travaille pour la France et ses alliés. Notre armée est plus forte que jamais. La Russie est inépuisable en hommes et en blé. L’Angleterre, dont on sait la constance, développe sans cesse ses ressources et son action. L’Allemagne, à qui la mer, dispensatrice des richesses, est fermée, doit périr misérablement. Et ce serait à la veille du gain assuré que nous trahirions par une défaillance honteuse ou par une sensibilité maladive, la cause du droit que le destin a remise en nos mains !

Non ! non, Français, nous sommes unanimes à combattre jusqu’à la victoire finale.

Pour moi, si j’apprenais que des Français se laissaient séduire par le fantôme voilé d’une paix hideuse, je demanderais au Parlement de déclarer traître à la Patrie quiconque proposerait de traiter avec l’ennemi tant qu’il occupe encore une partie de notre territoire et celui de la Belgique.