Stéphane Mallarmé (Verlaine)

Œuvres complètes - Tome VVanier (Messein) (p. 345-352).


STÉPHANE MALLARMÉ


Stéphane Mallarmé, poète français, naquit le 18 mars 18412 à Paris, dans une rue qui s’appelle aujourd’hui passage Laferrière. Ses familles, paternelle et maternelle, présentent depuis la Révolution une série ininterrompue de hauts fonctionnaires dans l’administration de l’Enregistrement, et lui-même était, dès les langes, destiné à cette carrière qu’il esquiva, préférant aller à vingt ans vivre en Angleterre en vue de s’assimiler la prononciation et après avoir appris l’anglais pour lire et un jour traduire Edgar Poë, de se créer, par l’enseignement dans l’Université, des ressources qui assurassent son indépendance littéraire.

On retrace le goût de tenir une plume autrement que pour enregistrer des actes, chez plusieurs de ses ascendants. L’un, avant la création de l’Enregistrement, sans doute, fut syndic des libraires sous Louis XVI, et son nom se trouve au bas du privilège du Roi, en tête de l’édition originale française du Vathek de Beckford, que notre poète a naguère réimprimée. Un autre écrivait des vers badins dans les Almanachs des Muses et les Étrennes pour les Dames. Il a connu enfant, dans le vieil intérieur de bourgeoisie parisienne familiale, M. Magnien, un arrière-petit cousin qui avait publié un volume romantique à toute crinière, Ange et Démon, dont le titre apparaît encore dans plusieurs catalogues de bouquinistes importants.

Le poète se souvient d’avoir, dans un âge tendre, nourri secrètement l’ambition de remplacer un jour Béranger parce qu’il l’avait rencontré dans une maison amie. Il y tendit longtemps dans cent petits cahiers qui lui furent régulièrement confisqués, dans maints pensionnats et lycées…

Aujourd’hui, Mallarmé, définitivement et de longue date fixé à Paris, après quelques années au loin, vit en famille, au milieu de chers meubles anciens, ne sortant, en dehors de ses obligations, que pour des visites à des expositions artistiques et partout où l’on monte un ballet ou joue de l’orgue, — la Danse, l’Instrument divin ! — ses deux passions, qui semblent contradictoires, mais dont le sens éclate pour qui pense en poète, c’est-à-dire en philosophe vrai. Eh ! pour un exemple entre mille, la grave, la formaliste, l’immuable, la logique Espagne ne nous donne-t-elle pas, lors des fêtes de Corpus Christi, dans ses féeriques cathédrales, au son des voix célestes et des clairs larigots, parmi les prestigieux parfums d’encensoirs géants balancés du haut de voûtes à perte de vue, sous les flots de fumée rose, le spectacle et la leçon d’adolescents richement et gaiement costumés menant des menuets en toute allégresse, confiants devant le redoutable Très Saint Sacrement de l’autel ?

Lorsque les fatigues de l’esprit et des loisirs l’incitent au plein air de la campagne, Mallarmé fuit vers les bords de Seine infréquentés, au long de la forêt de Fontainebleau, et là, se livre avec rage à la navigation fluviale. La bonne rivière s’ouvre à sa rapide yole d’acajou et des journées entières s’écoulent ainsi au fil de l’eau, sans, pour lui, regret ni remords du travail quitté qu’il saura bien reprendre plus souple et plus fort, après ces délassements. Simple promeneur alors, souvent il s’exaspère en voilier consommé et n’est pas peu fier de sa flottille.

Cet amour de la nature, le poète ne le dévolue pas que sur les paysages d’eau. Lisez cette superbe page tout à fait inédite où les arbres sont honorés, avec quelle dévotion pompeuse ! par un orgueil si vraiment et si purement poétique :


NOTES DE MON CARNET
LA GLOIRE

« La Gloire ! je ne la sus qu’hier, irréfragable, et rien ne m’intéressera d’appelé par quelqu’un ainsi.

« Cent affiches s’assimilant l’or incompris des jours, trahison de la lettre, ont fui, comme à tous confins de la ville, mes yeux aux ras de l’horizon, par un départ sur le rail traînés avant de se recueillir dans l’abstruse fierté que donne une approche de forêt en son temps d’apothéose.

« Si discord parmi l’exaltation de l’heure, un cri faussa ce nom connu, pour déployer la continuité de cimes tard évanouies, Fontainebleau que je pensai, la glace du compartiment violentée, du poing aussi étreindre à la gorge l’interrupteur : Tais-toi ! Ne divulgue pas, du fait d’un aboi indifférent, l’ombre ici insinuée dans mon esprit, aux portières de wagons battant sous un vent inspiré et égalitaire, les touristes omniprésents vomis. Une quiétude menteuse de riches bois suspend alentour quelque extraordinaire état d’illusion, que me réponds-tu ? qu’ils ont ces voyageurs, pour ta gare aujourd’hui quitté la capitale, bon employé vociférateur par devoir, et dont je n’attends, loin d’accaparer une ivresse à tous départie par les libéralités conjointes de la Nature et de l’État, rien qu’un silence prolongé, le temps de m’isoler de la délégation urbaine vers l’extatique torpeur de ces feuillages là-bas trop immobilisés pour qu’une crise ne les éparpille bientôt dans l’air ; voici, sans attenter à ton intégrité, tiens, une monnaie.

« Un uniforme inattentif m’invitant vers quelque barrière, je remets sans dire mot, au lieu du suborneur métal, mon billet.

« Obéi pourtant, oui, à ne voir que l’asphalte s’étaller nette de pas, car je ne peux encore imaginer qu’en ce pompeux octobre exceptionnel ! du million d’existences étageant leur vacuité en tant qu’une monotonie énorme de capitale dont va s’effacer ici la hantise avec le coup de sifflet sous la brume, aucun furtivement évadé que moi n’ait senti qu’il est, cet an, d’amers et lumineux sanglots, mainte indécise flottaison d’idée désertant les hasards comme des branches, tel frisson et ce qui fait penser à un automne sous les cieux.

« Personne et, les bras de doute envolés comme qui porte aussi un lot d’une valeur secrète, trop inappréciable trophée pour paraître ! mais sans du coup m’élancer dans cette diurne veillée d’immortels troncs au déversement sur un d’orgueils surhumains (or ne faut-il pas qu’on en constate l’authenticité ?), ni passer le seuil où des torches consument, dans une haute garde, tous rêves antérieurs à leur éclat, répercutant en pourpre dans la nue l’universel sacre de l’intrus royal qui n’aura eu qu’à venir : j’attendis, pour l’être, que lent et repris du mouvement ordinaire, se réduisit à ses proportions d’une chimère puérile emportant du monde quelque part, le train qui m’avait là déposé seul. »

Pour en finir avec ces quelques notes biographiques, il sied d’ajouter qu’à une certaine époque, Mallarmé fonda et rédigea à lui tout seul, un journal, avec ce titre fier : la Dernière Mode. Combien curieux, ai-je besoin d’ajouter intéressant à l’extrême ? durent en être les articles, traités par un tel artiste et qui ne concernaient rien moins que les plus minces détails de la vie voulue, compétemment entendue et décrétée, raffinée, toilettes, bijoux, mobiliers, jusqu’aux théâtres et menus de dîners. Avis aux fureteurs intelligents et heureux !

Depuis quelque temps, le nomade Mallarmé, déjà connu et ses œuvres appréciées, savourées par un certain nombre qui est une élite, retentit dans des polémiques avec cette bonne fortune d’exaspérer la haine et surtout l’admiration. Nombre de jeunes gens de cette réfléchie génération-ci, ont reconnu dans Mallarmé l’initiateur, en même temps que le maître de leur pensée artistique et philosophique, car, il y a dans ce poète exquis entre tous et sur tous, un philosophe profond, savant, hardi dans la recherche minutieuse et claire absolument pour qui sait bien voir. Ces témoignages sont pour l’amplement consoler s’il en était besoin non à sa fierté mais à sa conviction douloureusement puisque impeccablement inflexible, des pauvres attaques de quelques tristes impersonnalités de la plume à tant de sottises par jour, semaine, quinzaine et mois.

Un livre vaste qu’il prépare démontrera la vérité de ce que j’avance ici avec pleine certitude. Ce sera, j’écris ou plutôt je résume, pour ainsi dire, sous la dictée du profond souvenir de conversations anciennes et récentes avec le poète (voilà près de dix ans qu’il y travaille), ce sera un livre en maints tomes, un livre qui soit un livre architectural et prémédité et non un recueil ; l’explication orphique de la terre qui est le seul devoir du poète et le jeu littéraire par excellence, car le rythme même du poème, alors impersonnel et vivant jusque dans sa pagination, se juxtapose aux équations de ce rêve, ou ode.

Parallèlement à ce grand Essai, Mallarmé entend bien continuer, et en plusieurs séries, l’œuvre glorieusement commencé et sous le titre : d’Album de vers et de prose. Simple et dandy s’il en fut, réunir successivement ces merveilles de style, d’art plastique et musical, et qui nous sont si chers, si précieux à nous autres et à d’autres qui viennent ! Quant à ce que le poète appelle son Travail personnel, c’est-à-dire le Livre annoncé un peu plus haut, il entend le publier probablement anonyme, le texte, raisonne-t-il, y parlant de lui-même et sans voix d’auteur. Puis-je mieux terminer cette esquisse qu’il me serait si doux de faire tableau, qu’en vous donnant la primeur d’un sonnet tout récent, fleur et bijou, en attendant que le bon éditeur Vanier étale — ô bientôt n’est-ce pas ? à sa devanture, dès lors féerique, — écrin et bouquet !


SONNET


Toujours plus souriant au désastre plus beau.
Soupirs de sang, or meurtrier, pâmoison, fête !
Une millième lois avec ardeur s’apprête
Mon solitaire amour à vaincre le tombeau.

Quoi ! de tout ce coucher, pas même un cher lambeau
Ne reste, il est minuit, dans la main du poète
Excepté qu’un trésor trop folâtre de tête
Y verse sa lueur diffuse sans flambeau !

La tienne, si toujours frivole ! c’est la tienne.
Seul gage qui, des soirs évanouis retienne
Un peu de désolé combat en s’en coiffant

Avec grâce, quand sur des coussins tu la poses
Comme un casque guerrier d’impératrice enfant
Dont pour te figurer, il tomberait des roses.


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