Statue d’Homme d’État

Œuvres complètes de François CoppéeL. Hébert, librairePoésies, tome III (p. 178-179).

STATUE D’HOMME D’ÉTAT


 
C’était un bavard de talent très mince ;
Et, pendant trente ans, il avait été
Fameux à Paris, grand homme en province.
Ministre deux fois, toujours député.

Traité d’éminent et de sympathique,
Il avait trahi deux ou trois serments,
Ainsi qu’il convient dans la politique…
Bref, c’était l’honneur de nos parlements.


Il mourut. Sa ville — elle était très fière
D’avoir enfanté ce contemporain ! —
Dès qu’il fut enfin muet dans la bière,
Le fit sans tarder revivre en airain.

J’ai vu sa statue. Elle est sur la place
Où se tient aussi le marché couvert.
C’est bien l’orateur ; son geste menace,
Et sa redingote est en bronze vert.

Mais les bons ruraux, vile multitude.
Vendant les produits du pays natal,
Sans y voir malice et par habitude.
Laissent leurs baudets près du piédestal ;

Et, tous les lundis, quand les paysannes
Sous les piliers noirs viennent se ranger,
Le tribun d’airain harangue des ânes…
Et ça ne doit pas beaucoup le changer.