Mon frère, en réponse à ta lettre
Du mois dernier, où tu m’écris
Qu’il est temps de songer à mettre
Mon fils au collège, à Paris,
Je regrette de te le dire,
Mais, chez nous, il suffit, pour soi,
Qu’on sache compter, lire, écrire,
Comme moi.
Tu dis que dans la grande ville,
Pour faire sa position,
Aujourd’hui, c’est très difficile
Quand on n’a pas d’instruction.
Quand on en a, c’est même chose,
Nous le voyons dans le journal :
Cent avocats pour une cause !
Cent docteurs pour soigner un mal !
On voit des bacheliers minables,
Se louer pour un examen
Comme un valet !… Les pauvres diables
Mangent aujourd’hui… mais, demain,
Ils iront crier dans la rue :
La Carmagnole !… À bas la loi !
Non, mon fils aura sa charrue…
Comme moi.
Et, comme moi, d’un geste large
Il fécondera les sillons…
Puis, quand on sonnera la charge
Pour entraîner nos bataillons,
Il ira défendre sa terre,
Son foyer, son drapeau, sa foi…
Puis il mourra propriétaire…
Comme moi.
Novembre, 1896.
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