Stratégie chinoise
Le gouvernement chinois, ayant reçu d’une fabrique d’armes européenne trois cent mille fusils nouveau modèle, les fit orner chacun de trois clochettes. Et c’est ainsi qu’un matin du dernier septembre, neuf cent mille clochettes tintèrent et retintèrent dans la vaste plaine de Lao-Tsin.
Le généralissime Hang-Hang, suivi de sa brillante escorte, s’avança sur une colline fleurie et s’apprêta à donner le signal du combat.
Parmi les reporters mêlés à l’escorte se trouvait mon ami Saladier, rédacteur militaire au journal l’Éleveur d’abeilles. Il suivit d’autant plus curieusement les opérations, qu’il n’entendait rien à la stratégie chinoise.
Le général Hang-Hang leva bien haut son sabre bicuspide, et s’écria :
« You-Tchi ! »
Ce qui voulait dire :
« Sur le dix-huitième escadron du vingt-deuxième régiment, formez la masse ! »
Le commandement : « You-Tchi ! » fut répété par le général Ti-Tzing, puis par le général Tao-Pé, puis à l’infini par d’autres chefs de corps. Les troupes se mirent en mouvement, et les neuf cent mille clochettes tintèrent à nouveau dans la plaine.
Hang-Hang s’écria ensuite de sa voix forte :
« Nao-Tchin ! »
Ce qui voulait dire :
« Sur la droite de la cavalerie formez-vous en bataille ! »
Les généraux répétèrent : « Nao-Tchin ! » et toute l’armée vint se ranger en bataille le long de la rivière Hu-Hu-Han, vis-à-vis de l’armée japonaise.
À ce moment, mon ami Saladier se trouvait près du généralissime. Un grain de poussière entra dans la narine droite dudit Saladier et le fit éternuer d’une façon formidable (Atchim !).
Alors les généraux Ti-Tzjng et Tao-Pé s’écrièrent :
« Ha-Tchim ! »
Tous les chefs de corps répétèrent Ha-Tchim ! et, avant que Hang-Hang pût émettre un commandement contradictoire, l’armée opéra un mouvement tournant qui l’amena sous le feu direct de l’artillerie japonaise. En moins d’une minute, trente-cinq mille Chinois jonchèrent le champ de bataille.
Le reste de l’armée battit en retraite. Seuls les trente-cinq mille cadavres restèrent dans la plaine. Ils avaient tous de belles nattes de cheveux, pour que l’ange chinois de la mort pût les emporter commodément dans l’autre monde.
Mais l’ange chinois de la mort eut le tort de ne pas se presser, et fut devancé par Harvey, Jim and Co, marchands de cheveux à Shangaï, qui arrivèrent avec une bonne équipe et quelques tombereaux, et coupèrent tranquillement les trente-cinq mille nattes.
LES MÉDECINS SPÉCIALISTES
La raillerie ne désarmera jamais devant la médecine… Et pourtant, jamais, nous pouvons le dire, les médecins n’ont été aussi sérieux et aussi habiles qu’aujourd’hui.
Seulement on ne suit pas les traitements.
On va les voir comme des sauveurs, et si l’on n’est pas guéri au bout de huit jours, on cesse d’obéir à leurs prescriptions. Alors on dit : Un tel ne m’a rien fait…
C’est que vous ne l’avez pas écouté. Si vous l’aviez écouté, il vous aurait guéri. Il fallait observer votre régime pendant quatre, huit mois, le temps nécessaire.
Vous connaissez Siméon… C’est ce gros garçon barbu, avec une redingote. Mais oui… voyons. Vous ne connaissez que ça. Siméon vient me voir il y a quatre ans. Il savait que j’ai toujours été en rapport avec les sommités du monde médical, à Paris. Siméon pesait à cette époque deux cent soixante-dix livres. Il voulut maigrir… Je lui indique l’adresse du docteur Belarthur, rue Lafayette… Il y va…