Stances (Jean Polonius, V)

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STANCES


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Il est de ces momens où mon ame craintive
Voudrait, brisant enfin le nœud qui la captive
Déposer à tes pieds l’aveu de son amour ;
Où, pareil à l’oiseau que l’œuf retient encore,
Cet aveu, sur ma lèvre impatient d’éclore,
Libre, va m’échapper, va s’élancer au jour.


Oui, je voudrais pour lui créer un mot de flamme,
Un mot qui, d’un seul trait le révélant mon ame,
Réunit, concentrât mes désirs, mes douleurs ;
Ou, si pour l’exprimer ma langue est trop timide,
Poser sur les genoux mon front, ma bouche aride.
Les couvrir de baisers, les inonder de pleurs.

Et puis, mon cœur s’apaise : — une douce rosée,
Descendant par degrés sur ma tête embrasée,
Vient calmer de mon sang le cours tumultueux :
Sur cette mer sans frein qu’agitait la tourmente,
Le flot meurt, et la vague en son lit retombante,
De nouveau réfléchît un ciel moins orageux.

Je ne demande plus à t’apprendre que j’aime.
Tranquille, mon bonheur se suffit à lui-même :
Je jouis de t’aimer, sans fureur, sans désirs,
De recueillir en moi toute mon existence,
Comme si, s’écoutant respirer en silence,
Mon cœur était jaloux de ses propres soupirs.

Loin du bruit, loin du jour, j’emporte ton image ;
Je la cache en mon sein, comme une fleur sauvage
Que le désert nourrit loin du regard humain :

Je la voile, pareille à la flamme furtive
Du flambeau qu’une vierge, en sa marche craintive,
Contre son propre souffle abrite avec sa main.