Sur la mort, conformément aux principes des Épicuriens (1803)

Poésies de Chaulieu et du marquis de La Fare
(p. 9-13).


À madame la duchesse de Bouillon.
SUR LA MORT,
CONFORMÉMENT AUX PRINCIPES DES ÉPICURIENS.
1700.



Princesse, en qui l’art de plaire
Est un talent naturel ;
Toi, dont le nom immortel
Dans le temple de Cythère
Aura toujours un autel,
Tant qu’on y célèbrera
L’esprit, la grâce et les charmes,
Et qu’Ovide y chantera
Les beautés à qui Rome avoit rendu les armes ;
Bouillon, je veux que ma muse,
Philosophe en ses chansons,
De ses morales leçons
Et t’instruise et t’amuse ;
Surtout que leur vérité,
Quoique parfois renfrognée,

Semble pourtant être née
Du sein de la volupté.

Apprends à mépriser le néant de la vie.
Songe qu’au moment que je veux
Enseigner l’art de vivre heureux,
Elle s’en va m’être ravie.
Les dieux sans m’appeler ont commencé son cours ;
Ils ont fixé sans moi le nombre de mes jours ;
Et quand leur haine m’a fait naître,
Leur pitié ne me laisse maître
Que de l’instant présent dont j’ai droit de jouir.
Tandis que je m’en plains, il va s’évanouir.
Mais bien loin que la vitesse
Dont s’écoulent nos beaux ans
Soit un sujet de tristesse,
Il faut que notre sagesse
Tire de la fuite du temps,
De la mort, de nos maux, et de notre foiblesse,
Les raisons de nous réjouir.

Aux pensers de la mort accoutume ton âme ;
Hors son nom seulement elle n’a rien d’affreux.
Détachez-en l’horreur d’un séjour ténébreux ;
De démons, d’enfer et de flamme,
Qu’aura-t-elle de douloureux ?
La mort est simplement le terme de la vie ;
De peines ni de biens elle n’est point suivie :
C’est un asile sûr, c’est la fin de nos maux,
C’est le commencement d’un éternel repos ;

Et pour s’en faire encore une plus douce image,
Ce n’est qu’un paisible sommeil,
Que, par une conduite sage,
La loi de l’univers engage
À n’avoir jamais de réveil.

Nous sortons sans effort du sein de la nature ;
Par le même chemin retournons sur nos pas :
Eh ! pourquoi s’aller faire une affreuse peinture
D’un mal qu’assurément on ne sent point là-bas ?
Que ces sages réflexions
Soient le principe de ta joie ;
Goûte l’erreur des passions,
Mais n’en deviens jamais la proie ;
Prends-les pour des amusements
Dont il faut égayer le temps
Que nous demeurons sur la terre :
Ce sont de secrets ennemis
Que la nature en nous a mis
Exprès pour nous faire la guerre ;
Défendons-nous sans la finir :
Ce sont des sujets peu fidèles ;
Mais ce sont des sujets rebelles
Que le bien de l’état empêche de punir.
Tranquille, attends que la Parque
Tranche, d’un coup de ciseau,
Le fil du même fuseau
Qui dévide les jours du peuple et du monarque.
Alors, contents du temps que nous aurons vécu,
Rendons grâces à la nature,

Et remettons-lui sans murmure
Ce que nous en avons reçu.

Cependant jetons des roses ;
Je les vois avec les lis
Briller, fraîchement écloses,
Sur le teint de ma Phyllis.

Viens, Phyllis, avec moi, viens passer la soirée ;
Qu’à table les Amours nous couronnent de fleurs ;
De myrte, comme toi, que leur mère parée
Vienne de mon esprit effacer ces noirceurs :
Et toi, père de l’alégresse,
Viens à l’ardeur de ma tendresse,
Bacchus, joindre ton enjoûment ;
Viens sur moi d’une double ivresse
Répandre tout l’enchantement.

À l’envi de tes yeux vois comme ce vin brille :
Verse-m’en, ma Phyllis ; et noye de ta main,
Dans sa mousse qui pétille,
Les soucis du lendemain.

Ainsi l’on peut passer avec tranquillité
Les ans que nous départ l’aveugle destinée,
Et goûter sagement la molle oisiveté
D’une paresse raisonnée.

Princesse, puissiez-vous comprendre par ma voix
Un léger crayon des lois
Que la prudente nature
Dictoit en Grèce autrefois
Par la bouche d’Épicure,


Cet esprit élevé, qui, dans sa noble ardeur,
S’envola par-delà les murailles du monde,
Affranchit les mortels d’une indigne terreur,
Et bannit, le premier, de la machine ronde
Les enfants de la peur, le mensonge et l’erreur !