Sur l’Alexandrinisme

Texte en italique

Sur l’Alexandrinisme
Revue des Deux Mondes4e période, tome 123 (p. 126-153).
SUR L’ALEXANDRINISME

M. Georges Lafaye : Catulle et ses modèles. — M. Auguste Couat : Essai sur Catulle. — Le même : La Poésie alexandrine sous les trois premiers Ptolémées. — M. Franz Susemihl : Geschichte der Griechischen Litteratur in der Alexandrinerzeit.

M. Georges Lafaye, par son excellent livre sur Catulle et ses modèles — si précis, si bien informé et d’un tact littéraire si juste et si prudent — a ramené l’attention sur cette question de l’alexandrinisme, qui, pour être purement littéraire, n’en est pas moins intéressante à tous ceux qui pensent, avec quelque raison, que les études littéraires sont des enquêtes psychologiques, et qu’un état d’esprit littéraire révèle une tournure de caractère et un ensemble de penchans, d’inclinations morales.

Non point du tout que nous soyons sur le point de tomber dans le lieu commun trop complaisamment accepté naguère qui assurait que « la littérature est l’expression de la société », sorte de préjugé qui a fait son temps, ce qui ne serait pas une suffisante raison de le rejeter, mais qui, surtout, à un peu de vérité, mêle une part si considérable d’hypothèse qu’il doit être laissé à l’écart avec un soin extrême. Non, quoiqu’il soit bien certain que la littérature n’est pas, ne peut pas être séparée de la « société », c’est-à-dire du monde où elle vit, par un abîme naturel ou artificiellement creusé, il est bien vrai aussi et plus vrai encore qu’elle vit surtout de sa propre vie, comme aussi bien la philosophie, comme aussi bien, sinon la morale dans l’acception générale de ce mot, du moins l’éthique, comme aussi bien l’art, comme aussi bien tous les grands rêves de beauté ou de vérité que l’on dit que l’humanité poursuit éternellement, quand on devrait dire qu’au sein de l’humanité une petite élite poursuit et partiellement réalise chacune le sien.

La littérature, pour nous en tenir à celle-ci, est un petit monde qui n’est pas fermé, sans doute, et qui perdrait à l’être, mais qui perdrait beaucoup plus encore, à ce point qu’il cesserait d’exister, s’il se bornait à être l’expression de la société, c’est à savoir, probablement, l’écho de toutes les banalités qu’échangent les hommes assemblés, et le reflet des pauvres pensées que les hommes dans leurs rapports entre eux laissent s’échapper de leurs cerveaux. La littérature n’est l’expression de la société qu’en ses parties, si je ne dis pas les plus basses, du moins je dirai les plus communes et qui sont celles auxquelles elle tient le moins, et seulement par cette raison que, bon gré mal gré que nous en ayons, nous tenons toujours quelque chose de l’air du temps, de nos entours, de notre habitat et de notre berceau. Mais les parties élevées de la littérature d’un temps sont bien plutôt le résultat de l’effort qu’elle fait pour se démêler et se développer de ce temps même, que l’effet d’une soumission servile, aussi peu artistique que possible, qu’elle garderait soigneusement à l’égard de ce qui l’entoure.

Et donc, de quoi vit surtout la littérature? De la pensée personnelle de chaque auteur, d’abord, et de la pensée collective des différens auteurs d’un même temps, et de la pensée collective d’un certain nombre d’auteurs de différens temps. D’où il suit qu’elle vit d’elle-même, actuellement et successivement, à chaque moment de la durée et aussi dans le prolongement plus ou moins grand qu’elle sait établir et soutenir à son profit à travers les siècles écoulés. Elle vit comme une petite société au milieu de la grande, avec ses forces propres et avec ses traditions, comme une corporation très ouverte et très libre, mais qui n’emprunte ni ses inventions, ni ses procédés, ni même toute sa matière, et il s’en faut, à la société qui l’entoure, et qui se suffit presque, aidée de ses dotations et héritages, et qui, certainement, donne plus au monde qu’elle ne reçoit de lui.

Si donc nous parlons d’études morales à propos d’alexandrinisme, ce n’est point qu’alexandrinisme, ou même humanisme, ou même classicisme révèle au moment où il apparaît dans un peuple un état national particulier, et cela nous ne le croyons pas, et regrettons de ne le croire point, tant il serait agréable à démontrer, relativement facile à développer, et amusant à mettre en lumière. Mais, s’il ne donne pas, à notre avis, de clartés sur l’histoire générale, l’alexandrinisme en donne de grandes et précieuses sur l’état d’esprit, à un moment donné, de cette petite société qui s’appelle la u Littérature », dont les citoyens sont toujours fort intéressans à bien connaître, ne fût-ce que parce que c’est eux qui sont nos premiers maîtres et nous donnent ces premières leçons dont la vie ne réussit pas toujours à nous détacher. Etudions donc un peu l’alexandrinisme, c’est-à-dire une des tournures d’esprit dont sont coutumiers les naturels de ce pays-là.

L’alexandrinisme n’est pas un genre, c’est un état d’esprit, c’est, à ce qu’il me semble, la tendance à un repos relatif après une période d’agitation. On pourrait appeler les périodes littéraires où l’alexandrinisme règne les momens de repos de la littérature personnelle, en prenant littérature personnelle dans un sens un peu plus large que celui où nous l’employons habituellement. Homère, Eschyle, Sophocle, Aristophane, Euripide, Pindare écrivent ou chantent leurs admirables poèmes. Certes, ils ne sont point personnels dans le sens que nous donnons à ce mot. Rien n’est plus étranger même à la littérature antique, surtout grecque, que le goût d’être très apparemment soi-même, de se distinguer formellement par une invention ou une nouveauté dans l’allure et la démarche. Tout au contraire, ces artistes semblent avoir aimé à suivre la voie tracée, à se conformer aux habitudes prises par l’art qu’ils cultivaient, et rien n’est plus traditionnel et lentement évolutif que l’art littéraire grec. Cependant, ceux que j’ai nommés sont personnels en ce sens qu’ils suivent, mais n’imitent point, n’étudient pas des « modèles » pour s’en inspirer. Ils sont traditionnels, mais ne sont pas scolaires. Ils prennent l’art au point où l’a laissé le prédécesseur, mais ne semblent pas compulser le prédécesseur immédiat où éloigné pour lui dérober ses secrets. Ils acceptent docilement les lois générales, et même assez particulières de l’art, mais non point le patronage et la discipline des artistes qui les ont précédés, et, d’un mot, ils sont héritiers, non imitateurs. Voilà dans quel sens j’entendais littérature personnelle tout à l’heure.

Cette littérature finit par se fatiguer, sinon s’épuiser. Alors, et ceci se place trois cents ans au moins environ avant Jésus-Christ, viennent des gens, qui certes, et M. Lafaye l’a très bien remarqué et non moins bien dit, se piquent très précisément d’être « modernes » et de créer une littérature toute nouvelle ; mais en procédant par l’étude scrupuleuse, diligente, cette fois, et détaillée et minutieuse des grands poètes des siècles passés, de sorte qu’ils sont, relativement à ceux dont nous parlions tout à l’heure, moins traditionnels et plus imitateurs. Moins traditionnels, car ils ne prennent point l’art au point où il se trouve chez leurs prédécesseurs immédiats ; mais ils interrogent l’art ancien tout entier, d’où il suit que ce qu’ils feront pourra être extrêmement différent de ce qui les précède immédiatement, et c’est en effet ce qui est arrivé: — plus imitateurs; car ce soin minutieux, que n’avaient pas les classiques, d’étudier savamment les grandes œuvres autorisées amènera certainement notre nouvelle école à vivre pour ainsi parler de reflets, de réverbérations, d’airs empruntés et de physionomies apprises. Les hommes dont nous parlons, ce sont les alexandrins.

Ce sont gens infiniment lettrés et très artistes ; mais qui sont avant tout des savans. Ils ne croient pas qu’il soit très nécessaire de penser par soi-même quand tant d’hommes de génie ont si bien pensé, et, depuis si longtemps qu’il y a des hommes et qui pensent, ils estiment qu’il suffit de penser à nouveau, par une sorte de méditation sur les textes, ce qui a été si bien pensé autrefois. C’est le relâche de la littérature personnelle. C’est une halte, qui, sans doute, est utile, où la littérature fait le compte de ses richesses et ne met son soin et son art qu’à les placer dans un plus bel ordre, ou simplement dans un ordre nouveau. Cet ordre nouveau est exception encore, étant choix d’abord, disposition ensuite, expression enfin. L’application qu’on met à le réaliser est même un merveilleux exercice pour l’esprit humain et infiniment salutaire. Mais enfin c’est un relâche. L’originalité, si l’on veut, se déplace pour se délasser. Elle était au fond, elle se réduit à se jouer à la surface: elle créait, elle arrange; elle produisait, elle perfectionne, ou croit perfectionner. Art très amusant du reste, et j’irai jusqu’à dire plus instructif que l’autre, formant matière plus riche d’enseignement littéraire. Car en présence d’un auteur alexandrin, il faut étudier d’abord lui, et puis tous ceux, autant qu’on le peut, qu’il a étudiés lui-même, et enfin les rapports et les différences entre eux et lui, et les poètes de ce genre obligent, pour être connus, à connaître tous ceux qu’ils ont eux-mêmes connus et pratiqués. Et c’est ainsi que les auteurs originaux se placent tout naturellement dans ce que nous appelons l’enseignement secondaire, à commencer par Homère, et les auteurs alexandrins tout naturellement aussi dans l’enseignement supérieur.

A un autre égard aussi ils sont essentiels. Non seulement les récapitulations sont utiles en choses d’art pour que le trésor ancien ne tombe pas en oubli et en une sorte de mépris nonchalant, mais les retours, les régressions le sont aussi pour que le sens du primitif ne se perde point. Il est utile qu’il existe des préraphaélites pour mieux comprendre Raphaël. Les alexandrins sont les préraphaélites de la littérature. Il est assez probable, quoique je n’en sache rien, mais je le gagerais, qu’à l’époque alexandrine Euripide, dont on sait que la gloire fut immense et le prestige universellement victorieux, avait un peu fait perdre de vue Eschyle, Hésiode et peut-être Homère lui-même. Il était très bon que les alexandrins revinssent en arrière pour remettre en honneur, et ce ne serait rien, pour remettre, pour ainsi parler, en actualité et en activité littéraire, en influence à son tour fécondante et rénovatrice les premiers maîtres de l’art.

Pour leur donner leur vrai nom, les alexandrins de tous les temps sont des critiques qui ont un peu de génie créateur et des historiens littéraires qui sont en même temps des artistes. Ils sont excellens, à ce titre, pour faire revivre le passé et y ramener les esprits, non en simples curieux, et c’est une chose froide et assez stérile que la curiosité, mais en admirateurs passionnés et dévoués, ce qui est tout autre chose et infiniment précieuse. Quand Victor Hugo écrit ses Eviradnus et ses Aymerillot, il fait œuvre d’alexandrin; il est un homme, peu savant par lui-même à la vérité, mais séduit et excité par les travaux scientifiques qui ont été faits récemment sur le moyen âge, et y ajoutant son génie, renouvelant l’art des anciens trouvères, faisant leur œuvre dans l’esprit où ils l’ont faite, et avec la perfection de forme qu’ils auraient dû y mettre ; il rend d’un seul coup un plus grand service aux études d’art médiéval que tous les experts et savans professionnels qui en ont écrit. — Et voyez comme, dans cet exemple récent, partant plus clair et plus facile à saisir, l’art et la science concourent sans se concerter, et se donnent mutuellement appui et secours. Une partie considérable de l’art romantique, nonobstant le caractère de littérature éminemment personnelle que le romantisme a eu et gardé longtemps, une partie considérable de l’art romantique a eu la marque alexandrine. Les romantiques se sont dès l’abord épris du moyen âge, sous l’influence, extraordinaire à cette époque, de Walter Scott et de Macpherson. Mais leur moyen âge était un moyen âge très conventionnel, très vague, très superficiel et très frivole, un moyen âge de romance. Seulement ils en ont donné le goût; c’est d’eux qu’est parti le mouvement scientifique si considérable qui a eu le moyen âge pour objet, et, en retour, les études sur le moyen âge une fois faites et poussées assez loin, voilà, vers 1850, que ces travaux et investigations ramènent Victor Hugo et quelques autres au moyen âge encore, mais à un moyen âge mieux connu, vu plus précisément et plus près des textes. Ceci est exactement de l’alexandrinisme : le concours et le concert de savans et d’artistes, tantôt savans et artistes se donnant la main et se passant leurs notes, tantôt savans et artistes se confondant dans le même homme, le tout en vue de reconstituer, de faire revivre et d’illustrer une partie importante, oubliée ou méconnue ou négligée ou qui menace de l’être, de l’histoire de l’art.

Voilà, en ses traits généraux, ce qu’est l’alexandrinisme. Cet état d’esprit, ce repos de la littérature personnelle, il reparaît en différens temps, toutes les fois ou que la littérature personnelle est un peu lasse d’un certain surmenage et d’une certaine surproduction, ou que la littérature personnelle n’a pas encore la force de naître. Les Romains ont commencé et ont fini par être alexandrins. Ils l’ont été, d’une façon élémentaire, pour ainsi parler, en commençant; ils se sont à peu près bornés à reproduire les chefs-d’œuvre grecs qu’ils admiraient, ou à les imiter de très près avec une prudence timide, qu’ils n’avaient qu’en littérature et qui ne sentait point du tout le conquérant. Et de même, à la fin de leur histoire littéraire, et aussi de leur histoire politique, ils sont revenus à la littérature d’imitation, mais à la littérature d’imitation s’appliquant aux œuvres romaines elles-mêmes, alexandrins en ceci comme l’avaient été les alexandrins d’Alexandrie, faisant porter leur effort d’imitation et de rénovation sur les œuvres de leur nation même et de leur race. Entre ces deux époques, entre ce commencement et cette fin analogues, se place le beau temps de la littérature romaine, qui n’a jamais été complètement originale, mais qui a été imitatrice d’une certaine façon toute particulière, raison pour quoi c’est dans cette autre partie de cette étude que nous aurons à la considérer.

Alexandrins encore ces cicéroniens de la Renaissance qui non seulement n’admettent que l’art antique, mais croient encore que c’est sous la forme même sous laquelle il s’est manifesté autrefois, et dans la langue qu’il a parlée, qu’il convient de le présenter à nouveau au monde. Prose latine et de la meilleure époque, vers latins et du meilleur coin, voilà ce qu’il faut retrouver, et voilà ce qu’il faut élaborer avec une curiosité diligente pour enchanter et pour fortifier les esprits.

Pour ce qui est de la prose latine, ils avaient, à la vérité, une autre raison, et, alléguant cette raison, ils avaient raison. Parler latin et maintenir cette coutume, c’était tout simplement maintenir la langue universelle, au lieu d’en chercher une. Qui parlait ou écrivait en latin était entendu de toute l’Europe. C’est quelque chose que cela, et il est plus court d’apprendre une langue ancienne, utile du reste par elle-même, et qui permet de lire des chefs-d’œuvre, que d’apprendre huit langues modernes pour pouvoir être au courant du mouvement scientifique, historique et philosophique d’un pays grand comme la main qui s’appelle l’Europe. Sachons bien qu’à cet égard nous avons fait un pas en arrière. Les ouvrages d’art ne doivent être écrits que dans la langue maternelle de l’artiste qui les écrit ; c’est dans cette langue seule que son génie est à l’aise et reste personnel ; mais tous les ouvrages scientifiques et même les ouvrages qui ne contiennent que des idées devraient toujours être écrits en une langue universelle, et cette langue universelle, il est inutile de la chercher, de la créer : nous l’avons, et c’est le latin. Il est excellent, et pour cause, que l’Histoire de Michelet soit écrite en français; mais quel avantage y a-t-il à ce que l’Histoire d’Henri Martin soit écrite en notre langue? et quel avantage n’y aurait-il pas au contraire à ce qu’elle fût écrite en une langue commune qui permettrait qu’on la lût sans peine, aussitôt qu’elle aurait paru, dans toutes les écoles du monde? Ecrire en sa langue maternelle devrait être le signe qu’on prétend faire œuvre d’art, ne devrait être accordé qu’à ceux qui font œuvre d’art en effet, et devrait être tourné à la confusion de ceux qui, écrivant ainsi, auraient affiché l’ambition d’être tenus pour artistes, alors qu’ils ne le seraient point.

Mais ce n’était pas de cette manière que l’entendaient nos cicéroniens. C’était précisément l’ouvrage d’art qu’ils prétendaient qui devait être écrit en latin, c’était le discours sur des points de morale, c’était la lettre méditée et laborieuse sur un sujet littéraire ou philosophique, c’était la matière poétique industrieusement disposée en vers latins. Voilà qui était proprement l’alexandrinisme et poussé à un degré de raffinement que n’avaient guère connu les anciens ; car ce n’est que par caprice et assez rarement que les Romains se sont avisés de faire des vers grecs. On peut dire, et c’est une chose en effet que Renan a dite souvent sous une autre forme, que l’enseignement littéraire dans les collèges du XVIIe et du XVIIIe siècle a été une application assez curieuse de l’alexandrinisme. Discours latins et vers latins étaient des exercices éminemment alexandrins, surtout par ce tour ingénieux et bien significatif qui consistait à mettre en discours latin et en vers latins de préférence des choses contemporaines. C’est là le point, et le trait caractéristique. Ainsi faisaient très souvent les alexandrins d’Alexandrie, appelant à leur aide toutes les ressources de l’art antique et de la mythologie, à laquelle ils ne croyaient pas, pour placer dans le ciel la chevelure d’une reine d’Egypte leur contemporaine. C’étaient donc de vrais alexandrins que nos bons professeurs, jésuites ou autres, du XVIIe siècle. Seulement, remarquez-le bien, c’était à des enfans qu’ils s’adressaient, c’étaient des enfans qu’ils conviaient à cet art très artificiel, et, réduit à cet emploi, l’alexandrinisme est une chose excellente, et ne l’employant qu’à cet effet les maîtres d’école du XVIIe siècle avaient pleinement raison. C’est précisément parce qu’écrire une œuvre d’art en sa langue maternelle suppose du talent et n’est excusable que si l’on en a, qu’il est naturel et qu’il est salutaire du n’exercer les enfans aux choses du style que dans une langue qui n’est pas la leur. Quelque paradoxal que cela paraisse, cela est vrai. Une classe où l’on ferait faire aux enfans des vers français serait parfaitement ridicule et parfaitement dangereuse, parce qu’elle semblerait être et serait en effet une préparation à la vie littéraire, un conservatoire de poètes français, et ce n’est pas sans doute le but pour lequel est institué l’enseignement secondaire national ; tandis que discours latins, vers latins, narrations anglaises ou vers italiens ne sont évidemment que des exercices, ne sont pris que pour cela par les jeunes gens que l’on appelle à les faire, ne leur donnent aucune tentation périlleuse, ne les font pas croire à une vocation précoce, et ne les entretiennent pas dans des illusions souvent funestes. L’alexandrinisme scolaire du XVIIe, du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe était la chose la plus innocente et même la plus judicieuse du monde. Je serais tenté de dire qu’il est la forme sous laquelle l’alexandrinisme doit se conserver parmi les nations. Le musée d’Alexandrie a été dispersé : il doit y en avoir, il faut qu’il y en ait une pierre à la base de tous les établissemens scolaires du monde moderne.

L’alexandrinisme c’est comme le premier degré de l’humanisme. L’humanisme est déjà autre chose. Tout humaniste est alexandrin, plus certaines tendances et penchans propres ; c’est un alexandrin développé et complété. Le propre de l’humaniste, c’est non seulement la passion de l’art antique, la curiosité d’antiquaire et d’érudit, mais encore une faculté de se faire ancien soi-même, de vivre réellement avec les sentimens, les préjugés, les tendances, les passions même des temps que l’on a étudiés jusqu’à s’en pénétrer et imprégner jusqu’au fond. C’est une sorte d’atavisme artificiel. Il n’est jamais complet, dira-t-on. Complet ? Non sans doute ; mais il va très loin. Mettons ensemble, comme nous le pouvons légitimement, car les choses se sont assez souvent disposées ainsi, l’hérédité, l’éducation et les habitudes de toute une vie : de telles forces continues peuvent très bien transporter un homme, et plusieurs, d’un temps dans un autre, et faire que, Français du XVIe siècle, ils vivent beaucoup plus de vie grecque ou latine que de la vie de leur temps. C’est après tout l’histoire de tous les gens qui lisent passionnément, et de don Quichotte dans son grenier, et de la grisette romanesque habituée des cabinets de lecture. Ainsi l’humaniste vit de la vie antique, et promène parmi les hommes des temps modernes un contemporain de Périclès.

On voit bien ici la différence, qu’il ne faudrait pas exagérer du reste, réelle pourtant, entre celui-ci et l’alexandrin. L’alexandrin, je le faisais remarquer tout à l’heure, et M. Lafaye, à propos des alexandrins d’Alexandrie, l’a noté avec beaucoup de finesse et y a insisté, l’alexandrin tient essentiellement à être moderne; il étudie l’art antique pour le faire servir à l’expression d’idées nouvelles, ou du moins de sujets nouveaux. « Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques », formule inventée du reste par un véritable alexandrin moderne, est tout à fait une maxime alexandrine et pourrait servir de devise commune à tous les alexandrins. L’humaniste, lui, ne tient pas du tout à être moderne; il vit dans l’antique, y séjourne, y demeure et s’y plaît, ne se plaît que là. Sa devise à lui serait plutôt : « Art et guides, tout est dans les Champs-Elysées », ce qui a été dit du reste par un homme qui n’y croyait qu’à moitié, et Dieu merci. L’humaniste est essentiellement misonéiste, comme on dit de nos jours, et l’innovation n’est point du tout son fait ; elle lui semble un acte d’irrévérence et d’audace très singulier, et inutile, et, au sens propre du mot, elle le dépayse.

Cela ne va point sans grandes conséquences, même en dehors et très loin du domaine littéraire. Julien l’Apostat est le plus grand humaniste de l’antiquité. Son horreur du christianisme lui venait de ce qu’il savait trop bien le grec et peut-être même trop bien le latin. Il est le modèle même de tous ceux, et ils sont plus nombreux qu’on ne croit, que l’amour de la forme entraîne à l’amour du fond dont cette forme a été l’expression. Julien l’Apostat aimait les dieux homériques à cause d’Homère, et du reste était le meilleur républicain de son empire à cause d’Ennius et de Catulle. On se rappelle bien l’aventure de Michelet. Michelet, dans les premiers livres de son Histoire, par grande admiration de l’architecture gothique, s’était montré très favorable au moyen âge. Tout à coup il frémit; il s’aperçut qu’il avait fait acte de réactionnaire. Comment avait-il pu tomber dans une si horrible erreur? Et de se rétracter, et d’expliquer, et de se perdre un peu dans ses explications, et de se mettre en colère comme il arrive quand on s’embrouille, et de devenir très éloquent comme il arrive quand on est en colère; ce qui tendrait à prouver qu’un certain trouble dans les idées est une des sources de l’éloquence. Mais comment avait-il pu donner dans une si affreuse hérésie? Comment? Humanisme, ce sont de tes pièges! Par humanisme, par admiration de l’art d’un certain temps, il s’était laissé aller à être admirateur, et presque partisan, et quasi fauteur de ce temps lui-même.

Humanistes, ils l’étaient encore ces beaux esprits de la fin du XVIIe siècle qui de très bonne foi ont cru quelque temps qu’on pouvait et qu’on devait donner à la France les mœurs de Sparte ou plutôt, ce qui est très significatif de l’état d’esprit en question, les mœurs à la fois de Sparte, d’Athènes et de Rome; en un mot, — qui est juste quoique ridicule, — des mœurs classiques. Cette conception, un peu divertissante, était née d’une passion, innocente en son principe, pour le Conciones. — Qu’on ne fasse pas cette objection : « Les humanistes sont donc à la fois misonéistes et révolutionnaires? » Il n’y a pas incompatibilité ni antinomie en cela. Les révolutionnaires ne sont pas conservateurs, mais ils sont presque toujours réactionnaires. La confusion entre conservateur et réactionnaire est un des préjugés de la langue. Le conservateur est l’homme qui est à peu près content du présent, le réactionnaire est l’homme qui en est mécontent et qui veut retourner en arrière ; et, quand il veut retourner très loin en arrière, il est un révolutionnaire radical. Et réciproquement le révolutionnaire, très souvent, est un homme qui, rêvant une société totalement différente de celle où il vit, en trouve le modèle dans une société qui a existé très anciennement et dont il caresse amoureusement le souvenir, mêlé, du reste, d’une foule d’imaginations qui l’embellissent encore. Et tels étaient, pour une bonne part de leurs conceptions, de leurs rêves et de leurs espérances, les révolutionnaires parfaitement rétrogrades de 1788. Songez que nos socialistes, même ceux d’aujourd’hui, ne sont pas sans entretenir leur pensée de la République de Platon, voilà pour la théorie, et des mesures constitutionnelles de Cléomène, voilà pour les faits.

Pour en revenir au point de vue purement littéraire, l’humaniste est donc un archéologue devenu un archéonome. Il a l’esprit antique en lui. Et cette disposition s’accuse à mesure que l’antiquité fuit davantage derrière nous, le respect étant plus grand de loin, et aussi l’amour, du moins en choses littéraires. L’alexandrin d’Alexandrie est alexandrin dans le sens que j’ai donné à ce mot, il est peu humaniste au sens où je viens de prendre ce terme; il est, je l’ai dit, et il veut être très moderne. Le Latin amoureux des Grecs est déjà beaucoup plus humaniste. Catulle, quoique trop large, trop complexe, et trop grand pour être ramené à ces étroites limites, est humaniste beaucoup plus que Callimaque, et Properce est presque humaniste exclusivement ; c’est un Grec qui se promène dans Rome, que du reste il admire, mais la patrie de son cœur est de l’autre côté de l’Adriatique. Et quand nous arrivons à la Renaissance, l’humanisme est tellement une passion qu’il en devient inquiétant. Sait-on bien que Ronsard, le bon catholique Ronsard, en vient quelque part à regretter de n’être point païen?

Certes, si je n’avais une certaine foi,
Que Dieu par son esprit de grâce a mis en moi,
Voyant la chrétienté n’être plus que risée,
J’aurais honte d’avoir la tête baptisée.
Je me repentirais d’avoir été chrétien...


Voilà Julien l’Apostat qui renaît sous une forme très inattendue..

Et comme les premiers je deviendrais payen.
La nuit, j’adorerais les rayons de la lune,
Au matin, le soleil, la lumière commune,
L’œil du monde ; et si Dieu au chef porte des yeux,
Les rayons du soleil sont ses yeux radieux
Qui donnent vie à tous, nous conservent et gardent,
Et les faits des humains en ce monde regardent.
……………….
J’adorerais Cérès qui les blés nous apporte
Et Bacchus qui le cœur des hommes réconforte,
Neptune le séjour des vents et des vaisseaux.
Les Faunes et les Pans et les nymphes des eaux,
Et la terre hôpital de toute créature,
Et ces dieux que l’on fait ministres de nature.


C’est proprement ici le rêve de l’humaniste, et il est assez curieux de le rapprocher de quelques fantaisies tout du même genre chez nos poètes modernes, par exemple de la Vie harmonieuse de notre aimable, quelquefois puissant poète Emmanuel des Essarts :


Jadis, j’aurais vécu dans les cités antiques
Svelte comme un héros, libre comme un vainqueur,
Et tous mes jours, pareils aux Visions plastiques,
Se seraient déroulés noblement, comme un chœur.
………………..

Là j’aurais contemplé l’avenir et la vie
Sur le blanc piédestal de la sérénité.
Sans effort surhumain, sans excessive envie.
Heureux d’un idéal visible et limité.

Et j’aurais promené sur la nature entière
Les regards assurés et calmes d’un payen,
Qui sent des âmes sœurs frémir dans la matière,
Ne se sent jamais seul et sait que tout est bien ;

Et qui, dans les frissons mystérieux du monde
Dans toutes les clartés du ciel mélodieux,
Dans les tressaillemens de la terre et de l’onde
Adore autour de lui tout un peuple de dieux.

Oh ! la vie élégante, amoureuse et facile
………………….


Mais l’homme qui a sans doute le plus entièrement réalisé le rêve de l’humaniste, c’est Joachim du Bellay. Il fut amoureux à Rome d’une Romaine qui s’appelait Colomba, et il la chanta en vers latins, en distiques élégiaques et en hendécasyllabes. Voilà qui est complet. « L’histoire romaine à Rome, » disait J, -J. Ampère. L’amour romain, à Rome, en vers latins, c’est l’humanisme vécu, c’est l’atavisme amené par les circonstances à son plein effet, c’est l’illusion chère à l’humanisme portée à son dernier point de perfection, jusqu’à une manière d’hallucination charmante. Joachim dut se prendre lui-même pour Catulle. Il est vrai qu’au même temps la Rome moderne ne lui plaisait guère et lui faisait regretter son Paris et son Anjou. L’humanisme est toujours troublé par quelque chose, à savoir par la réalité qu’on aime et par la réalité qu’on n’aime point. Le réel reprend toujours ses droits et sa revanche. On ne le supprime jamais tout à fait, quelque désir qu’on en puisse avoir. Du Bellay, en son humanisme presque réalisé, n’en dut pas moins avoir « quelques minutes supérieures ».

L’humanisme a en quelque sorte trois phases successives par lesquelles passent à peu près tous ceux qui entrent une fois dans son domaine, et c’est l’admiration, puis l’imitation, puis l’émulation. On commence par admirer les grands modèles que l’on s’est mis sous les yeux. L’admiration a quelque chose en elle de respectueux qui tient toujours un peu loin de l’objet, si bien, du reste, qu’on le connaisse. Elle n’est point passive, mais elle est discrète. Elle jette dans une certaine émotion un peu tremblante. Certains humanistes ne dépassent point cette première phase, et ce sont, du reste, peut-être, les plus heureux. La plupart se familiarisent et osent au moins traduire, ce qui est la plus grande audace, encore que passant pour de la modestie. La plupart encore vont jusqu’à imiter, adapter, accommoder, et ici se placent toutes les formes, qui sont innombrables, de la contrefaçon littéraire, depuis le plagiat jusqu’à « l’imitation originale ». Imitateurs, les humanistes qui dépassent la phase de simple admiration le sont tous avec des différences infinies dans le degré. Tous les Latins le sont, depuis celui d’entre eux qui pense le plus, c’est-à-dire Lucrèce, jusqu’à celui qui pense le moins, c’est-à-dire, si l’on veut, Silius Italicus, ou si on le préfère, un autre; car on a le choix. Peut-être faudrait-il faire une exception pour le seul Lucain, qui, fond et forme, a bien prétendu faire quelque chose de complètement nouveau. Quand Horace s’écrie : O imitatores servum pecus, comment se fait-il qu’il ne s’aperçoive point qu’il s’indigne contre toute sa race et à commencer par lui-même? Il est très probable que par imitateurs il n’entend que ceux qui, Latins, imitent les Latins. Le Latin qui imite les Grecs procède si bien comme ont procédé tous les Latins depuis Ennius qu’il semble être dans son office propre et faire ce qu’il serait étrange qu’on ne fît pas, et ce qu’il est presque impossible qu’on ne fasse point.

L’imitation des modèles a du reste de tels charmes qu’il est tout naturel qu’on s’y abandonne et qu’on s’y attarde. Elle est instinctive dans ce qu’on appelle de nos jours un « tempérament artiste », et il ne s’en faut pas de tant qu’elle en soit la marque. On crie sur tous les tons : « La nature ! » et « le naturel ! » Voilà qui est bien; mais la nature, après tout, c’est le réel quotidien, c’est la rue, c’est la taberna ou la boutique, c’est la fornix ou le cabaret, c’est l’atrium, le triclinium ou le salon, et tout ce qui se pense et se dit en tous ces lieux-là. Il n’est pas si étonnant qu’on ne prenne pas tant de plaisir à toutes ces choses. C’est la nature pourtant, et c’est le naturel. Il faut donc être un peu vulgaire pour aimer passionnément la nature. Le paradoxe maladif de Baudelaire qui tenait le naturel en horreur, et dont la poétique avait pour premier principe qu’il ne faut aimer que l’artificiel, ne laisse pas de pouvoir se soutenir, et n’est que l’outrance et l’exagération préméditée d’une idée à demi juste. L’artiste est donc assez naturellement porté à aller vers une nature et vers un naturel sur lequel l’art a passé déjà, qui est déjà mêlé d’art, où la pensée d’une élite a déjà laissé sa marque. Cette nature ainsi élaborée déjà et ainsi déjà purifiée, qu’est-elle bien, que peut-elle être sinon les ouvrages des grands poètes qui nous ont précédés? « Eh! oui, j’aime les paysans, dirait Virgile, et je les connais de mes yeux; mais encore je les aime surtout dans Théocrite. C’est ainsi remaniés qu’ils sont dignes d’un consul, et vous savez que je veux dire par là dignes de moi. »

Rien donc n’est plus artistique que l’imitation, et vous verrez, si vous rassemblez un peu vos souvenirs littéraires, que les « naturels » et les réalistes, j’entends sans mélange, ont toujours été gens qui n’avaient que très peu d’études littéraires, ou point du tout, doués du reste de génie naturel; et ce n’est point parce qu’ils n’avaient point d’études littéraires qu’ils furent réalistes, mais parce qu’ils avaient le goût et la tournure d’esprit réaliste qu’ils eurent peu de penchant aux études littéraires. C’est un certain degré de sens artistique qui leur manquait.

Nous avons dit: 1° admiration, 2° traduction et imitation. Il y a une troisième phase où l’humaniste arrive presque toujours, et que j’appelle émulation. Le respect est profond dans l’admiration silencieuse, grand encore dans l’office de traducteur, persistant, quoique déjà un peu familiarisé, dans l’imitation. Il s’atténue par l’accoutumance, sans cesser d’exister, sans disparaître. On s’enhardit. Ces modèles, si on essayait de rivaliser avec eux, sans espérance d’y parvenir, mais en cherchant l’honneur de l’avoir entrepris? C’est l’émulation. Ce sont les audaces, ce sont les licences, c’est le libertinage de l’humaniste. Elle consiste, non pas sur des sujets différens, ou analogues seulement, à essayer d’être aussi parfait que les modèles que l’on adore ; ceci est autre chose, que nous verrons plus tard; mais sur les mêmes sujets, et tout en imitant, à substituer aux « beautés » du modèle des « beautés » que l’on tire de son propre fonds, ou, aux traits jugés admirables du modèle à en ajouter d’autres, que notre imagination nous fournit.

C’est un entraînement fatal et un jeu assez dangereux. M. Lafaye nous en donne quelques exemples fort agréables et parfois divertissans. Sapho écrit ces vers, dont Racine se souviendra très bien quand il écrira le rôle de Phèdre : « Quand je le vis franchissant d’un pied léger le seuil de la porte, je devins plus froide que la neige, tandis que de mon front dégouttait la sueur, abondante comme la rosée du matin ; mes lèvres immobiles se refusaient aux paroles. » Théocrite reproduit en d’autres termes ces beaux cris; puis il ajoute : Je n’aurais pu proférer même les sons inarticulés que font entendre les enfans quand ils appellent leur mère pendant le sommeil. » Et voyez ici les différences. Théocrite amplifie. Racine abrège, marques assez frappantes du genre propre à chacun d’eux. De même ailleurs Théocrite suit de près Alcée dans le passage suivant. Ce que je souligne est ajouté par lui : « Toi aussi souviens-toi qu’hier tu étais plus jeune qu’aujourd’hui et que nous devenons vieux et ridés en moins de temps qu’il ne t’en faut pour cracher quand tu m’aperçois... Moi qui maintenant irais volontiers chercher pour toi les pommes d’or, moi qui pour toi irais trouver Cerbère, le gardien des âmes, alors, quand j’aurai cessé d’éprouver cet amour qui me fait tant souffrir, tu auras beau m’appeler, ta voix ne me fera pas même venir sur la porte de la cour. »

L’émulation de l’humaniste lui fait quelquefois trouver des choses heureuses ; mais plus souvent le jette dans deux défauts assez pénibles, qui sont le délayage et l’anachronisme. Très naturellement il ajoute à ses modèles. Il s’imagine que ce que le sujet comporte et que le modèle n’a point dit, c’est qu’il n’y a point songé, a oublié de le faire entrer dans son œuvre, tandis que, le plus souvent, ce qui fut omis ainsi l’avait été à dessein, par bon goût et comme négligeable ; de sorte que ce que l’imitateur ajoute est précisément ce que le modèle avait eu l’esprit de mépriser; et c’est ainsi dans son perfectionnement que l’imitateur marque et prouve son infériorité. Quand on veut rivaliser en imitant, il faut faire comme La Fontaine, qui peut-être fut extrêmement avisé et matin, qui, en tous cas, soit hasard soit adresse, s’est attaché à des modèles extraordinairement secs : Esope, et aussi Phèdre et aussi Boccace. Il ne risque point, lui, dans ces conditions, de délayer quand il développe et de surcharger quand il amplifie. Il est bon de choisir des modèles qui ne donnent que la matière de l’œuvre d’art, ce qui revient à dire que, quand on prétend rivaliser, il est expédient de choisir des modèles qui ne soient que des occasions. « A propos d’Esope » aurait pu être le titre des Fables de La Fontaine, comme « à propos de Théophraste » le titre des Caractères.

Un autre danger que court l’humaniste quand il rivalise, c’est l’anachronisme. Il est vrai que le fond de l’humaniste c’est l’anachronisme précisément. Il est un homme de 1550 qui vit dans la 76e olympiade. Seulement, pour l’unité de son œuvre il faut que cet anachronisme soit constant. Il faut que l’humaniste ne soit pas infidèle à l’anachronisme qu’il constitue. Il faut qu’il ne sorte point, tant qu’il écrit, de sa 76e olympiade, ou qu’il ne s’en écarte que médiocrement. Or quand il ajoute à son modèle, d’où lui vient ce qu’il y ajoute? Souvent, très souvent, presque toujours, du temps où il vit matériellement, charnellement, si je puis dire, du monde qui entoure sa personne mortelle. Quand il ajoute, c’est donc, fréquemment, l’homme de 1550 qui intervient dans l’œuvre antique, y mêle un trait, y met un accent, y jette un esprit qui sont modernes. C’est alors être de son temps, pour un moment, qui est un anachronisme ; c’est renoncer à l’anachronisme fondamental qui est en faire un qui éclate à tous les yeux, comme aussi, car c’est la même chose dans d’autres termes, c’est redevenir soi-même qui sonne faux et c’est rentrer dans son pays qui dépayse. — Ce genre de dissonances est extrêmement fréquent chez les humanistes, je dis même chez les plus grands, chez ceux qui sont beaucoup plus que des humanistes, et je n’ai pas besoin de rappeler Euripide, non seulement mettant une plume, du papier à lettres, et un cachet entre les mains d’Agamemnon, mais prêtant, ce qui est plus grave, des maximes et des subtilités de philosophie, très éloignées de leurs conceptions accoutumées, aux héros d’Homère. On sait même que l’anachronisme chez les humanistes de génie devient presque une beauté de plus, que Racine par exemple, mêlant dans telle de ses tragédies antiques les légendes de la mythologie primitive, les souvenirs de la Grèce historique et humaine, et les impressions que ses yeux et son cœur conservaient du palais de Versailles, nous permet de planer en quelque manière au-dessus de l’humanité tout entière, affranchis du temps, ainsi que des dieux, et que l’anachronisme devient chez lui une prestigieuse et délicieuse achronie. Du moins c’est M. Jules Lemaître qui l’a prouvé et dans une page si spirituellement poétique qu’on se ferait conscience de n’en être pas convaincu.

Admiration, imitation, émulation, ce sont les trois phases ordinaires et comme normales par lesquelles passe communément l’humanisme ; c’est son évolution classique ; le parallélisme entre la France au temps de Ronsard et Rome au temps de Catulle est ici presque absolu, et les deux littératures semblent se copier l’une l’autre et passer exactement par les mêmes chemins à cet égard. A peine pourrait-on remarquer, et c’est ce que M. Lafaye n’a pas manqué de faire, que les Romains se sont montrés plus discrets, dans les deux sens du mot, et principalement dans celui qui signifie doué de discernement, que ne l’ont été nos Français, et que Catulle aussi bien qu’Horace ont su du premier coup ce que Ronsard n’a su qu’après une fâcheuse expérience, à savoir qu’il ne fallait ni imiter Pindare, ni essayer de rivaliser avec lui : Pindarum quisquis studet æmulari

Mais en général la marche et les démarches sont bien les mêmes, et c’est ce qui permet de considérer nos trois phases indiquées ci-dessus comme une véritable loi des littératures commençantes, et des littératures sur leur déclin. Les littératures commençantes, ou qui recommencent, admirent, imitent, rivalisent, le regard fixé sur une littérature ancienne ; les littératures sur leur déclin admirent, imitent, rivalisent, le regard attaché sur elles-mêmes, sur le moment brillant de leur histoire, et cela fait deux genres différens d’humanisme, un humanisme international et un humanisme patriotique . L’humanisme des commencemens, celui des Horace et celui des Ronsard, est toujours suspect de trahison, de transfugisme, et de crime de lèse-patrie. On reprochait à Horace de ne pas admirer les premiers monumens de la littérature latine, à savoir les Lois des XII Tables et les chants des frères Arvales dictés par les Muses mêmes, que dis-je là? par les « Camènes » sur le Mont Sacré. On reprochait aux Ronsard et aux du Bellay de ne pas admirer le Roman de la Rose, pour lequel ils n’avaient du reste nulle horreur, mais auquel ils préféraient les roses d’Anacréon. Dans les deux cas, c’était infidélité à la patrie, c’était renier l’héritage des pères. Que nous veut ce Grec, que nous veut ce Gréco-Latin? n veut enrichir l’héritage par un emprunt qui peut devenir une conquête, il veut greffer habilement le sauvageon ; mais cela parait trop subtil à certains esprits et ne passe que pour une grossière désertion.

Et de même, quand les romantiques, qui étaient très complexes, qui étaient d’abord, et surtout, littérature personnelle et originale, on ne l’aura jamais assez répété, mais qui étaient aussi imitateurs de l’étranger, et qui étaient aussi humanistes à leur manière, c’est- à-dire imitateurs du moyen âge, et encore, un peu, imitateurs du XVIe siècle, créèrent une littérature dont le principal caractère était de rompre avec les traditions du XVIIe et du XVIIIe siècle, les traditionnels, qui s’appelaient classiques, leur reprochaient amèrement de n’être point patriotes, de renier les gloires les plus pures et les plus éclatantes de notre littérature nationale, de ne point faire preuve d’admiration pour Corneille en l’imitant, de ne point montrer leur goût pour Malherbe en le contrefaisant, et de ne pas faire profession de culte pour Racine jusqu’à être des Campistron. « Voltaire alors régnait » dans le camp des classiques, non point tant pour ses audaces, qui même en littérature sont réelles, encore qu’intermittentes, que pour ses timidités, que parce qu’il avait été, souvent, comme hypnotisé par les souvenirs du grand siècle de Louis le Grand, que parce qu’il avait cru qu’il qu’il n’y avait guère autre chose à faire qu’à imiter discrètement les grands auteurs du XVIIe siècle dans les genres où ils avaient brillé, quitte, du reste, si l’on pouvait, à en inventer d’autres. Et c’était toujours Voltaire qu’on opposait aux novateurs. Un si grand homme a bien été traditionnel ! Un si grand homme a eu moins de confiance que vous en ses propres forces !

Entre les répliques très nombreuses que les romantiques pouvaient faire, ils auraient pu, relativement au grief d’anti-patriotisme, faire celle-ci qu’eux-mêmes étaient humanistes et traditionnels d’une certaine sorte, puisqu’ils remontaient au moyen âge et se réclamaient du XVIe siècle, et c’est en effet ce que Sainte-Beuve en ses commencemens et quand il était encore comme au service du romantisme, s’est attaché à démontrer à plusieurs reprises. Mais, encore qu’en partie légitime, au moins comme argument de polémique, cette défense valait assez peu. Au fond, et ils le sentaient ne fût-ce qu’à leur ignorance, ne fût-ce, si l’on préfère, qu’à leur peu de goût pour les études livresques et le maniement des textes, les romantiques étaient surtout littérature personnelle, et leur moyen âge était bien conventionnel, et leurs prétendus rapports avec le XVIe siècle n’étaient qu’une erreur, une erreur presque absolue, le XVIe siècle étant plus que tout autre littérature d’imitation, et littérature d’imitation de l’antique, ce que le romantisme était aussi peu que possible, et le XVIe siècle étant le vrai père de toute cette littérature classique du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle qui était celle avec laquelle le romantisme rompait. Le reproche qui consistait à dire que les romantiques n’étaient point patriotes parce qu’ils n’étaient pas traditionnels restait donc vrai. La vraie réponse à faire était que le patriotisme littéraire consiste à enrichir sa patrie d’une beauté littéraire nouvelle. Les adversaires des romantiques n’étaient que des humanistes de déclin, de ces humanistes qui étudient pour les imiter les chefs-d’œuvre littéraires du pays dont ils sont, des Silius Italiens ou des Rutilius.

Tel est l’humanisme sous sa forme ordinaire tant au commencement qu’au déclin des littératures. Mais, du reste, et sans que nous songions à épuiser la matière, il y a des humanistes de bien des sortes. Il y en a par exemple qui sont exclusifs et d’autres qui sont synthétiques. Il y en a qui bornent leur étude et qui limitent leur culte à une seule littérature et même, dans une littérature, à une seule époque. Horace, en tant qu’humaniste (il est par surcroît bien d’autres choses) semble bien avoir concentré son admiration et son imitation sur les seuls lyriques grecs de l’époque classique, Alcée, Sapho, etc. Il écarte Pindare, par excès d’admiration et commencement de terreur, il écarte les alexandrins, peut-être dans un autre sentiment. Il est exclusif parce qu’à la fois il a le goût très délicat et une prudence très circonspecte. Je ne m’aventure pas sur ce terrain difficile à tout le monde, vu la rareté des textes grecs, et particulièrement à mon incompétence; je puis dire, puisqu’il s’agit d’Horace, que j’y rencontre ignes suppositos cineri doloso ; mais il me semble bien qu’Horace est un humaniste d’un genre unique, ou à peu près. Un humaniste est quelquefois un collectionneur. Il se cantonne dans le commerce d’une génération littéraire ou d’une époque littéraire, ou d’une école littéraire, comme d’autres dans la familiarité d’une catégorie spéciale de coquillages, ou dans l’ameublement de telle époque. L’amateur de tulipes ou l’amateur de prunes de La Bruyère se retrouve très bien dans le monde littéraire, et tel dilettante se rencontrera qui ne voudra point sortir du pur Louis XIII, comme tel expert en meubles ne voudra pas sortir du pur Louis XVI. Le tout dans ce cas est de bien choisir l’objet de sa prédilection, et on ne saurait dire qu’Horace ait choisi mal. Comme on le voit par ses jugemens sommaires et ses exécutions, sommaires aussi, des écrivains latins, il est à croire qu’il avait le goût très difficile et très dédaigneux, mais très juste du reste, et il était quelque chose comme un pococurante qui aurait fait cinq ou six exceptions et qui aurait aimé d’autant plus vivement ce qu’il aimait qu’il méprisait franchement tout le reste.

D’autres humanistes ont l’humeur plus éclectique, et par exemple, — et c’est ce que M. Lafaye a très fortement mis en lumière, — Catulle ne limite point son admiration à une seule époque de la littérature grecque. On le prend à l’ordinaire pour un simple admirateur des alexandrins. Il l’est, mais il est autre chose, et il éclate aux yeux, après le livre que nous venons de lire, qu’il a puisé aux sources vraiment antiques autant qu’aux sources prochaines, et chez les classiques grecs autant que chez les parnassiens d’Alexandrie. Tout de même Virgile, qui ne dédaignait rien, sachant bien ce qu’il était capable de faire de toutes choses, est tout plein d’Homère et de Platon, et fait son profit d’Apollonius de Rhodes, de Quintus de Smyrne, de Théocrite, sans compter Ennius lui-même, et sans compter tous ceux que nous ne connaissons pas. Et c’est en cela qu’il est le vrai classique, comme nous aurons sans doute l’occasion de le dire plus loin.

Et c’est aussi comme cela que l’ont entendu nos grands humanistes de la Renaissance française. C’est toute Rome et toute la Grèce connue d’eux qu’ils ont voulu nous rendre. L’humanisme éclectique est leur formule même, comme on aime à dire de nos jours, ou, si vous aimez mieux, leur principe. A vrai dire ils sont non seulement des humanistes éclectiques mais des humanistes insatiables. Ils ne voudraient rien laisser perdre, et ils voudraient tout absorber, c’est à savoir et l’antiquité et les Italiens et même le moyen âge français ; car si, pour ce qui est de l’éducation, de l’imagination et de l’art du style, c’est à l’antiquité qu’ils veulent qu’on s’adresse, sans négliger les Italiens ; pour ce qui est de la langue, on sait et il faut toujours répéter que c’est surtout par l’étude des vieux « Gaulois » qu’ils estiment qu’il faut la renouveler, la rafraîchir et l’enrichir. Comme compréhension, sinon absolument comme haute intelligence littéraire, ce sont les plus « larges » aussi bien que les plus ambitieux des humanistes.

Cette compréhension, qui ne leur a pas été d’un très grand profit, peut avoir d’éminens avantages. Elle détourne précisément d’imiter, comme il arrive souvent que le terme d’une évolution intellectuelle est contraire à son principe et se retourne contre lui. Quand on sait tout avec intelligence, on s’aperçoit qu’à imiter tant de choses si différentes, d’origines et d’esprits si divers, on ne fait qu’une œuvre incohérente et qu’une mosaïque pleine de dissonances. Et alors on s’avise de ne point imiter précisément, de laisser comme dormir au fond de soi tout ce qu’on a appris, pour n’en recevoir quand on écrit et pour n’en laisser passer dans ses œuvres que l’influence indirecte, l’écho lointain, le parfum adouci, l’essence subtilisée et élaborée par notre pensée propre, et devenue véritablement, quoique étrangère à l’origine, quelque chose cependant qui est de nous. C’est là le secret. Dans ce cas, alexandrinisme et humanisme disparaissent dans leur triomphe même, s’évanouissent en aboutissant, ont leur terme dans leur but atteint, et c’est le vrai classicisme qui commence. La littérature impersonnelle a rejoint la littérature personnelle et se perd en la fécondant. Mais ce qui vient de naître, c’est une littérature personnelle d’un caractère très particulier. C’est une littérature personnelle qui suppose derrière elle et qui contient encore toute une littérature impersonnelle qu’on n’a pas voulu qui se répandît. C’est une littérature personnelle qui est savante et profite de sa science, mais sans vouloir la montrer, et sans même en avoir trop conscience, et qui s’est mise en état de pouvoir en profiter inconsciemment. C’est bien un moi qu’elle exprime, mais un moi qu’elle a pris soin d’enrichir, de munir et d’ensemencer. Le classicisme commence où l’humanisme finit, à la condition qu’il ait existé; comme l’humanisme commence où l’alexandrinisme finit à la condition qu’on ait commencé par lui. L’alexandrin est un scolaire qui n’a pas eu le temps ou la puissance de devenir humaniste ; l’humaniste est un alexandrin qui n’a pas eu le temps ou la puissance de devenir un classique.

On a tenté bien souvent une définition du classique, et il est certain que le classique est un personnage assez complexe pour que la définition en soit difficile, et ce lui est un honneur qu’il soit malaisé de le définir. En général on s’en tire par une définition indirecte qui consiste à dire qu’un classique est un auteur devenu scolaire ou destiné à le devenir ; mais cette désignation, pour être appliquée, demande l’épreuve du temps et l’on ne peut savoir si un auteur est un classique que par le long usage fait de lui après sa mort. — Je ne risquerai pas une définition ; mais je dirai quels sont, selon moi, les principaux caractères de l’auteur classique. Le classique doit réunir en lui des qualités et surtout des facultés qui chez les talens ordinaires sont opposées jusqu’à s’exclure. Il doit avoir une très forte personnalité et écrire des œuvres qui ont un caractère à peu près impersonnel ; il doit être national, c’est-à-dire de son temps et de son pays, très fortement, et écrire des œuvres qui aient un suffisant caractère de généralité, d’humanité, pour qu’elles puissent et doivent être lues de tous les peuples dans tous les temps ; il doit être savant ; et l’on peut être sûr que, si son œuvre paraît savante aux yeux, surtout paraît « scientifique », la gloire d’auteur classique ne s’attachera jamais à son nom ; il doit être original, apporter avec lui une manière vraiment nouvelle de sentir; et il faut pourtant que cette manière, encore que nouvelle, soit accessible et abordable, sinon à tout le monde, c’est ce qu’on ne me fera jamais dire, du moins aux élites successives de l’humanité, c’est-à-dire, les générations très différentes d’esprit et de mœurs se succédant indéfiniment, à une foule, à une foule très intelligente et très exercée aux choses intellectuelles, mais à une foule.

Reprenons. Il doit avoir une très forte personnalité : la chose n’a même pas besoin d’être prouvée. On ne tient vraiment qu’à soi, on ne tient à une idée ou à un sentiment que quand cette idée ou ce sentiment est bien à soi, quand on la sent ou quand on le sent bien véritablement sorti du fond de soi-même. C’est alors qu’on a de l’accent, parce qu’on a de la passion, parce qu’on se sent engagé dans ce qu’on dit, parce que vous avez conscience que dans ce que vous écrivez ou dans ce que vous dites, il y va de vous. Quand vous sentez que vous imitez, ou que vous adaptez, ou que vous arrangez, ou que vous avez une réminiscence, vous ne pouvez pas écrire sans une certaine nonchalance, qui, du reste, peut ne pas laisser d’être agréable. Il faut, pour faire œuvre de grand artiste, croire à son œuvre, et on ne croit avec un certain degré de passion qu’à soi-même. Toute littérature forte est donc personnelle. Seulement, si elle est l’expression personnelle d’une pure et simple individualité, elle reste vive, elle reste ardente, elle reste passionnée, mais elle est indigente. C’est une personnalité enrichie d’une foule d’autres sans s’être perdue, sans s’être atténuée elle-même, qui vaut la peine d’être exprimée. Il faut donc que l’artiste classique ait su sortir de lui sans perdre la faculté d’y rentrer, soit sorti de lui pour y rentrer plus riche, soit sorti de lui sans se renoncer, se soit transformé en une foule d’êtres autres que lui sans cesser d’être lui-même, et pour mieux dire se soit transformé en d’autres avec assez de force pour les transformer en lui. Et notez bien que ce ne sont pas là deux périodes successives et distinctes dans la vie du grand artiste ; il ne doit pas passer dix ou quinze ans de sa vie à s’ensemencer et quinze ou vingt ans de sa vie, ensuite, à produire. A la vérité c’est un peu cela, et il y aura toujours une période qui sera plus d’acquisition et une autre qui sera plus de fécondité. Cependant, et dans la première période, l’artiste destiné à être grand produira déjà, ne fût-ce que pour lui : qu’il ne produisît rien, ce serait signe que sa personnalité ne serait pas très forte, et il y aurait danger qu’il ne s’habituât à être un simple dilettante ; et dans la seconde période il sentira le besoin de continuer à s’enrichir : qu’il n’en éprouvât point le besoin ou au moins le désir, ce serait signe qu’il se contenterait de lui, et qu’il en serait content, marque des natures vulgaires, et il y aurait danger qu’il ne se renouvelât point, plus de danger encore, qu’il se copiât, qu’il se répétât, qu’il se « développât » et se paraphrasât, qu’il devînt, ce qui est affreux, un imitateur personnel et comme un humaniste de lui-même. C’est donc une vie en partie double et plutôt en partie multiple que celle du grand artiste destiné à devenir classique, une vie où l’intelligence qui comprend est sans cesse en jeu en même temps que l’imagination qui crée, et, pour tout dire, une vie de grand critique unie à une vie de grand créateur.

Le classique encore doit être de son pays et de son temps, plus de son pays que de son temps, à la vérité, mais cependant de l’un et de l’autre. Vous avez bien remarqué le caractère le plus désobligeant des écrivains purement humanistes, s’il en est, — car ces classifications ne s’appliquent jamais exactement, — mais du moins des écrivains qui sont surtout des humanistes : ils ont « une parole qui sent l’étranger », un accent qui semble avoir été appris, je ne sais quoi qui, marquant l’emprunt, sent l’effort. Ils ne sont pas francs. Je sais bien, qu’à un certain degré de raffinement, c’est un charme. Il y a tant d’artificiel dans l’art que l’artificiel lui-même donne une sensation artistique assez savoureuse. On dit : « Comme c’est ingénieux, comme c’est bien prendre la voix d’autrui; ce néo-grec est plus grec que le grec lui-même. » Et c’est vrai ; du moins c’est à dire que les sensations rares et inattendues que le vrai grec nous donne seulement quelquefois, quand il est l’interprète de sentimens et de mœurs tout à fait et décidément différens des nôtres, celui-ci nous les donne continûment, avec insistance, ayant été particulièrement ému et séduit par celles-là. De là son charme, mais aussi, à la longue, l’impression de faux, de non naturel, d’appuyé, au moins, et de trait trop creusé, que laisse l’écrivain humaniste. Dans un roman d’Alphonse Daudet, un faux Anglais, au cours d’une discussion chaude, et quand on va en venir aux coups, jette brusquement son masque et interpelle son antagoniste en pur français et avec le pur accent de Paris, en « bon jargon de Grève » : «Oh! oh! répond l’autre... Eh bien! je m’en doutais. Tu étais aussi par trop Anglais. » Le néo-grec chez les romains, le néo-grec ou le néo-latin chez les Français, sonne un peu faux, parce qu’il est aussi par trop grec ou par trop latin.

Il faut donc être de son pays et même de son temps pour être un vrai classique, le naturel étant la première des qualités du grand écrivain, et cependant rien n’est plus contraire à l’esprit classique, rien n’empêche mieux de devenir classique que d’avoir une trop précise couleur locale et que de dater. On sait même que « cela date » est la formule par laquelle on marque précisément qu’une œuvre n’est pas destinée à entrer dans le patrimoine commun. Il y a des œuvres qui sont trop françaises ou trop anglaises ou trop italiennes; et il y a des œuvres qui sont trop Louis XIII ou trop Louis XV. C’est aux auteurs de ces œuvres qu’on est tenté de dire en les lisant : « Vous n’êtes pas du temps, vous êtes du moment, » et : «Vous n’êtes pas du pays, vous êtes du terroir. » Le nationalisme dans ce cas est une espèce de provincialisme ; il sent le clocher. Au fait, c’est bien un provincialisme en effet; c’est l’air d’un homme qui est de son pays et qui n’a pas voyagé. Le classique est homme qui est de son pays, qui a voyagé à l’étranger sans devenir exotique, et dans le passé sans se pénétrer d’archaïsme.

Le classique encore doit être savant et ne le point paraître, ce qui est extrêmement difficile. Il doit l’être, et tout ce que je viens de dire le prouve, et il doit ne le point paraître, parce que la science qui se montre enlève à une œuvre son caractère, ou, du moins, sa saveur artistique. Buffon sait ce qu’il dit quand il assure qu’il n’y a que le style qui soit le propre de l’écrivain, la seule chose qui soit de lui et à lui, et que tout le reste, faits, découvertes, observations, n’est pas plus à lui qu’à un autre. Or, quand la science, le savoir, le trésor des connaissances acquises apparaît trop dans un écrivain, son œuvre, n’apparaissant plus comme personnelle, n’apparaît plus comme artistique. Elle semble l’œuvre collective de tous ceux que l’auteur a lus et qui ont versé en lui ce qu’il nous donne. Derrière lui on les voit, derrière lui on les compte. L’impression artistique ne se produit pas, ou perd infiniment de sa force. Le plus grand service que la fatalité ait rendu à Lucrèce est de détruire les œuvres d’Épicure. Si on les avait, le livre de Lucrèce ferait sans doute l’effet d’un simple cours de philosophie. Lucrèce est devenu classique parce que, « son texte » ayant été perdu, il paraît avoir inventé ce qu’il expose. Tel doit être par lui-même, et sans le secours de cette bonne fortune, l’écrivain classique. Il doit avoir si bien et si fortement pensé à nouveau ce qu’il a lu, qu’il nous semble inventer ce qu’il a appris. Dès lors sa personnalité reparaît, elle enveloppe et embrasse et pénètre cette matière étrangère, qui déjà n’est plus étrangère; l’œuvre semble bien sortie vivante et d’un seul mouvement d’un cerveau unique, et quoique beaucoup plus riche que celle qui aurait été conçue par un seul esprit, elle est personnelle nonobstant, et artistique à cause de cela.

Enfin l’écrivain classique devra être original, je ne dis pas sans l’être trop, ce qui serait une puérilité, mais en l’étant d’une certaine façon. Sans parler de cette originalité artificielle et facile qui n’est qu’excentricité et qui consiste à bien saisir l’opinion courante et le ton du moment pour en prendre le contre-pied, il y a une originalité vraie qui est dangereuse encore, dont il faut bien se contenter quand on n’a que celle-là, mais qui, tout en donnant de très beaux succès pour un temps, interdit de devenir un écrivain classique. Elle consiste dans certains défauts brillans de notre caractère, convertis par le talent en qualités ou du moins en puissances littéraires. La malice par exemple, l’esprit chagrin et misanthropique, le don de saisir les ridicules sans connaître l’homme tout entier, l’exaltation facile et l’enthousiasme toujours prêt à s’enflammer, la sensibilité trop vive et le don d’être malheureux, j’en oublie ou j’en passe, sont des particularités de caractère qui deviennent des originalités littéraires fort appréciables quand le talent d’expression s’y joint. Elles font les humoristes, les satiriques, les lyriques de second ordre, ou qui ne sont pas tout à fait du premier, en prose et en vers, les élégiaques, les romanciers, les faiseurs de confessions, de confidences ou de mémoires. Nous avons des œuvres de très grand mérite qui ont leur source première dans un défaut de ce genre, défaut assez précieux, sans aucun doute, qui constitue bien une originalité, puisqu’il a singularisé entre les hommes le personnage, doué de talent du reste, qui en était honoré et affligé.

Mais remarquez le genre très particulier aussi de gloire qui s’attache à ces hommes et à ces œuvres. Ils n’ont pas pour eux la postérité tout entière. Leurs lecteurs sont une clientèle, et ils ont des partisans plutôt que des admirateurs, ce que, du reste, ils ont dû souhaiter. Ils plaisent, à travers les âges, chacun à ceux qui ont exactement le même caractère, les mêmes inclinations et surtout les mêmes défauts qu’ils avaient eux-mêmes. Ceux-ci, à la vérité, leur sont très dévoués, sont même ardens pour eux, mais ce n’est pas là la vraie gloire, la gloire incontestée et universelle, la gloire classique.

Le grand auteur classique a, lui, un autre genre d’originalité. Son originalité c’est surtout sa supériorité. Il est, dans son genre, un héros de l’humanité, un de ces hommes où l’humanité se reconnaît elle-même portée à un plus haut degré de puissance, d’énergie et de perfection.

Pour serrer les choses de plus près, le grand écrivain classique est un homme qui représente, non pas le caractère tout entier de la race à laquelle il appartient, c’est chose impossible; non pas aussi, comme tout à l’heure, un des défauts de la nation dont il est, poussé à un degré extraordinaire, mais une des qualités de cette nation élevée à une hauteur, amenée à une grandeur inaccoutumées. Et comme c’est par les défauts qu’on se distingue le plus, et par les qualités qu’on se reconnaît ou qu’on croit se reconnaître, et qu’on s’entend ou qu’on croit s’entendre, ce même écrivain, si original par la supériorité éclatante d’une qualité rare à ce degré, si national puisque cette qualité est une des qualités, ordinaires à un degré moindre, de sa race, sera reconnu et entendu cependant, et admiré de l’humanité tout entière tant qu’elle n’aura pas changé; et elle ne change jamais.

On voit assez quels dons extraordinaires à la fois de force et de souplesse il faut à un écrivain pour avoir quelque chance de devenir un écrivain classique. Ces facultés presque opposées de personnalité et de compréhension, je dirai presque d’hospitalité facile, de puissance créatrice et d’assimilation, d’originalité et de transformation, de nationalisme et de cosmopolitisme, on les trouve chez un Virgile, chez un Corneille, chez un Racine, chez un La Fontaine, chez un Chateaubriand, chez un Goethe; mais le concert en est une des « réussites » les plus rares de l’histoire de l’esprit humain.

Une littérature classique sera donc... mais il n’y a pas de littérature classique, et c’est là décidément un mot impropre; il y a, répondant aux définitions, ou plutôt aux conditions, que j’ai énumérées plus haut, un petit nombre d’hommes supérieurs naissant ici et là, à tel moment ou à tel autre, et qui sont classiques parce qu’ils sont ce que j’ai dit, sans que ce qui les entoure soit classique le moins du monde. Ils ont autour d’eux et après eux des imitateurs qui rappellent leur manière et leur démarche habituelle, mais qui, précisément en tant qu’imitateurs, ne sont pas des classiques, mais des humanistes ou des alexandrins, selon le degré et la façon. Disons donc, non pas une littérature classique, mais un grand écrivain classique sera comme en un milieu à égale distance de la littérature purement personnelle et de la littérature savante, qu’on l’appelle humaniste ou alexandrine. Il tiendra l’entre-deux, comme dit Pascal, précisément parce qu’il est également capable de faire tout ce que fait Tune et tout ce que fait l’autre, et capable aussi de les concilier en lui. Il n’y a pas d’art plus personnel et plus impersonnel, tour à tour, et même à la fois, que celui de Goethe ou de Chateaubriand. Mais n’oublions pas, pour ne pas tomber dans l’ingratitude, que l’alexandrinisme et l’humanisme sont la préparation nécessaire du grand classique, sa matière, et aussi, à un autre point de vue, les états d’esprit par lesquels il doit commencer par passer et où, même, il ne doit pas laisser de revenir. Il n’y a pas un grand écrivain classique, en laissant, bien entendu, de côté Homère, dont nous ne pouvons connaître ni les antécédens, ni ce qu’il a été, ni s’il a été, qui n’ait eu son éducation et comme en ses racines un puissant aliment d’humanisme et même d’alexandrinisme. Les époques où les classiques, dans tout le sens que j’ai essayé de donner à ce mot, se font rares, ne paraissent plus, ce sont les époques où l’humanisme décroît et disparaît.

C’est le XVIe siècle qui a fait le XVIIe, fils glorieux et ingrat; la stérilité artistique du XVIIe siècle doit être en grande partie attribuée à la décadence des études classiques. Si les grands génies poétiques de la première moitié du XIXe siècle, si admirablement doués, mieux doués par la nature peut-être qu’aucun des génies que la France ait jamais produits, ont constitué pourtant une littérature presque purement personnelle, ont été surtout élégiaques et lyriques, ce qui du reste est beau, n’ont ni renouvelé vraiment le théâtre, ni donné à la France une grande épopée, ni écrit un grand poème philosophique ou scientifique, ne sont arrivés au genre épique, indirectement, d’ailleurs, et s’y essayant par fragmens de courte haleine, qu’après être devenus humanistes à leur manière et avoir pris pour leurs Homères les trouvères du moyen âge ; c’est peut-être parce qu’ils étaient tous assez ignorans, et n’avaient pas suivi l’exemple et la leçon ou de Gœthe, ou de Chateaubriand, ignorant à vingt ans, mais de vingt à trente refaisant son éducation littéraire avec la fougue et l’acharnement de Ronsard.

La renaissance contemporaine de l’humanisme, qui a été réelle, et dont on peut fixer les dates de 1850 à 1870 environ, n’a pas été sans une grande et salutaire influence. Ce nouvel humanisme n’a pas, il est vrai, rencontré un ou deux de ces génies supérieurs, dont l’humanisme ne peut pas se passer, étant certainement impuissant à lui tout seul à créer un grand classique ; mais il a, comme il fait toujours, dans le repos de la littérature personnelle épuisée par son magnifique effort, suscité, échauffé et nourri quatre ou cinq poètes d’un très grand talent, qui semblent bien être nés tels, que, sans lui ils n’eussent ni trouvé leur voie, ni rencontré la matière conforme à leur tempérament. Et ce Parnasse moderne, trop humaniste à mon gré, et peut-être même un peu alexandrin, est après tout ce qu’il y a de plus brillant et de plus durable dans la littérature française du milieu du siècle.

Aux dernières nouvelles, l’humanisme semble être très peu en faveur et avoir extrêmement peu de vigueur, et l’on ne sent l’influence de l’antiquité que dans les rares survivans du Parnasse de 1860, qui seront demain les hommes d’avant-hier. La jeune littérature n’a absolument rien de traditionnel. Ne faut-il pas attribuer cet état général à l’affaiblissement des études classiques en France depuis 1870 et au mépris, peut-être passager, très probablement durable, où elles sont tombées, en partie avec la complicité de ceux qui devaient naturellement en avoir la garde ? Rien n’est plus probable. Et c’est aussi pourquoi le moment actuel est un des plus intéressans à étudier de toute l’histoire littéraire delà France. Nous sommes, pour des causes tout autres, dans la même situation littéraire qu’en 1815, c’est-à-dire en présence d’une génération littéraire qui n’a pas fait ses humanités, ou qui les a faites très superficiellement, sans passion, sans foi certainement, et sans émotion. Est-ce une littérature personnelle et originale qui va en résulter? Il est possible, et je n’ai pas besoin d’ajouter qu’il est souhaitable. Les signes ne semblent pas pourtant être dans le sens de cette hypothèse. Les grands génies personnels ne s’annoncent pas. En attendant, ce qui devait arriver naturellement se produit en effet. La littérature humaniste est d’ordinaire le repos de la littérature personnelle. La littérature personnelle se reposant, et la littérature humaniste, pour les raisons que j’ai dites, n’ayant aucune force, que reste-t-il? Non pas rien du tout. Faites attention. M. Auguste Couat, dans son livre sur Catulle, publié il y a vingt ans, avisait déjà une manière d’alexandrinisme particulier qui est celui-ci : «... ressusciter par un effort d’imagination dans notre France moderne le moyen âge ou l’antiquité, peindre dans des vers laborieux la Perse, la Chine on le Japon... c’est être alexandrin. » C’est peut-être forcer ou étendre un peu trop le sens des termes, et l’exotisme n’est pas l’alexandrinisme, et il doit avoir son nom à lui; mais il y a des rapports. Oui, l’exotisme est dans une certaine mesure un genre d’alexandrinisme, un genre d’humanisme. Il le remplace. Il a les mêmes origines, il vient, comme lui, d’une certaine impuissance unie à une certaine curiosité. Il est, si l’on veut, un succédané de l’humanisme. Eh bien, l’humanisme et aussi l’alexandrinisme de notre temps, c’est l’exotisme.

La passion, pour les Tolstoï hier, pour les Ibsen et les Björnson aujourd’hui, n’a pas d’autres causes que l’absence de littérature personnelle d’une part et l’oubli de la littérature humaniste d’autre part. Un mot d’un écrivain d’une de nos « jeunes revues » m’a bien frappé : « Ce à quoi nous faisons la guerre, c’est à la littérature nationale. » C’est un mot de polémique, et qui dépasse la pensée de l’auteur, bien entendu ; mais il en indique bien la tendance. Or c’est un mot d’humaniste effréné, tout simplement ; c’est un mot qu’aurait pu dire Horace dans un de ces momens de mauvaise humeur où il biffait toute la littérature romaine d’avant lui ; c’est un mot qu’aurait pu dire Ronsard aux premières années d’enivrement et de frénésie classiques. C’est un mot d’humaniste ; mais de nos jours, c’est le mot d’un homme qui regarde au delà des frontières dans l’espace, au lieu de regarder au delà des frontières dans le temps, qui regarde du côté de l’étranger au lieu de regarder du côté de l’antique. L’exotisme a remplacé l’humanisme, et a les mêmes ardeurs, la même intempérance aussi et le même exclusivisme que l’humanisme avait souvent.

Aura-t-il les mêmes effets? Sera-t-il, pour quelques grands écrivains destinés à devenir classiques, la préparation nécessaire, la matière première, ou l’excitant, ou le levain? Il est possible. On en peut douter, parce qu’il ne faut pas oublier que cette matière première ou cet excitant doit être déjà assez conforme à la nature de celui qui l’absorbe pour qu’il puisse l’assimiler facilement. Or le Latin qui s’instruit chez le Grec; le Français, l’Italien, l’Espagnol, qui s’instruisent chez le Latin, ne sortent pas autant de leur monde intellectuel, font une moindre violence à leur nature que le Français qui s’instruit chez l’Allemand, le Russe ou le Norvégien. La greffe ne doit pas être d’une essence trop éloignée de l’arbre à laquelle on l’applique. — Cependant, qu’en savons-nous ? Quelques différences qui existent entre nous et les Allemands et les Russes et les Norvégiens, n’oublions pas pourtant que c’est chez nous qu’eux-mêmes ont commencé leur éducation pour en tirer une littérature d’abord analogue à la nôtre, qu’ils ont rejetée, et avec raison, quand, grâce à ces premiers exercices, ils sont arrivés à se donner une littérature originale. S’ils étaient capables de tirer quelque chose de nous, c’est sans doute un signe que nous pouvons tirer quelque chose d’eux. Il ne faut nullement décourager nos humanistes par exotisme.

Encore pourtant faut-il ajouter que cette littérature française où les peuples de l’Europe les plus différens de nous à tous égards ont puisé leur éducation littéraire était une littérature à base d’humanisme, et que par conséquent c’est bien l’antiquité qui reste la source première et commune qui, soit directement, soit par de longs canaux, soit par lointaines infiltrations, a versé partout, ou a partout animé et fécondé la vie littéraire, disons mieux, la vie intellectuelle. Peut-être, au risque d’être humanistes à l’ancienne manière, au risque même d’être un peu alexandrins à l’ancienne mode, faudrait-il ne pas négliger complètement ces origines, d’où, directement ou indirectement, et dignes d’elles comme indignes, et plus ou moins, nous venons tous.

C’est y revenir avec le plus grand profit, prenant pour guides des savans aussi distingués que M. Georges Lafaye et M. Auguste Couat, que de relire ce charmant et puissant Catulle, si original et en même temps si pénétré d’antiquité grecque, si humaniste, si alexandrin, si national aussi, et si original, premier modèle peut-être du poète classique dans tous les sens du mot, sinon dans toute la grandeur qu’il peut avoir.


EMILE FAGUET.