Stèles/Stèle provisoire

G. Crès (p. 75-76).




STÈLE PROVISOIRE


Ce n’est point dans ta peau de pierre, insensible, que ceci aimerait à pénétrer ; ce n’est point vers l’aube fade, informe et crépusculaire, que ceci, laissé libre, voudrait s’orienter ;

Ce n’est pas pour un lecteur littéraire, même en faveur d’un calligraphe, que ceci a tant de plaisir à être dit :

Mais pour Elle.



Vienne un jour Elle passe par ici. Droite et grande et face à toi, qu’elle lise de ses yeux mouvants et vivants, protégés de cils dont je sais l’ombre ;
Qu’elle mesure ces mots avec des lèvres tissées de chair (dont je n’ai pas perdu le goût) avec sa langue nourrie de baisers, avec ses dents dont voici toujours la trace,

Qu’elle tremble à fleur d’haleine, — moisson souple sous le vent tiède, — propageant des seins aux genoux le rythme propre de ses flancs — que je connais,



Alors, ce déduit, enjambant l’espace et dansant sur ses cadences ; ce poème, ce don et ce désir, —

Tout d’un coup s’écorchera de ta pierre morte, oh ! précaire et provisoire, — pour s’abandonner à sa vie,

Pour s’en aller vivre autour d’Elle.