Suite de Joseph Delorme/« Moi qui rêvais la vie en une verte enceinte »

XII

SONNET


Moi qui rêvais la vie en une verte enceinte,
Des loisirs de pasteur, et sous les bois sacrés
Des vers heureux de naître et longtemps murmurés ;
Moi dont les chastes nuits, avant la lampe éteinte,

Ourdiraient des tissus où l’âme serait peinte,
Ou dont les jeux errants, par la lune éclairés,
S’en iraient faire un charme avec les fleurs des prés[1],
Moi dont le cœur surtout garde une image sainte !


Au tracas des journaux perdu, matin et soir,
Je suis à ce métier comme un Juif au comptoir,
Mais comme un Juif du moins qui garde en la demeure,

Dans l’arrière-boutique où ne vient nul chaland,
Sa Rebecca divine, un ange consolant,
Dont il rentre baiser le front dix fois par heure.


  1. Pieriosque dies et amantes carmina noctes. (Stage.)