Spéculations/La rentrée de la Chambre

SpéculationsFasquelle éd. (p. 244-248).

LA RENTRÉE DE LA CHAMBRE

Nos honorables rentrent.

Le bruit qui courut, qu’on les aurait expulsés, comme une simple congrégation, est faux.

On a profité seulement de leur absence pour « faire » la Chambre, l’épousseter, la balayer et l’épucer de ses microbes.

Mais pourquoi ont-ils momentanément fui cette Chambre qu’ils gardaient ? N’y étaient-ils pas bien ?

Notre belle langue française nous enseigne qu’ils y trouvaient une foule de commodités. Car on dit :

Homme de Chambre (ce qui est une expression militaire et belliqueuse usitée dans les Chambrées).

Femme de Chambre (ce qui est une expression galante).

Robe de Chambre (ce qui doit désigner la robe de la Femme de Chambre, laquelle Femme de Chambre s’appelle Marianne ou République).

Valet de Chambre.

Urne… tout court. Il est trop évident que c’est un ustensile intime dont on ne se sert qu’en Chambre.

Mais pourquoi, insoucieux de ce confort, sont-ils sortis ?

C’est que, dans tous les locaux où l’on « chambre » des gens, l’hygiène la plus élémentaire leur tolère un endroit, en plein air, où ils peuvent faire une petite promenade.

À Fresne, à la Santé, et dans les monuments similaires, l’endroit en question s’appelle « préau» et la promenade « queue de cervelas ».

Les honorables qui y sont à l’instar de ceux du Palais-Bourbon, sont désignés par la vindicte publique, qui est une branche du suffrage universel.

Ceux du Palais-Bourbon ont voulu se promener aussi. Le besoin de l’exercice est naturel à l’homme.

Voyez les militaires : ils ne font que ça.



Ces motifs de la sortie élucidés, il est plus délicat de se demander pourquoi ils étaient entrés.

Le suffrage universel fournit l’explication.

On connaît le petit système par lequel, autrefois, on « décimait » des malfaiteurs ou toute espèce d’ennemis vaincus. On les faisait mettre en rang, on les numérotait, et tous les dix numéros on en prenait un à qui on coupait la tête.

Ce procédé avait le défaut d’être arbitraire et de désigner n’importe qui, au hasard.

Le suffrage universel a ceci de bon qu’il désigne sûrement, infailliblement, quelqu’un qui est atteint de la folie des grandeurs.

Ces aliénés ne sont d’ailleurs pas à plaindre : ils s’offrent d’eux-mêmes au suffrage.

La plupart de ces membres dangereux retranchés de la société, amputés, « députés » pour tout dire, méditent, ou se vantent de méditer des projets de bouleversement social. On contraint aisément ces individus à signer la confession générale de leurs futurs forfaits. C’est ce qu’ils appellent leur programme.

Presque tous sont, au fond, des êtres doux et inoffensifs, incapables de l’exécuter.

On se contente de les parquer étroitement dans une geôle spéciale où on les peut aisément surveiller : la Chambre.

Quand on les lâche — ce qu’on vient de faire — la surveillance n’est point interrompue.

L’appât du parcours gratuit sur les chemins de fer les engage, naïfs, à montrer leur carte. Cela vaut toutes les anthropométries. Nous recommandons ce procédé pour la recherche des malfaiteurs.

Le plus grand nombre, en outre, est pourvu d’un grelot qui ne sonne pas, il est vrai, mais qui ne les fait pas moins reconnaître, car leur vanité invétérée les pousse à l’exhiber : la médaille.

Ils s’annoncent aussi par des cliquettes de bois — les pupitres — comme les anciens lépreux.

Le plus dangereux de ces fous — le président — chef du troupeau, porte une énorme sonnette.



À propos :

Il est fâcheux que le 16 mai, non plus que le 14 juillet ne tombe point un 15. Cette incohérence affiche trop ouvertement un mépris du système décimal officiel.

On comprend, à la rigueur, que les locataires de la Bastille l’aient démolie un 14, histoire d’embêter les propriétaires :

La veille du terme !