Spéculations/L’étude de la langue anglaise

SpéculationsFasquelle éd. (p. 186-188).

L’ÉTUDE DE LA LANGUE ANGLAISE

Selon un couplet célèbre de Figaro, pour savoir une langue il suffit d’apprendre « le fonds de la langue » — qui, pour l’anglais, était du temps de Beaumarchais goddam, — et il est bien inutile de s’informer des « quelques autres petits mots par-ci par-là. »

L’exactitude de cette méthode vient d’être démontrée par l’extraordinaire cas du marin français, Jean Mafurlin, lequel a prouvé en outre, que le fonds d’une langue peut se ramener non seulement à un simple mot, mais même à un son unique et inarticulé.

Le matelot Jean Mafurlin vint à tomber, il y a quatorze ans, du haut d’un mât dans la rade de Portsmouth. Lorsqu’on le repêcha, après une immersion d’une dizaine de minutes, il avait complètement perdu l’usage de la parole. Or, au moment de son accident, il parlait, outre le français sa langue maternelle, le portugais et l’italien. Il ne savait que quelques mots d’anglais. Le mois dernier, un coup de canon ayant été tiré près de lui à l’improviste, la commotion, expliquent les médecins, le guérit soudain de son aphasie, et — phénomène, disent-ils, vraiment miraculeux — il se mit à parler couramment l’anglais, qu’avant de devenir muet il connaissait à peine. Il ne se souvenait plus, par contre, que très vaguement de l’italien, du portugais et du français.

Il n’y a rien, dans cette cure, qui ne pût être facilement prévu. On conçoit que si l’on arrive à découvrir les mots ou le mot, ou le son inarticulé qui synthétiserait toute une langue, cette notion suffit à posséder parfaitement la langue. On trouve un essai rudimentaire de cette simplification dans l’invention des grammaires. Si la détonation du canon a instruit d’un seul coup Jean Mafurlin, c’est qu’elle lui apportait réellement, condensé en un son-symbole, le fonds de la langue anglaise. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le peuple britannique, roi des mers par excellence, n’ait point d’autre langage, en remontant aux racines, que celui que, sur ses vaisseaux, dans tout l’univers, parle la poudre.

Le record est battu désormais de ces méthodes qui se flattaient d’apprendre l’anglais en six mois. Nous espérons que cette révolution dans l’enseignement des langues vivantes sera générale, et que les philologues vont s’ingénier à démêler le mot fondamental dans les idiomes des différents pays. Nous ne nous permettrons, dans l’intention d’aider leurs recherches, que des conjectures : les Français sont réputés un peuple galant : il y a là une piste.

On déplorera sans doute que Jean Mafurlin n’ait appris l’anglais qu’au prix de l’oubli des langages qu’il possédait auparavant. Mais chaque professeur a ses caprices, et le coup de canon nous a paru suivre l’école de Timothée, en purgeant, au moyen de sa fumée, le cerveau du disciple de toute perverse habitude et de ce qu’il avait appris sous d’autres pédagogues.