Suite de Joseph DelormeMichel Lévy frères. (p. 201-202).


III

ÉPODE


Audivere, Lyce, Di mea voto, Di
Audivere Lyce…

Horace, Odes, liv. IV, xiii


Le matin, en passant sous l’humide ramée,
Un double fruit vert-tendre est tombé du pècher :
Votre robe était là, rien qu’à demi fermée,
Il s’est pris au dedans comme pour s’y cacher.

Et le fruit d’abord vert, dans ce doux nid qu’il aime,
Sur ce cœur qui tout près réchauffe en palpitant,
A mûri, s’est gonflé mieux que sur l’arbre même :
Hébé tient le trésor et tout l’Olympe attend.

Je passais, j’entrevis le beau fruit dans sa gloire ;
Altéré de désirs, j’y plongeais tous mes vœux.
Vous l’entr’ouvriez de loin, mais sans m’y laisser boire :
La neige et le soleil m’embrasaient de leurs feux.

J’avais soif, je brûlais ; dans mon ardeur fatale
J’implorais un seul soir pour m’y désaltérer :
Mais vous avez souri de mon air de Tantale,
Vous faisiez votre jeu, croyant mieux m’enivrer.

Et pour plus aiguiser la flamme provocante,
Vous vous pariez le sein par un art diligent :

Tantôt l’onyx gravé figurait la Bacchante,
Tantôt l’épingle ouvrait son papillon d’argent[1].

Six ans entiers, six ans, sans marchander ma peine,
Comme un chien aboyant suit le croissant qui fuit,
J’ai suivi ce dur sein, cette avare fontaine,
Ce beau fruit odieux dont l’éclat m’a séduit.

Il était si facile à celle qui m’embrase
D’apaiser mon supplice et de me faire heureux ;
Il eût été si doux, dans la commune extase
De s’enivrer à temps au rameau savoureux !

Tout disait de mourir, et les molles délices
Du fruit presque échappé de son réseau brillant,
Et la langueur du soir, la blancheur des calices
Que la rose affaiblie étale en s’effeuillant.

L’automne laissait choir sa dernière corbeille ;
Toute vie était lasse et tout orgueil brisé :
Le vôtre est seul debout ; comme au matin, il veille :
Vous portiez le bonheur, vous l’avez refusé.

Mais, vengeance et retour ! et terme du martyre !
Tant et tant et si bien vous avez attendu,
Que le fruit s’est flétri : tout mon désir expire,
Madame, et je suis libre, et vous m’avez perdu.


  1. Ὅρμοι δ' ἀμφ' ἁπαλῇ δειρῇ περικαλλέες ἦσανη,
    Καλοὶ, χρύσειοι, παμποίκιλοι· ὡς δὲ σελήνη,
    Στήθεσιν ἀμφ' ἁπαλοῖσιν ἐλάμπετο, θαῦμα ἰδέσθαι.

    Homère, Hymne à Vénus.

    On demande pardon de tout ce grec ; mais l’ambition de l’éditeur, il l’avoue, serait que cette Suite de Joseph Delorme sentît quelque peu son Anthologie.