Suite des Réflexions critiques sur l’usage présent de la langue française/Y


Y


Exemple. Il y a des gens qui sont au desespoir, quand on les appelle Marquis ou Comtes, & d’autres quand on ne les y appelle pas, dit un Auteur nouveau. Cette maniere de parler n’est assûrement pas à la mode, il falloit : & d’autres, quand on ne leur donne pas cette qualité, ou enfin chercher quelque autre tour.

J’ay dit quelque part en parlant des Colleges : on sçait bien qu’en ces sortes de lieux on ne s’y polit point, qu’on ne s’y forme point, qu’au contraire on y contracte des défauts ridicules, cet y là, demande un de mes Critiques, n’est-il pas vitieux ? En ces sortes de lieux on ne s’y polit point[1], & ne falloit-il pas dire : on ne se polit point en ces sortes de lieux. Voicy donc ce que mon Critique m’oblige à remarquer.

Il est élegant quelquefois de placer devant le verbe les mots sur quoy tombe l’action du verbe : & quand on le pratique, la particule y bien loin d’être vitieuse, est élegante, comme on le peut voir par ces Exemples : on pense sans cesse à sa fortune, à ses affaires, à ses plaisirs ; mais à la mort on n’y pense point. Ce qui est bien mieux que de dire : mais on ne pense point à la mort.

On peut s’accommoder avec les hommes de la plus mauvaise humeur, mais avec une femme querelleuse on n’y sçauroit vivre.

Il en est de même de la particule en, comme en cet Exemple de M. de Vaugelas : Les Rois de Macedoine ont tenu d’autres Villes, que tiennent aujourd’huy les Parthes ; mais de celle-ci on n’en trouveroit aucun vestige, si l’Araxe ne nous en donnoit l’adresse. Ce qui a bien plus de force que de dire, avec le tour de nôtre Critique : mais on ne trouveroit aucun vestige de celle-ci. Cela est trop clair : pour s’y arréter davantage.

Je remarque en passant, que nous avons une expression tres-commune & tres-ordinaire, où la particule y qui s’y trouve toûjours, est souvent superfluë, sans qu’on puisse neanmoins l’ôter ; c’est il y a pour il est, comme : Il y a cent personnes dans cette maison, il y a tant d’hommes dans cette Ville là. Mais si je disois, par exemple, si vous sçaviez combien cette maison est magnifique & les beaux meubles qu’il y a ; alors cet y ne seroit pas superflu, parce qu’il seroit relatif, & suppléeroit au défaut du mot de maison qu’il seroit désagreable de repeter, car c’est comme si je disois : si vous sçaviez les beaux meubles qui y sont ; mais quand je dis : il y a bien des hommes dans Paris, il y a bien des méchans dans le monde : il est constant qu’alors cette particule y qui de sa nature est relative, & dont l’office doit être de remplir la place d’un nom sous-entendu, est un veritable pleonasme, puis qu’elle ne supplée à rien, & que neanmoins on ne pourroit l’ôter sans parler un langage barbare.


FIN.
  1. P. 237.