Sur la pénétration du polonium dans le plomb

Sur la pénétration du polonium dans le plomb
Journal de Physique et le Radium - 1929 - vol. 10 (extrait Sur la pénétration du polonium dans le plomb) (p. 78-80).

SUR LA PÉNÉTRATION DU POLONIUM DANS LE PLOMB,

par Mlle  E. MONTEL.
Institut du Radium, Paris.

Sommaire. Le phénomène a été étudié par la méthode photographique, en appliquant fortement la gélatine contre le verso de feuilles minces de plomb dont la face porte le dépôt de substance active. Les dépôts de polonium out été faits en solution légèrement chlorhydrique. Il est essentiel d'employer des solutions très soigneusement purifiées afin d'éviter toute action d'un rayonnement pénétrant. Dans ces conditions, on obtient, quelques jours à quelques semaines après le dépôt, une impression photographique eu forme de fin réseau, dont l'ensemble correspond à la forme de la photographie directe de la source. Si, avant le dépôt, on a chauffé les lames près de la fusion après les avoir étirées légèrement, pour avoir des cristaux macroscopiques faciles à photographier, on constate que le réseau reproduit exactement la forme de leurs contours. Le polonium traverse donc l'épaisseur de feuilles minces de plomb en passant par les failles qui existent entre les cristaux : ces failles sont étanches à la lumière et aux gaz. La présence d'acide serait nécessaire à la production du phénomène.


Dans son travail sur la détermination de la période du polonium, Mlle Maracineanu[1] avait, signalé, parmi les causes d'erreur à envisager, la possibilité de pénétration de cette substance dans les supports métalliques, notamment dans le plomb. Le phénomène, tel qu'il était décrit par l'auteur, ne paraissait pas explicable par une diffusion du polonium dans le métal. D'autre part, Mlle Rona et M. Schmidt[2], dans leur étude de la vitesse de diffusion du polonium dans un grand nombre de métaux, n'ont pas confirmé les résultats obtenus par Mlle Maracineanu : ils ont toujours trouvé, pour le plomb comme pour tous les autres métaux examinés, une vitesse normale de diffusion.

1. — J'ai repris, dans le cas du plomb, l'étude de ce phénomène de la manière suivante : Une goutte de solution active très légèrement chlorhydrique étant déposée électrolytiquement[3] sur une feuille mince de plomb, j'ai recherché la présence du polonium sur l'autre face par la méthode photographique. Les lames employées étaient soigneusement planées et fortement appliquées contre la couche sensible à l'aide d'une lourde brique de plomb. Dans les premières expériences, le polonium utilisé provenait directement d'une solution de Ra D + E dont il avait été extrait par le procédé ordinaire de dépôt sur une lame d'argent. J'ai obtenu au verso, par des poses de 15 à 21 heures, des impressions dont la forme correspondait exactement à celle de la photographie directe de la source. Ces taches ont une apparence floue qui diffère de l'aspect habituel des impressions données par les rayons alpha. Les lames observées au verso, en ne laissant à découvert que la portion de surface correspondante à l'endroit du dépôt sur l'autre face, ne présentent en effet pas de scintillations. L'impression photographique obtenue est donc due à un rayonnement pénétrant. Pour en déterminer la nature et savoir si ce rayonnement était issu de la source ou excité dans le métal sous l'effet du bombardement des particules alpha, j'ai pris des solutions de polonium semblables aux précédentes auxquelles j'ai ajouté une petite quantité de solution de radium +E (l'intensité du rayonnement beta du Ra E était de quelques millièmes d'unité E. S. pour une activité alpha de l'ordre de l'unité). Les impressions obtenues se sont montrées tout à fait semblables aux précédentes, et la durée de pose nécessaire pour avoir un effet photographique d'une certaine intensité est en raison inverse de l'activité beta de la source. Les solutions considérées comme pures d'après les mesures électrométriques, contiennent donc encore des traces d'impuretés émettant un rayonnement pénétrant non décelable à l'électroscope, mais que peut déceler la plaque photographique beaucoup plus sensible en raison de l'addition des effets pendant une pose suffisamment longue. Pour obtenir une certitude, j'ai fait la contre-épreuve suivante : j'ai repris les solutions d'abord utilisées et je les ai purifiées en recommençant deux ou trois fois de suite l'extraction du polonium par le même procédé : la durée de pose nécessaire pour obtenir une impression photographique de même intensité croit progressivement ; avec les solutions les plus pures que j'ai utilisées, je n'ai pas obtenu d'impression par une pose de sept jours.

2. — Toutefois, un certain temps après le dépôt de la substance active, apparaît un autre phénomène, qui se superpose au précédent dans le cas où la solution employée n'était pas tout à fait pure : on obtient des impressions d'aspect très différent, discontinu, en forme de réseau (figure 1) d'abord à peine indiqué, puis de plus en plus net et intense. Il s'agit, dans ce cas, d'une action due à des particules alpha : en effet, une lame qui ne présentait dès après le dépôt ni scintillations, ni courant d'ionisation au verso, manifeste ces deux phénomènes au bout d'un temps variable avec l'épaisseur de la lame et l'intensité de la source. Une faible partie de la substance active a donc pénétré dans le métal, assez profondément pour se trouver à une distance de l'autre face inférieure au parcours du polonium dans le plomb. L'ensemble du réseau présente encore la forme générale de l'impression donnée directement par la source ; de plus, les scintillations observées au verso, très rares en d'autres points, sont assez abondantes à l'endroit correspondant au dépôt. On peut donc affirmer que le polonium a bien traversé l'épaisseur de la feuille de métal, et n'est pas simplement arrivé sur la face opposée à la source en cheminant le long de la surface, ou encore par contamination, selon les suppositions émises par Mlle Rona et M. Schmidt pour expliquer les résultats des expériences de Mlle Maracineanu. Je dois mentionner que, parmi les photographies que j'ai obtenues au verso des lames étudiées, un certain nombre mettent en évidence le phénomène particulier des groupements d'atomes signalé par Mlle Chamié[4] et spécialement étudié par elle dans diverses autres conditions (figures 4 et 5).

3. — L'épaisseur des lames étudiées a varié de 4/100 à 1/10 mm, et l'intensité des sources, de quelques dixièmes d'unité à quelques unités E. S. Le phénomène est d'autant plus rapide que la lame est plus mince et la source plus forte, sans qu'il soit possible d'observer une proportionnalité. Avec les lames les plus minces, on l'obtient dès le lendemain ; avec celles de 0,07 à 0,10 mm, le réseau, à peine indiqué quelques jours après le dépôt, devient très net et beaucoup plus intense au bout de quelques semaines. Les temps de pose utilisés ont varié de 18 heures à cinq jours. Une intensité de 2 ou 3 U. E. S. convient très bien pour les lames de 0,07 ou 0,08 mm, et donne de bonnes photographies par des poses de 18 heures, deux ou trois semaines après le dépôt de polonium. Pour les lames étudiées à l'électroscope, le rapport des intensités des courants d'ionisation donnés par le verso et la face, s'est montré de l'ordre du millième.

4. — Les observations précédentes sont en accord avec les faits anciennement signalés par Mlle Maracineanu. D'autre part, la rapidité du phénomène et l'aspect caractéristique des impressions obtenues éliminent l'hypothèse d'une véritable diffusion du polonium dans le métal, et ceci en accord avec les conclusions de Mlle Rona et M. Schmidt. Il faut remarquer que les lames que j'ai employées ont été activées au moyen d'une solution acide, procédé également utilisé par Mlle Maracineanu, tandis que Mlle Rona et M. Schmidt ont déposé le polonium par volatilisation. Tl y a donc lieu de croire que la présence d'une petite quantité d'acide, même très faible, est nécessaire à la production du phénomène. L'aspect singulier, en réseau, des impressions obtenues, a suggéré à M. Holweck l'idée que la pénétration de la substance active s'effectuerait suivant les failles des cristaux. Mais les dimensions microscopiques des cristaux dans les lames ordinaires rendent impossible la vérification de cette hypothèse. Pour étudier plus particulièrement ce point, j'ai utilisé le procédé suivant : en étirant une feuille de plomb de quelques pour cent et la chauffant ensuite juste avant la fusion, on obtient des cristaux de dimensions beaucoup plus grandes, visibles à l'oeil nu et faciles à photographier ; dans certains cas, j'ai pu avoir des cristaux dont la surface suivant le plan de la lame est de plusieurs millimètres carrés. Un même cristal occupe dans ces conditions l'épaisseur totale de la lame ; en le photographiant en lumière réfléchie et déposant ensuite à sa surface la substance active, on constate que l'impression obtenue au verso reproduit très fidèlement la forme de son contour (figures 7 et 8, 9 et 10, 11 et 12). Le polonium traverse donc l'épaisseur d'une mince lame de plomb au niveau des surfaces de séparation des cristaux qui composent le métal. Il y a, au niveau de ces failles, une zone singulière au point de vue de la distribution des atomes métalliques, et il est probable qu'une petite quantité d'acide donne lieu en cet endroit à une action chimique qui favorise le passage des atomes de polonium. Sur les dimensions de ces failles, il n'est possible actuellement de donner aucune indication précise, mais j'ai vérifié que les lames employées ne laissent rien filtrer d'une vive lumière, et M. Holweck, qui a bien voulu se charger d'en examiner quelques-unes au point de vue de leur étanchéité aux gaz, a constaté que pendant une durée de 24 heures elles maintenaient sans modification, dans un appareil à vide, une pression de l'ordre de 100 mu Hg.

Ce travail a été fait au laboratoire de Mme P. Curie, à qui j'exprime toute ma reconnaissance pour la bienveillance avec laquelle elle a bien voulu s'y intéresser.


  • Manuscrit reçu le 22 février 1929.


  • PLANCHES I et II.
  • Figure 1. — Impression au verso d'une lame à cristaux microscopiques trois semaines après le dépôt de Po. Grossissement 4 diamètres.
  • Fig. 2 et 3. — Impression au verso de lames représentant un gros cristal entouré de petits cristaux. Grossissement 4.
  • Fig. 4. — Impression au verso d'un groupe de gros cristaux. Grossissement 4.
  • Fig. 5. — Groupements d'atomes au verso d'une lame portant du Po. Grossissement 50.
  • Fig. 6. — Autre forme de groupements d'atomes. Grossissement 30.
  • Fig. 7. — Même impression que figure 2. Grossissement 10.
  • Fig. 8. — Photographie du gros cristal prise du côté où a été fait le dépôt de substance active. Grossissement 10.
  • Fig. 9. — Une partie de l'impression dont l'ensemble est représenté figure 3. Grossissement 10.
  • Fig. 10. — Photographie du cristal correspondant. Grossissement 10.
  • Fig. 11. — Une partie de l'impression représentée figure 4. Grossissement 10.
  • Fig. 12. — Photographie du cristal correspondant. Grossissement 10.


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  1. Mlle Stefania MARACINEANU. C. R., t. 176 (1923), p. 1819 ; t. 177 (1923), p. 1215 ; t. 181 (1925), p. 774 ; t. 183 (1925), p. 345 ; Thèse de doctoral, Paris (1924).
  2. Mlle Elizabeth RONA et E.A.W. Schmidt, Wien, Rer., t. 136 (1927), 65-73 ; numéro 198.
  3. Mlle Irène CURIE, J. Chim. phys., t. 22 (1925), numéro 7.
  4. Mlle Catherine CHAMIE, C. R. t. 184 (1927), p. 1243 ; C. R., t. 185 (1927), p. 776 et 1277 ; C. R., t. 186 (1928), p. 1838 ; J. Phys., t. 10 (1929), p. 44.