Suréna/Notice
NOTICE.
« Monsieur Corneille, dit Jolly[1], avoit en vue deux sujets de tragédie lorsqu’il s’arrêta à celui-ci : le premier étoit Usanguey, prince chinois dont les historiens font de grands éloges[2], et le second[3], tiré de Tacite, étoit le fameux Gaulois nommé Antonius Primus, lequel avoit contribué plus que personne à mettre Vespasian sur le trône, et dont les services furent mal reconnus. Ce nom lui paroissant peu propre à entrer dans un vers, il préféra celui de Suréna, dont l’histoire lui fournissoit les mêmes circonstances, et le caractère d’un héros qui n’avoit point encore paru sur la scène. »
Il est fort curieux que Corneille ait ainsi songé, ne fût-ce qu’un instant, à transporter la scène d’une de ses tragédies dans un pays alors si mal connu, qu’il fallut encore en 1755 beaucoup de hardiesse à Voltaire pour oser faire représenter son Orphelin de la Chine.
Nous ne pouvons, du reste, contrôler le témoignage de Jolly par aucun autre. Privé pour cette époque du secours que nous ont fourni précédemment la Gazette de Loret et les Lettres en vers de Robinet, nous avons fort peu de détails sur tout ce qui concerne la tragédie de Suréna, et nous ignorons par quels acteurs cette pièce fut représentée.
« La tragédie de Suréna, dit Voltaire dans sa préface, fut jouée les derniers jours de 1674 et les premiers de 1675. » Les frères Parfait en placent l’analyse à la fin de l’année 1674, sans marquer ni le jour ni le mois de la première représentation. Elle est fixée au mardi 11 décembre dans le Journal du Théâtre françois[4], auquel nous n’avons guère recours qu’à défaut d’autre document, mais dont l’indication concorde en cette circonstance avec le passage suivant d’une lettre écrite par Bayle à M. Minutoli à Rouen, en date du 15 décembre 1674[5] : « On joue à l’hôtel de Bourgogne une nouvelle pièce de M. Corneille l’aîné, dont j’ai oublié le nom, qui fait, à la vérité, du bruit, mais pas eu égard au renom de l’auteur. Aussi dit-on que M. de Montausier lui dit en raillant : « Monsieur Corneille, j’ai vu le temps que je faisois d’assez bons vers ; mais, ma foi, depuis que je suis vieux, je ne fais rien qui vaille. Il faut laisser cela pour les jeunes gens. »
Que M. de Montausier ait parfois traité certains poëtes amateurs comme Alceste, dont il avait, dit-on, fourni le modèle, traite Oronte dans le Misanthrope, on le comprend, et l’on n’a pas le courage de lui en vouloir ; mais on aime à douter qu’il ait adressé des paroles aussi dures à un homme de génie qui n’avait qu’un seul tort, bien respectable : celui de vieillir.
Le titre exact de la pièce est : Surena, général des Parthes, tragédie. À Paris, chez Guillaume de Luyne… M.DC.LXXV. Avec Privilege du Roy. L’Achevé d’imprimer est du 2 janvier 1675. Le volume, de format in-12, se compose de 2 feuillets et 72 pages.
POUR LES VARIANTES DE SURÉNA.
- ↑ Avertissement du Théâtre de P. Corneille, p. lxxi.
- ↑ Voyez l’histoire de la Chine, par le P. du Halde, jésuite. (Note de Jolly.) — L’ouvrage de du Halde n’a été indiqué dans cette note qu’à titre de renseignement et non comme la source à laquelle Corneille aurait puisé ; son histoire ou plutôt sa Description géographique, historique, etc., de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise, n’a paru qu’en 1735. Il y est question en divers endroits, aux tomes I et III, d’Usangey (Ou san guey), ce fameux général chinois qui ayant introduit les Tartares dans la Chine pour exterminer les rebelles, et contribué, sans le vouloir, à la conquête qu’ils en firent, forma le projet de délivrer sa patrie du joug tartare. (Tome III, p. 113.) Il mourut accablé de vieillesse, après avoir reçu la dignité de roi et le titre de Ping si, « pacificateur d’Occident. » (Tome I, p. 467 et 476.) Le livre où Corneille avait pris ce sujet chinois est sans doute celui du missionnaire jésuite Martin Martini, qui fut publié à Rome en 1654, sous ce titre : De Bello Tartarico in Sinis (in-12), qui fut traduit, dès cette même année 1654, et en Italien, et en français (sous ce titre : Histoire de la guerre des Tartares contre la Chine, traduite du latin du P. Martini), puis de nouveau en français par le P. Semedo, à la suite de l’Histoire de la Chine (Lyon, 1667, in-4o).
- ↑ Histoires, livres II, III et IV.
- ↑ Tome III, feuillet 1329 recto.
- ↑ Lettres de M. Bayle, publiées sur les originaux par des Maizeaux, Amsterdam, 1729, tome I, p. 61 et 62.