Sur la voie glorieuse/Soissons

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 41-42).


SOISSONS


Je venais de lire dans un journal que les Allemands qui bombardent Soissons depuis quatre mois, ont envoyé quatre-vingts obus sur la cathédrale. Un instant après le hasard me remit sous les yeux un livre de M. André Hallays, où je trouvais ces lignes que je prends plaisir à transcrire :

« Soissons est une cité blanche, paisible, souriante, qui dresse sa tour et ses clochers aigus au bord d’une rivière paresseuse, au milieu d’un cercle de collines vertes ; ville et paysages font songer aux petits tableaux que peignaient avec amour les enlumineurs de nos vieux manuscrits… De précieux monuments montrent toute l’histoire de la monarchie française, depuis les cryptes mérovingiennes de l’abbaye de Saint-Médard, jusqu’au bel hôtel élevé à la veille de la Révolution pour les intendants de la province. Au milieu des rues étroites et des petits jardins, une magnifique cathédrale étend les deux bras de son grand transept ; au nord, un mur droit et une immense verrière ; au sud, cette merveilleuse abside où l’ogive et le plein cintre se combinent d’une façon si délicate. »

(Autour de Paris, p. 207.)

Cette page charmante d’un écrivain qui aime chèrement les villes et les monuments de la France m’a touché jusqu’aux larmes. Elle a charmé ma tristesse ; j’en veux remercier publiquement mon confrère.

La destruction brutale et stupide des monuments consacrés par l’art et les ans est un crime que la guerre n’excuse pas ; qu’il soit pour les Allemands un éternel opprobre ! Un poète de grand cœur, Saint-Georges de Bouhélier, a rédigé un mémoire qu’on pourrait appeler Reims vengée. Le monde civilisé flétrit unanimement ces attentats à la beauté, qui devrait être sacrée à tous les peuples, puisqu’elle est le patrimoine le plus noble de l’humanité tout entière. Pour moi, je ne cesserai d’élever ma faible voix contre les barbares qui déchirent la belle robe de pierre dont nos aïeux ont paré la France.

(Journal des Débats, 17 janvier 1915.)