Orgueil et Préjugé (Paschoud)/2/10

Traduction par anonyme.
J. J. Paschoud (p. 119-129).

CHAPITRE X.

Tout étoit nouveau et intéressant pour Elisabeth dans son voyage de Londres à Hunsford ; elle étoit disposée à jouir, car elle avoit vu sa sœur assez bien pour n’avoir plus aucune inquiétude sur sa santé, et la perspective d’un voyage dans le nord étoit pour elle une source inépuisable de jouissances.

— Lorsqu’ils eurent quitté la grande route pour prendre le chemin de Hunsford, tous les yeux cherchoient à découvrir le presbytère, on croyoit le voir à chaque pas ; les murs du parc de Rosing bordoient le chemin d’un côté, et Elisabeth sourioit en se rappelant tout ce qu’elle avoit entendu dire de ses habitans.

Enfin l’on aperçut le presbytère ; le jardin le long du chemin, la maison entourée de vertes palissades, et la haie de lauriers ; tout leur disoit que c’étoit bien là l’humble demeure du pasteur.

Mr. Collins et Charlotte parurent sur le seuil de leur maison ; la voiture s’arrêta devant la petite porte du jardin ; ils descendirent au milieu des démonstrations de joie les plus sincères. Mistriss Collins reçut son amie avec le plus vif plaisir, et Elisabeth fut charmée d’être venue, lorsqu’elle se vit accueillie avec tant d’affection. Elle s’aperçut tout de suite que le mariage n’avoit opéré aucun changement dans les manières de son cousin. Ses civilités étoient toujours les mêmes ; il la retint quelques minutes à la porte pour lui demander des nouvelles de toute sa famille fort en détail. Il leur permit ensuite d’entrer dans la maison sans y mettre d’autre retard que celui de leur faire remarquer la propreté de l’entrée, et dès qu’ils furent dans le salon, il leur souhaita une seconde fois avec beaucoup d’ostentation la bienvenue dans son humble demeure, et répéta ponctuellement les offres de raffraîchissemens qu’avoit déjà faites sa femme.

Elisabeth s’étoit préparée à le voir dans toute sa gloire ; elle ne pouvoit s’empêcher de croire qu’en leur faisant remarquer la grandeur de son salon, ses belles proportions et son ameublement, il ne s’adressât particulièrement à elle, souhaitant de lui faire sentir tout ce qu’elle avoit perdu en le refusant ; mais ce fut en vain, quoique tout parut très-propre et très-confortable, il fut impossible à Elisabeth de le gratifier d’aucune apparence de regrets ; elle étoit même étonnée que son amie pût avoir l’air si gai avec un tel époux ; et chaque fois que M. Collins disoit ou faisoit quelque chose dont sa femme pouvoit souffrir, ce qui certainement n’étoit pas rare, elle jetoit involontairement les yeux sur elle : une ou deux fois seulement elle crut distinguer une foible rougeur, mais en général, et c’étoit fort sage, Charlotte n’entendoit et ne voyoit point. Lorsqu’ils eurent admiré tous les meubles de la chambre, depuis le buffet jusqu’au garde-feu, et raconté toutes les particularités de leur voyage et de leur séjour à Londres, M. Collins les engagea à faire le tour du jardin, qui étoit grand, bien tenu et qu’il cultivoit lui-même. Travailler dans son jardin étoit un de ses plus grands plaisirs, et Elisabeth admiroit l’air de bonne foi avec lequel Charlotte disoit que c’étoit un exercice très sain et qu’elle étoit la première à encourager son mari à s’y livrer. M. Collins, en conduisant ses hôtes à travers tous les sentiers, et en leur donnant à peine le temps d’achever les éloges qu’il leur demandoit, leur désignoit chaque point de vue avec un détail si minutieux qu’il leur en faisoit oublier les beautés.

Il étoit capable de compter tous les champs que l’œil embrassoit, et pouvoit dire combien il y avoit d’arbres dans le bois le plus éloigné ; mais de tous les sites que son jardin, le comté même et peut-être le royaume pouvoit offrir, aucun, disoit-il, n’étoit comparable à celui de Rosing, où l’on avoit ménagé une ouverture dans les arbres du parc, en face de la maison, beau bâtiment moderne, bien situé sur une petite colline.

De son jardin, M. Collins vouloit les conduire dans ses deux prairies, mais les dames qui n’avoient pas des chaussures capables de résister à l’humidité d’une blanche gelée, le quittèrent ; et pendant qu’il y conduisoit sir Williams, Charlotte emmena sa sœur et son amie dans la maison, charmée probablement de la leur montrer sans l’aide de son mari. Elle étoit petite, mais bien bâtie, commode et tenue avec un ordre et une propreté dont Elisabeth attribua tout l’honneur à Charlotte ; on pouvoit réellement s’y trouver très-bien lorsqu’on parvenoit à oublier M. Collins, et l’air de contentement de Charlotte fit présumer à Elisabeth que c’étoit souvent le cas.

Elle savoit que Lady Catherine étoit dans le pays, et l’on en parla à dîner. — Oui, Miss Elisabeth, dit M. Collins, vous aurez l’honneur de voir Lady Catherine de Bourgh à l’Église, dimanche prochain, je n’ai pas besoin de vous dire que vous serez enchantée d’elle. Elle est remplie d’affabilité et de condescendance, et je ne doute pas qu’elle ne vous honore de quelqu’attention lorsque le service sera fini ; je crois même pouvoir vous assurer qu’elle vous comprendra vous et ma sœur Marie dans toutes les invitations dont elle nous honorera pendant votre séjour ici. Sa conduite vis-à-vis de ma chère Charlotte est très-aimable. Nous dînons deux fois par semaine à Rosing, et l’on ne nous permet jamais de revenir à pied. La voiture de sa seigneurie est régulièrement commandée pour nous. Je voulois dire, une des voitures de sa seigneurie, car elle en a plusieurs.

— Lady Catherine est une femme respectable et sensée, dit Charlotte, et une voisine remplie d’attentions pour nous.

— C’est vrai, ma chère, c’est positivement ce que je dis ; c’est une femme pour laquelle on ne sauroit avoir trop d’égards et de déférence.

La soirée se passa à parler du Hertfordshire et de tout ce qui s’y étoit passé depuis le départ de Charlotte. Lorsque chacun se fut retiré dans sa chambre, Elisabeth put méditer sur le degré de bonheur dont jouissoit son amie, sur l’adresse avec laquelle elle conduisoit son mari, et sur le calme avec lequel elle le supportoit ; elle anticipa aussi sur la manière dont se passeroit le temps de son séjour à Hunsford, sur la tranquillité de leurs occupations journalières, sur les ennuyeuses interruptions de Mr. Collins, et sur les divertissemens de Rosing. Son imagination un peu vive eut bientôt arrangé tout cela.

Dans la matinée du lendemain, pendant qu’elle étoit remontée dans sa chambre pour se préparer à aller faire une promenade, elle entendit tout-à-coup un tel bruit en bas, qu’on auroit pu croire que toute la maison étoit en confusion. Après avoir écouté quelques instans, elle s’aperçut qu’on montoit avec précipitation l’escalier et qu’on appeloit fortement ; elle ouvrit la porte et trouva Marie toute essoufflée, qui lui cria :

— Ma chère Elisabeth, dépêchez-vous et descendez dans la salle à manger ; il y a quelque chose qu’il faut que vous voyez, mais je ne veux pas vous dire ce que c’est ; dépêchez-vous !

Elisabeth fit quelques questions, mais ce fut inutile, Marie n’en voulut pas dire davantage, elles se précipitèrent dans la salle à manger qui donnoit sur le chemin, et elles virent deux dames dans un petit phaëton, arrêté à la porte du jardin.

— Ah c’est là tout ? s’écria Elisabeth ; je croyois pour le moins que toute la basse-cour s’etoit échappée dans le jardin ; il n’y a là que Lady Catherine et sa fille.

— Non ma chère, reprit Marie, presqu’offensée de la méprise, ce n’est point Lady Catherine, la vieille dame est Mistriss Jenkinson qui demeure chez elle ; l’autre est Miss de Bourgh. Mais regardez quelle pauvre créature c’est ! Qui auroit deviné qu’elle fût si maigre et si petite ?

— Elle est bien impolie de tenir Charlotte dehors par le temps qu’il fait ; pourquoi n’entre-t-elle pas ?

— Oh ! Charlotte dit qu’elle entre rarement dans la maison ; c’est la plus grande des faveurs lorsqu’elle vient faire visite.

— Eh bien ! sa mine me plaît, dit Elisabeth, poursuivant une autre idée ; elle a l’air maladif, elle est bossue, elle lui conviendra parfaitement et sera une excellente femme pour lui.

Mr. Collins et Charlotte étoient tous deux à la porte, faisant la conversation avec ces dames, et Sir Williams étoit, au grand divertissement d’Elisabeth, placé au milieu du sentier qui conduisoit au chemin, dans une sérieuse contemplation des grandeurs qui étoient devant ses yeux, il saluoit chaque fois que les regards de Miss de Bourgh se tournoient de son côté.

Enfin les deux dames partirent et les autres rentrèrent dans le salon. Mr. Collins ne vit pas plutôt les jeunes Miss qu’il les félicita sur leur heureuse étoile, et Charlotte leur communiqua que toute la famille étoit invitée à dîner à Rosing le lendemain.