Sur la mort, conformément aux principes du Christianisme (1803)

Poésies de Chaulieu et du marquis de La Fare
(p. 1-4).


Au marquis de La Fare.
SUR LA MORT,
CONFORMÉMENT AUX PRINCIPES DU CHRISTIANISME.
1695.



J’ai vu de près le Styx, j’ai vu les Euménides ;
Déjà venoient frapper mes oreilles timides
Les affreux cris du chien de l’empire des morts ;
Et les noires vapeurs, et les brûlants transports


Alloient de ma raison offusquer la lumière :
C’est lors que j’ai senti mon âme tout entière,
Se ramenant en soi, faire un dernier effort
Pour braver les erreurs que l’on joint à la mort.
Ma raison m’a montré (tant qu’elle a pu paroître)
Que rien n’est en effet de ce qui ne peut être ;
Que ces fantômes vains sont enfants de la peur
Qu’une foible nourrice imprime en notre cœur,
Lorsque de loups-garoux, qu’elle-même elle pense,
De démons et d’enfer elle endort notre enfance.

Dans ce pénible état, mon esprit abattu
Tâchoit de rappeler sa force et sa vertu ;
Quand du bord de mon lit une voix menaçante,
Des volontés du ciel interprète effrayante,
Tremble, m’a-t-elle dit, redoute, malheureux,
Redoute un Dieu vengeur, un juge rigoureux :
Tes crimes ont déjà lassé sa patience ;
Mais ce Dieu vient enfin, et tes égarements,
Mis dans son austère balance,
Vont bientôt éprouver, sans grâce et sans clémence,
La rigueur de ses jugements.

Mon cœur à ce portrait ne connoît pas encore
Le Dieu que je chéris, ni celui que j’adore,
Ai-je dit : eh ! mon Dieu n’est point un Dieu cruel ;
On ne voit point de sang ruisseler son autel ;
C’est un Dieu bienfaisant, c’est un Dieu pitoyable,
Qui jamais à mes cris ne fut inexorable.
Pardonne alors, Seigneur, si, plein de tes bontés,
Je n’ai pu concevoir que mes fragilités,

Ni tous ces vains plaisirs qui passent comme un songe,
Pussent être l’objet de tes sévérités,
Et si j’ai pu penser que tant de cruautés
Puniroient un peu trop la douceur d’un mensonge.

Eh quoi ! disois-je, hélas ! au fort de mes misères,
Ce Dieu dont on me peint les jugements sévères,
C’est le Dieu d’Israël, c’est le Dieu de nos pères,
Oui, toujours envers eux si prodigue en bienfaits,
A pour les secourir oublié leurs forfaits ;
C’est ce Dieu qui pour eux renversa la nature,
Et qui, pour leurs soulagements,
Força même les éléments
À rompre cet ordre qui dure
Depuis la naissance des temps ;
Et c’est ce même Dieu de qui la main puissante
De ma frêle machine ajusta les ressorts,
Et, dès-lors qu’elle est chancelante,
Rallume mon esprit, et ranime mon corps !
Son souffle m’a tiré du sein de la matière ;
C’est lui qui chaque jour me prête sa lumière ;
Lui, dont, malgré mes maux et l’état où je suis,
Je compte les bienfaits par les jours que je vis :
En ce Dieu de pitié j’ai mis ma confiance ;
Trop sûr de ses bontés, je vis en assurance
Qu’un Dieu, qui par son choix au jour m’a destiné,
À des feux éternels ne m’a point condamné.

Voilà par quels secours mon âme défendue
A banni les terreurs dont on l’a prévenue,

Et, sans vouloir braver le céleste pouvoir,
A fait céder la crainte aux douceurs de l’espoir.

Ami de qui pour moi l’amitié tendre et sûre
Fit que pour toi mon cœur n’eut jamais de détours,
J’ai voulu te tracer la fidèle peinture
Des mouvements de la nature,
Au moment que j’ai cru voir terminer mes jours.
À ne rien déguiser cet instant nous convie :
Et j’ai cru que c’étoit, ami, te faire tort,
Si, ne t’ayant jamais rien caché de ma vie,
J’avois pu te cacher mes pensers sur la mort.