Sur la dynamique de l’électron (juin)

Sur la dynamique de l’électron (juin)
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Sur la dynamique de l’électronComptes Rendus de l’Académie des Sciences, p. 1504–1508.

ÉLECTRICITÉ. — Sur la dynamique de l’électron.
Note de M. H. Poincaré.


Il semble au premier abord que l’aberration de la lumière et les phénomènes optiques qui s’y rattachent vont nous fournir un moyen de déterminer le mouvement absolu de la Terre, ou plutôt son mouvement, non par rapport aux autres astres, mais par rapport à l’éther. Il n’en est rien ; les expériences où l’on ne tient compte que de la première puissance de l’aberration ont d’abord échoué et l’on en a aisément découvert l’explication ; mais Michelson, ayant imaginé une expérience où l’on pouvait mettre en évidence les termes dépendant du carré de l’aberration, ne fut pas plus heureux. Il semble que cette impossibilité de démontrer le mouvement absolu soit une loi générale de la nature.

Une explication a été proposée par Lorentz, qui a introduit l’hypothèse d’une contraction de tous les corps dans le sens du mouvement terrestre ; cette contraction rendrait compte de l’expérience de Michelson et de toutes celles qui ont été réalisées jusqu’ici, mais elle laisserait la place à d’autres expériences plus délicates encore, et plus faciles à concevoir qu’à exécuter, qui seraient de nature à mettre en évidence le mouvement absolu de la Terre. Mais, si l’on regarde l’impossibilité d’une pareille constatation comme hautement probable, il est permis de prévoir que ces expériences, si on parvient jamais à les réaliser, donneront encore un résultat négatif. Lorentz a cherché à compléter et à modifier son hypothèse de façon à la mettre en concordance avec le postulat de l’impossibilité complète de la détermination du mouvement absolu. C’est ce qu’il a réussi à faire dans son article intitulé Electromagnetic phenomena in a system moving with any velocity smaller than that of light (Proceedings de l’Académie d’Amsterdam, 27 mai 1904).

L’importance de la question m’a déterminé à la reprendre ; les résultats que j’ai obtenus sont d’accord sur tous les points importants avec ceux de Lorentz ; j’ai été seulement conduit à les modifier et à les compléter dans quelques points de détail.

Le point essentiel, établi par Lorentz, c’est que les équations du champ électromagnétique ne sont pas altérées par une certaine transformation (que j’appellerai du nom de Lorentz) et qui est de la forme suivante :

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x, y, z sont les coordonnées et t le temps avant la transformation, x’, y’, z’ et t’ après la transformation. D’ailleurs ε est une constante qui définit la transformation


et l est une fonction quelconque de ε. On voit que dans cette transformation l’axe des x joue un rôle particulier, mais on peut évidemment construire une transformation où ce rôle serait joué par une droite quelconque passant par l’origine. L’ensemble de toutes ces transformations, joint à l’ensemble de toutes les rotations de l’espace, doit former un groupe ; mais pour qu’il en soit ainsi, il faut que l = 1 ; on est donc conduit à supposer l = 1 et c’est là une conséquence que Lorentz avait obtenue par une autre voie.

Soient ρ la densité électrique de l’électron, ξ, η, ζ sa vitesse avant la transformation ; on aura pour les mêmes quantités ρ’, ξ’, η’, ζ’ après la transformation


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Ces formules diffèrent un peu de celles qui avaient été trouvées par Lorentz.

Soient maintenant X, Y, Z et X’, Y’, Z’ les trois composantes de la force avant et après la transformation, la force est rapportée à l’unité de volume ; je trouve

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Ces formules diffèrent également un peu de celles de Lorentz ; le terme complémentaire en Σ X ξ rappelle un résultat obtenu autrefois par M. Liénard.

Si nous désignons maintenant par X1, Y1, Z1 et X’1, Y’1, Z’1 les composantes de la force rapportée non plus à l’unité de volume, mais à l’unité de masse de l’électron, nous aurons

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Lorentz est amené également à supposer que l’électron en mouvement prend la forme d’un ellipsoïde aplati ; c’est également l’hypothèse faite par Langevin, seulement, tandis que Lorentz suppose que deux des axes de l’ellipsoïde demeurent constants, ce qui est en accord avec son hypothèse l = 1, Langevin suppose que c’est le volume qui reste constant. Les deux auteurs ont montré que ces deux hypothèses s’accordent avec les expériences de Kaufmann, aussi bien que l’hypothèse primitive d’Abraham (électron sphérique). L’hypothèse de Langevin aurait l’avantage de se suffire à elle-même, puisqu’il suffit de regarder l’électron comme déformable et incompressible pour expliquer qu’il prenne quand il est en mouvement la forme ellipsoïdale. Mais je montre, d’accord en cela avec Lorentz, qu’elle est incapable de s’accorder avec l’impossibilité d’une expérience montrant le mouvement absolu. Cela tient, ainsi que je l’ai dit, à ce que l = 1 est la seule hypothèse pour laquelle l’ensemble des transformations de Lorentz forme un groupe.

Mais avec l’hypothèse de Lorentz, l’accord entre les formules ne se fait pas tout seul ; on l’obtient, et en même temps une explication possible de la contraction de l’électron, en supposant que l’électron, déformable et compressible, est soumis à une sorte de pression constante extérieure dont le travail est proportionnel aux variations du volume.

Je montre, par une application du principe de moindre action, que, dans ces conditions, la compensation est complète, si l’on suppose que l’inertie est un phénomène exclusivement électromagnétique, comme on l’admet généralement depuis l’expérience de Kaufmann, et qu’à part la pression constante dont je viens de parler et qui agit sur l’électron, toutes les forces sont d’origine électromagnétique. On a ainsi l’explication de l’impossibilité de montrer le mouvement absolu et de la contraction de tous les corps dans le sens du mouvement terrestre.

Mais ce n’est pas tout : Lorentz, dans l’Ouvrage cité, a jugé nécessaire de compléter son hypothèse en supposant que toutes les forces, quelle qu’en soit l’origine, soient affectées, par une translation, de la même manière que les forces électromagnétiques, et que, par conséquent, l’effet produit sur leurs composantes par la transformation de Lorentz est encore défini par les équations (4).

Il importait d’examiner cette hypothèse de plus près et en particulier de rechercher quelles modifications elle nous obligerait à apporter aux lois de la gravitation. C’est ce que j’ai cherché à déterminer ; j’ai été d’abord conduit à supposer que la propagation de la gravitation n’est pas instantanée, mais se fait avec la vitesse de la lumière. Cela semble en contradiction avec un résultat obtenu par Laplace qui annonce que cette propagation est, sinon instantanée, du moins beaucoup plus rapide que celle de la lumière. Mais, en réalité, la question que s’était posée Laplace diffère considérablement de celle dont nous nous occupons ici. Pour Laplace, l’introduction d’une vitesse finie de propagation était la seule modification qu’il apportait à la loi de Newton. Ici, au contraire, cette modification est accompagnée de plusieurs autres ; il est donc possible, et il arrive en effet, qu’il se produise entre elles une compensation partielle.

Quand nous parlerons donc de la position ou de la vitesse du corps attirant, il s’agira de cette position ou de cette vitesse à l’instant où l’onde gravifique est partie de ce corps ; quand nous parlerons de la position ou de la vitesse du corps attiré, il s’agira de cette position ou de cette vitesse à l’instant où ce corps attiré a été atteint par l’onde gravifique émanée de l’autre corps ; il est clair que le premier instant est antérieur au second.

Si donc x, y, z sont les projections sur les trois axes du vecteur qui joint les deux positions, si la vitesse du corps attiré est ξ, η, ζ, et celle du corps attirant ξ1, η1, ζ1, les trois composantes de l’attraction (que je pourrai encore appeler X’1, Y’1, Z’1 seront des fonctions de x, y, z, ξ, η, ζ, ξ1, η1, ζ1. Je me suis demandé s’il était possible de déterminer ces fonctions de telle façon qu’elles soient affectées par la transformation de Lorentz conformément aux équations (4) et qu’on retrouve la loi ordinaire de la gravitation, toutes les fois que les vitesses ξ, η, ζ, ξ1, η1, ζ1 sont assez petites pour qu’on puisse en négliger les carrés devant le carré de la vitesse de la lumière.

La réponse doit être affirmative. On trouve que l’attraction corrigée se compose de deux forces, l’une parallèle au vecteur x, y, z, l’autre à la vitesse ξ1, η1, ζ1.

La divergence avec la loi ordinaire de la gravitation est, comme je viens de le dire, de l’ordre de ξ² ; si l’on supposait seulement, comme l’a fait Laplace, que la vitesse de propagation est celle de la lumière, cette divergence serait de l’ordre de ξ, c’est-à-dire 10 000 fois plus grande. Il n’est donc pas, à première vue, absurde de supposer que les observations astronomiques ne sont pas assez précises pour déceler une divergence aussi petite que celle que nous imaginons. Mais c’est ce qu’une discussion approfondie permettra seule de décider.