Suite de Joseph DelormeMichel Lévy frères. (p. 185-187).

II

DÉSIR


Eh quoi ! ces doux jardins, cette retraite heureuse,
Qui des plus chers désirs de mon âme amoureuse
Enferme les derniers ;
Beaux lieux dont je n’ai vu que l’enceinte, bordée
De mélèzes en pleurs et d’arbres de Judée
Et de faux-ébéniers ;

Bosquets voilés au jour, secrètes avenues,
Dont je n’ai respiré les odeurs inconnues
Que par la haie en fleur ;
Au bord desquels, poussant mon alezan rapide,
J’ai souvent en chemin cueilli la feuille humide
Pour la mettre à mon cœur ;

Quoi ! ces lieux de son choix, ces gazons qu’elle arrose.
Ces courbes des sentiers dont à son gré dispose
Un caprice adoré ;

Ce plaisir de ses yeux, son bonheur dès l’aurore ;
Tout ce qu’elle embellit et tout ce qu’elle honore,
Demain je le verrai !

Je verrai tout : déjà je sais et je devine ;
Je suis sous les berceaux sa démarche divine
Et son pas agité ;
Je l’imagine émue, en flottante ceinture,
En blonds cheveux, plus belle au sein de la nature,
Ô Reine, ô ma Beauté !

Oh ! dis, en ces moments de suave pensée,
Lorsqu’au pâle rayon dont elle est caressée
L’âme s’épanouit,
Comme ces tendres fleurs que le soleil dévore,
Que le soir attiédit, et qui n’osent éclore
Qu’aux rayons de la nuit ;

Quand loin de moi, sans crainte et plus reconnaissante,
Tu nourris de soupirs cette amitié naissante
Et ce confus amour ;
Quand sur un banc de mousse, attendrie et pâlie,
Tu tiens encor le livre et que ton œil oublie
Qu’il n’est déjà plus jour ;

Quand tu vois le passé, tous ces plaisirs factices,
Tous ces printemps perdus comparés aux délices
Qui germent dans ton cœur ;
Combien pour nous aimer nous avons de puissance,
Mais que, même aux vrais biens, le mensonge ou l’absence
Retranchent le meilleur ;

Oh ! dis, en ces moments d’abandon et de larmes,
Sens-tu tomber tes bras et se briser tes armes
Contre un amant soumis ?

Sens-tu fléchir ton front et ta rigueur se fondre
Et les gémissements essayer de répondre,
Quand de loin je gémis ?

Oh ! dis, sous la fraîcheur du plus charmant ombrage,
Dans tes loisirs sans fin, toujours et sans partage
Suis-je en ton souvenir ?
Dis, songeant au réveil que dans ta chère allée,
Sous l’arbre confident de ta plainte exhalée,
Demain je dois venir,

As-tu, ce matin même, as-tu revu les places,
As-tu peigné le sable ou se verront tes traces
Et les miennes aussi ?
As-tu bien dit à l’arbre, aux oiseaux, à l’abeille,
Au vent, — de murmurer longtemps à mon oreille :
 « C’est ici, c’est ici !

« Ici qu’elle est venue, ici que, solitaire,
« S’est lentement en elle accompli ce mystère
 « Qui nous change en autrui ;
« Ici qu’elle a rêvé qu’elle s’était donnée,
« Ici qu’elle a béni le jour, le mois, l’année
 « Qui l’uniront à lui ! »

Vœu sacré ! — Mais au moins, pour demain, belle Élise,
N’est-il pas, n’est-il pas, vers cette heure indécise
Où tout permet d’oser,
N’est-il pas un sentier dans le myrte et la rose,
Un bosquet de Clarens où le ramier se pose,
Où descend le baiser ?