Suite des Réflexions critiques sur l’usage présent de la langue française/F

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F

Il a failli, Il a pensé.


Le dernier est le meilleur, M. de Vaugelas, à la verité, dit dans son Quinte-curce, Menidas & Benus faillirent à être blessez[1] ; il eut beaucoup à souffrir des pluyes continuelles & des tempestes qui faillirent à le perdre. Il s’est reglé en cela sur Coeffeteau, qui dit toûjours failli au lieu de pensé. Mais ce mot qui étoit bon en ce sens du tems de ces Auteurs, ne l’est plus gueres aujourd’huy. On dit il s’est pensé tüer, il a pensé mourir, le vaisseau pensa perir, mieux que il a failli à se tüer. Il a failli à mourir, le vaisseau faillit à perir. Alexandre n’eut pas plûtôt passé le Caucase, que son Armée faillit à perir faute de vivres, dit M. de Vaugelas[2] ; il faudroit dire aujourd’huy, pensât perir faute de vivres.


Fasse le ciel.

Expression usée dont se parent encore certains Prédicateurs, qui ne croiroient pas avoir fait un beau discours, s’ils n’avoient dit vingt fois, fasse le Ciel.

Fasse le Ciel, que je puisse par le foible son de ma voix, (car c’est là leur stile) faire entrer ces grandes veritez dans vos cœurs.

Fasse le Ciel, que mon foible esprit puisse soûtenir le poids de ces grandes veritez, pour pouvoir vous les exposer dans tout leur jour.

Fasse le Ciel, que tous ceux qui m’entendent ne sortent point de cet Auditoire, sans que les fléches de cette divine parole ayent penetré jusqu’au fonds de leur cœur.

Ils feroient bien mieux, les bonnes gens, d’implorer le secours du Ciel, pour parler plus raisonnablement & de meilleur sens.


Faiseur.

L’Auteur des Remarques nouvelles, a raison de dire que Faiseur n’est bon, selon le genie de nôtre Langue, que pour se moquer des ignorans qui font les habiles. Je remarque, en effet, que si l’on peut dire un Faiseur de Réflexions en parlant d’un Grammairien, qu’on n’estimeroit gueres ; on pourroit bien dire de même, un Faiseur de Remarques, un faiseur d’entretiens, un faiseur de Dialogues, un faiseur de Vies, en parlant d’un Auteur qui se mesleroit de faire des Remarques, des entretiens, des Dialogues & d’écrire des Vies sans y réüssir. L’observation de nôtre Auteur est fort juste, je voudrois seulement, que puis qu’il a sçû que faiseur étoit un terme de mépris ; il n’eut pas ajoûté, comme il a fait, à la Remarque qu’il m’a prise sur bresil & brasil, que Samson & Duval disent Bresil avec la plûpart des Faiseurs de Voyage. Puisque le mot de faiseur est odieux, selon luy, il ne falloit pas s’en servir dans cette occasion.


Feindre.

Exemple. « Les gens du monde sont bien aises de nommer les choses, comme il leur est avantageux de les feindre. » J’ay voulu dire, selon un de mes Critiques[3] : Comme il leur est agreable de se les representer les plus criminelles sous des Images innocentes ; car, continuë-t-il, il faut ajoûter tout cela à son discours pour le rendre intelligence.

Certainement voila une Phrase bien corrigée ? Les gens du monde sont bien aises de nommer les choses, comme il leur est agreable de se les representer les plus criminelles sous des Images innocentes. Le beau langage ? Mais que dirons-nous de cette belle maniere de parler : rendre un discours intelligence ? J’aime mieux croire que c’est une faute d’impression.


Figure, Idole.

Exemple. Les Gaulois ont des Idoles d’une grandeur extraordinaire, qu’ils remplissent d’hommes vivans, & où aprés ils mettent le feu[4]. L’un des Critiques dont nous avons parlé, reprend ce mot d’Idoles & soûtient qu’il faut dire, les Gaulois ont des figures d’une grandeur extraordinaire, &c. par la raison que le mot d’Idole ne se dit pas de figures, qui ne sont l’objet d’aucun culte. Mais n’en déplaise au Censeur, cette raison bonne ou mauvaise justifie le mot d’Idole, dont je me suis servi ici aprés M. d’Ablancourt, puis qu’il est certain que ces figures étoient en veneration chez les Gaulois, quelque pensée que nôtre Censeur ait du contraire. Il est vray qu’ils y mettoient le feu, mais c’étoit pour brûler les hommes qu’ils y avoient enfermez, & non pour consumer leurs Idoles qui étant de fer ou d’airain, quoy qu’entre-lassées d’ozier étoient à l’épreuve du feu. Les Ammonites n’adoroient-ils pas l’Idole de Moloch, & cependant ils y mettoient le feu pour y brûler des hommes.

J’ajoûte à cela, qu’une grande marque que le mot de Simulachres que porte le Latin, & que j’ay rendu par celuy d’Idoles, se prend pour des figures qu’on adoroit, c’est que Cesar l’employe en ce même sens quatre lignes plus bas ; ils honorent principalement Mercure, dit-il, dont ils ont plusieurs Simulachres hujus sunt plurima Simulachra[5]. D’ailleurs y a-t-il apparence que si ces figures monstrueuses n’avoient été l’objet de quelque culte, une Nation aussi superstitieuse que celle-là, eut mieux aimé faire construire des figures d’hommes ou d’animaux, pour y brûler des hommes, que de faire élever des Tours ou d’autres choses semblables plus propres à cet usage.

Il ne faut pas croire pour cela, que je pretende défendre ici le terme d’Idole ; j’avouë qu’il seroit mieux d’avoir traduit le mot de Simulachres par celuy de Statuës ou de figures ; mais ce n’est pas par la raison qu’en apporte nôtre Critique, c’est parce que le mot d’Idole se prenant parmi nous en mauvaise part, lors qu’il se prend pour des figures adorées, & renfermant une idée de mépris pour toutes les divinitez du Paganisme : il est visible que c’est une méprise de le mettre dans la bouche d’un Idolâtre comme Cesar qui parle dans ce passage ; ainsi il falloit dire, ils ont des figures d’une grandeur démesurée qu’ils remplissent d’hommes vivans & qu’ils brûlent aprés. Voila à quoy celuy qui m’a repris ne s’attendoit pas sans doute.


Se fit, se tint.

On dira bien le discours se fit, la harangue se fit ; mais on ne dira pas de même, la conversation se fit, il faut dire, la conversation se tint. Un Auteur nouveau a dit neanmoins, je crois ne pouvoir mieux vous éclaircir là-dessus, qu’en vous faisant part d’une fameuse conversation, qui se fit il n’y a pas long-tems chez une femme de qualité ; il devoit dire, qui se tint il n’y a pas long-tems chez une femme de qualité, ou mieux, chez une Dame. Cette conversation, poursuit-il, se fit entre trois hommes & trois femmes ; il falloit, se tint entre trois hommes & trois femmes.


Faire métier.

Je n’ay jamais oüy dire, que faire métier signifiât se resoudre, être prest ; & je ne comprens pas comment un homme qui se mesle de critiquer les Traductions des autres, a pû croire que lors qu’un Auteur Latin a dit qu’il falloit être sans reproche, quand on vouloit reprendre, il ait voulu dire quand on faisoit métier de reprendre : c’est pourtant ainsi que le Traducteur a rendu ces mots de Ciceron. Carere debet omni vitio qui in alterum est dicere paratus[6]. Il faut être sans reproche, dit-il, quand on fait métier de reprendre les autres[7]. Ciceron cependant ne pretend dire autre chose dans ce passage, sinon que lors qu’on se mêle de reprendre quelqu’un, il faut être si exempt de défaut, qu’on ne donne aucune prise sur soy.


Faire à deux fois.

Exemple. Il y a des gens qui dans la premiere entre-veuë nous disent tout ce qu’ils sçavent & qui n’en font point à deux fois, cette expression est ordinaire dans le discours familier ; elle s’écrit, & même l’Auteur des Remarques nouvelles n’a pas fait difficulté de s’en servir dans son dernier Livre[8] : Comme je suis contraint, dit-il, d’avoüer mes fautes & de ne me point ménager, je croi qu’il n’en faut point faire à deux fois, & que je ne puis mieux finir mon Livre, que par une retractation solemnelle, qui marque au Public que je ne suis pas fort attaché à mon sens, & que je sçay me dédire quand il faut.

Cet Exemple est instructif d’ailleurs, & renferme une Leçon importante pour bien des gens ; rien n’étant si beau que d’avoüer qu’on a manqué, & quoy qu’il ne s’agisse ici que de fautes de Grammaire, cet aveu a toûjours quelque chose de genereux.


Se fier à, Se fier en.

Se fier en a un sens plus fort que se fier à, ce dernier signifie seulement ce que nous entendons par le mot de croire ; comme, je me fie à vous, ne me trompez pas : On peut se fier à luy, quand il dit quelque chose, ce n’est pas un homme qui aime à mentir, on peut se fier à luy ; au lieu que se fier en, marque une confiance entiere fondée sur la persuasion, où l’on est de la probité & de la fidelité de la personne. M. de Vaugelas s’en sert en ce dernier sens, quand il dit[9] : Il commanda à Thymondas de prendre tous les Soldats étrangers que commandoit Pharnabaze, desirant s’en servir en cette guerre, comme de ceux en qui il se fioit le plus.

Sur ces entre-faites il reçût des lettres de Parmenion, celuy de tous les Grands de sa Cour en qui il se fioit le plus[10].

Qui seroient desormais les Etrangers qui voudroient se fier en luy, s’il se soüilloit du sang de tant de braves Soldats[11].


  1. Vaug. Quint.
  2. Quint.
  3. P. 203.
  4. Dablanc. Comment. de Ces. Liv. 6.
  5. Ces. Liv. 6 Com.
  6. Cic. Lib. I. off.
  7. P. 229.
  8. Suite des Remarques nouv.
  9. Vaug. Quint.
  10. Vaug. Quint.
  11. Vaug.