L’Éducation athlétique

Imprimerie Chaix (p. 3-23).

L’ÉDUCATION ATHLÉTIQUE



Messieurs,

Si je ressens comme il convient l’honneur très grand que vous me faites en m’admettant à occuper ce soir une tribune illustrée déjà par tant d’orateurs distingués, je ne puis me dissimuler non plus combien le sujet que je vais traiter est approprié à cet auditoire ; et cela me donne confiance en votre indulgence.

Il s’agit d’une science, l’une des plus utiles et des plus grandes à coup sûr, puisque son objet est de faire des hommes, et, d’autre part, cette science vient manifestement, en ce qui concerne notre pays, de faire un pas : certains ne seraient pas éloignés de croire qu’elle a rétrogradé ; je vais m’efforcer de vous prouver le contraire, d’établir qu’elle a fait un pas en avant. Mais, quoi qu’il en soit, vous vous êtes formés en Association pour étudier les mouvements des sciences, et tout ce qui est nouveau — ou renouvelé, s’il est vrai que rien n’est nouveau autour de nous — vous intéresse et vous touche. C’est à dessein que j’ai choisi un titre vaste et d’apparence un peu prétentieuse. Je ne suis pas venu vous parler seulement des jeux scolaires dont il est si fort question depuis six mois, mais de tout le système pédagogique dont les jeux scolaires ne sont que la préface, de tout cet ensemble de préceptes et de maximes qui constituent l’Éducation athlétique.


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Tous ceux qui s’occupent d’éducation ont lu les ouvrages dans lesquels l’éminent évêque d’Orléans, Mgr Dupanloup, a résumé les réflexions que lui avait suggérées son expérience relativement à la formation de la jeunesse. « Lorsque, après de longues études et une laborieuse expérience, écrit l’auteur en tête de son premier chapitre, j’ai recherché, par une réflexion plus profonde quelles étaient les deux choses fondamentales dans l’éducation, j’ai trouvé l’autorité et le respect. » Dans les bibliothèques anglaises, parmi les derniers venus, figure un petit livre écrit par le docteur Thring, qui fut directeur de l’école d’Uppingham pendant de longues années et mourut récemment, environné des témoignages d’admiration de ses concitoyens : lui, il définit l’éducation « une œuvre d’observation, de travail et d’amour ». Au premier abord, il n’y a rien d’incompatible entre ces deux définitions : elles se complètent l’une l’autre. L’observation, le travail, l’amour, ce sont les trois éléments qui forment un maître ; l’autorité et le respect, c’est l’effet produit sur le disciple. Mais, en réalité, Mgr Dupanloup et le docteur Thring ont trouvé des formules pour deux systèmes aussi opposés, je dirai même aussi ennemis qu’il est possible de le concevoir.

Depuis des siècles, l’éducation en France est une œuvre d’autorité ; et les faits ont, à cet égard, une telle évidence qu’ils dispensent d’amasser d’autres preuves. L’autorité, dans la forme, a pu, à certaines époques, subir des adoucissements ; dans le fond, elle a toujours subsisté ; les jésuites ont légué leurs traditions à l’Université : aujourd’hui comme hier, l’éducateur est un chirurgien qui opère l’enfant confié à ses soins, qui brise en lui quelque chose jugé nuisible ; et l’enfant ressort de là formé, assoupli, fait à l’image de la société dans laquelle il doit vivre et dont il a déjà tous les défauts et toutes les contradictions. S’il a su remplir complètement le rôle sévère et majestueux qui lui incombait, le maître aura inspiré à son élève l’habitude de l’obéissance et surtout le respect de l’autorité. Soumis lui-même à ses supérieurs, il aura fait de l’enfant un être dépendant, rompu aux obligations de la hiérarchie et n’en discutant même plus les avantages ou les inconvénients. Voilà ce qui existe dans les lycées de l’État aussi bien que dans les écoles religieuses, et Mgr Dupanloup a donné la caractéristique de cet état de choses en employant les deux mots qui peuvent le mieux le résumer : autorité, respect.

Liberté, indépendance, telle est la devise pédagogique de l’Angleterre. Là, le maître est un veilleur sous le regard duquel on place l’enfant, afin que, par ses paroles, son exemple, son enseignement, il aide au développement de ce que l’enfant a de bon et d’honnête en lui. Pour atteindre ce but, le maître ne se croit pas autorisé à employer des moyens violents : il n’a recours qu’à la raison et au sentiment ; il ne brise rien, il contrarie aussi peu que possible ; mais comme c’est là un travail d’une grande délicatesse en même temps que d’une hardiesse inouïe, il s’entoure de tout ce qui peut agir dans le même sens que sa direction discrète ; il fait de son école un raccourci du monde extérieur ; il y transporte l’air qu’on y respire, les avantages et les plaisirs permis qu’on y goûte, les embarras en face desquels on se trouve et même quelques-uns des obstacles que l’on a à surmonter ; son art consiste à approprier tout cela aux forces physiques, intellectuelles et morales de l’enfant. Quel travail, messieurs, et quelle observation sont perpétuellement nécessaires pour atteindre un pareil résultat ! et si vous vous rendez compte, en outre, de ce que peut avoir de passionnant cette chasse aux âmes, cette poursuite d’un gibier immatériel qui souvent se dérobe, alors vous comprendrez comment l’un des plus illustres parmi les maîtres anglais contemporains a défini sa tâche, une œuvre d’observation, de travail et d’amour.

Notons, en passant, un paradoxe singulier ; depuis bien longtemps les punitions corporelles ont disparu de nos collèges, alors qu’elles existent encore, bien que d’une manière assez effacée, dans les écoles anglaises, et pourtant ce sont les Français que j’accuse ici d’être autoritaires. C’est que la question des châtiments (corporels ou autres) n’est qu’accessoire et le paradoxe est à la surface seulement. En France, nous ne fouettons pas la chair mais l’esprit ; et l’esprit, nous le fouettons jusqu’à ce qu’il soit dompté… il saigne à l’intérieur. L’esprit, comme le corps, est obligé de revêtir un uniforme, tandis que, chez nos voisins, l’un et l’autre se vêtissent à leur guise ; peu importe la nuance, si l’étoffe est de bonne qualité et la coupe bien faite.

Je n’avais nulle idée de ces choses quand, presque inconsciemment et mû par un instinct étrange, je citais à la barre de mon jugement d’enfant toute la pédagogie française. À peine sorti du collège d’où je n’emportais que ce qu’on est convenu d’appeler de bons souvenirs, je me suis mis à chercher pourquoi nous élevions nos fils de la sorte et si les étrangers en faisaient autant ; de ce temps qui n’est pas loin j’ai conservé une impression très nette et je vous demande la permission de vous dire rapidement ce que, depuis lors, j’ai observé en France et en Angleterre : nous sommes ici dans un milieu scientifique et il est permis de faire usage de cette méthode expérimentale que d’illustres savants ont préconisée même dans le domaine des faits sociaux.

Il y a un sentiment général qui plane sur nos collèges et que je considérerais volontiers comme la source de tout le mal : c’est l’ennui. Les enfants s’ennuient et les professeurs aussi. C’est que ces êtres vivants souffrent, les uns et les autres, d’habiter un lieu où la vie est arrêtée et remplacée par une sorte de mouvement factice fait de régularité, d’obéissance et de raisonnement. Tout leur conviendrait plutôt que cette inertie de l’âme et du corps ; le labeur n’est pas bien dur, peut-être, mais rien n’y fait trêve et maîtres et élèves traînent une existence irrésistiblement misérable. Parmi ces derniers, quelques-uns ont parfois l’air de se résigner, de prendre leur parti ; on les voit alors se plonger dans l’étude ; leurs livres sont leurs seuls compagnons ; une passion précoce pour la science, l’ambition ou bien une énergie naturelle les poussent dans cette voie. Alors se produit le fait suivant : les maîtres, trouvant enfin des sujets intéressants au sein de cette plate uniformité d’enfants, s’attachent à ceux-là et leur témoignent de la bienveillance ; et aussitôt leurs camarades se détachent d’eux et les regardent avec méfiance : c’est que la masse ne peut admettre qu’on passe à l’ennemi, et le maître, voilà l’ennemi !

Telle est, si je ne me trompe, la formule de ce qu’on appelle le mauvais esprit. C’est un mot fréquemment employé et très mal choisi. Le mauvais esprit désigne, à proprement parler, une tendance mauvaise de l’esprit humain qui le porte à rejeter toute contrainte, à mépriser toute autorité ; à part quelques exceptions, cette tendance est très faible chez l’enfant ou mieux chez l’adolescent ; jusque très avant dans sa croissance, il obéit à l’impulsion inverse et cherche un appui, un guide : il vient à tous, il vous consulte… à condition qu’il vous sente son ami. Ce qu’on appelle le mauvais esprit provient d’une autre source : c’est une hostilité déclarée non point contre l’autorité en elle-même, mais contre celui qui l’exerce, qui fait souffrir avec des paroles douces, qui soupçonne, qui épie, qui emprisonne et qui se contente de dire à l’écolier rebelle : « C’est pour votre bien ». Eh oui ! c’est pour son bien ! Il le croit, à force de l’entendre répéter ; mais l’avenir le touche moins que le présent et, presque malgré lui, il se débat pour briser ses chaînes. Le maître est déguisé en ennemi, et tant qu’il n’aura pas mis bas ce déguisement, on le détestera.

Donc les travailleurs, les piocheurs qui vont à lui perdent la sympathie de leurs camarades ; ils sont regardés de travers, taquinés, brimés et se consolent de leurs misères en redoublant d’efforts intellectuels et en formant de brillants projets d’avenir. Mais si, dans l’école, il y a quelque jeune gredin qui ait le poing solide, la parole acerbe, une audace malséante, celui-là devient un idéal, un modèle, un héros ! On l’entoure sur sa barricade morale, on applaudit à ses révoltes, et si l’on avait un bouclier on s’en servirait pour le porter en triomphe tout autour de la cour. Personne ne l’estime, pourtant. Parmi ces petits qui lui font cortège, pas un ne lui confierait un secret, ne lui parlerait à cœur ouvert, ne lui demanderait conseil sur un sujet honnête et délicat, et personne en cas de danger ou de maladie ne voudrait l’avoir à ses côtés : … ce qu’on voit en lui, c’est le champion de l’indépendance, l’incarnation de tous les désirs, de toutes les haines ! la revanche ! Étrange éducation qui produit de semblables effets !

Le code secret auquel obéissent les collégiens est donc fait tout entier en vue de la lutte contre le maître, et les moyens auxquels il est permis d’avoir recours sont multiples. Il en est un surtout qu’on ne pratique pas sans danger, parce que, à l’instar de la morphine, il se glisse dans les veines et empoisonne le sang : c’est le mensonge. Messieurs, vous le savez aussi bien que moi, quand un enfant a pris l’habitude de se défendre contre ses parents ou ses maîtres en mentant, il lui en reste toujours quelque chose. La franchise ne lui revient qu’en partie après beaucoup d’efforts et jamais il n’est complètement honnête. Or, dans nos collèges français, je le constate avec regret mais avec certitude, on ment effroyablement et, chose plus incompréhensible encore, beaucoup de maîtres n’y attachent qu’une importance secondaire : une narration bien tournée, un problème bien fait leur masquent la valeur d’une conscience droite.

Continuons notre investigation psychologique ; il y a encore une catégorie d’élèves dont je n’ai pas parlé ; il y a les faibles, ceux dont l’éducation devrait faire des forts et dont elle ne fait trop souvent que des peureux ou des brutes. Cet enfant pâle, chétif, qui, soudainement transporté dans ce collège, en a d’abord été tout étourdi, commence maintenant à se remettre et regarde autour de lui ; bien vite, il comprend la situation : aller grossir le petit noyau de ceux qui entourent les maîtres, leur servir d’émissaire, d’espion, être pour ce motif victime par les autres et avoir, pour compenser ces mauvais traitements, la satisfaction malsaine de faire punir de temps en temps les coupables ; — ou bien se joindre à la majorité et apprendre d’elle l’art d’être dur et méchant, de persécuter et de victimer à son tour : voilà l’alternative. Dans le premier cas on devient peureux ; dans le second on est une brute. Où donc est ce gymnase moral où l’on essaye progressivement ses forces, où l’on devient chaque jour plus hardi, où l’on grimpe chaque jour plus haut ? donc est-il ? Et s’il n’existe pas, comment former des caractères ?

Et enfin, il est un point plus douloureux, plus terrible ; l’ennui, la paresse, l’anémie, la brutalité ont une résultante unique qui est l’immoralité. Oui, l’immoralité a envahi nos collèges ; elle y existe en paroles, en pensées et en actions. Ce n’est pas d’hier, au reste, que le mal a été signalé ; je voudrais pouvoir vous lire un rapport de M. Sainte-Claire-Deville, daté d’il y a vingt ans et appelant sur ce grave sujet l’attention de l’Académie des sciences morales et politiques ; l’auteur y dépeint l’éternel danger des grandes agglomérations d’enfants, il l’explique scientifiquement, il parle des précautions à prendre pour chasser la gangrène, il dit comment il faut sans cesse couper, tailler, cautériser. Mais on ne veut pas approfondir avec lui cette question, parce qu’elle est effrayante et qu’on pressent en elle la condamnation sans appel de notre système. À quoi bon, cependant, reculer la solution d’un problème qui s’impose et qu’on ne peut éluder ? autant vaudrait l’aborder carrément. Les uns prennent un air inspiré pour reconnaître qu’il y aurait vraiment « quelque chose à faire dans cet ordre d’idées » ; d’autres, d’un air dégagé, déclarent que le mal n’est pas si grand qu’on le dit. — Alors, pourquoi cette surveillance inquiète et incessante ? — Pourquoi cherche-t-on à ne pas perdre les élèves de vue un instant, si le seul danger est qu’ils fassent des pied-de-nez aux professeurs, derrière leur dos ? Ah ! que non pas ! Tous les maîtres le connaissent bien le vrai danger, et c’est pour cela qu’ils surveillent. Leur préoccupation à cet égard se traduit par le soin jaloux avec lequel ils poursuivent et brisent les amitiés naissantes. L’amitié de deux garçons est proscrite au collège : on ne semble pas se douter qu’une amitié saine est un des plus puissants moyens d’éducation qui existent ; et si quelques-uns s’en doutent, cela ne modifie pas néanmoins leur manière d’agir, parce qu’ils sont effrayés de leur responsabilité et qu’ils craignent le danger en face duquel ils se sentent désarmés, n’ayant à leur disposition que le plus faible et le pire des moyens de défense, la surveillance.

Mais le système pédagogique et l’organisation scolaire ne sont pas les seuls coupables ; l’opinion l’est aussi. Si quelque molécule de l’atmosphère extérieure s’introduit par hasard dans l’école, c’est pour y porter les idées stupides qu’elle professe sur ce point. Oh ! vos enfants savent bien, dès leur jeune âge, que vous regardez comme indispensable à l’épanouissement des facultés viriles cette espèce de baptême social qui est, en réalité, un baptême de boue et qu’ils appellent, eux, dans leur langage imagé « la noce ». Eh bien ! au collège ils la font à leur manière, la noce, parce qu’ils ne distinguent pas entre celle qui n’est pas admise et celle pour laquelle vous tenez en réserve des trésors d’indulgence ; non pas qu’il faille en manquer vis-à-vis de fautes isolées qui s’excusent d’autant mieux qu’elles résultent à un certain âge et dans certaines circonstances de tentations presque irrésistibles ; mais il est profondément honteux de voir ces fautes érigées en actions d’éclat et d’entendre ceux qui les commettent les raconter avec une satisfaction orgueilleuse non dissimulée. Ce qu’en France, nous appelons « faire la noce », ce n’est pas seulement accomplir des actes blâmables, mais surtout s’en montrer fier. En attendant qu’ils puissent à leur tour réaliser ce programme, vos enfants, messieurs, ont des conversations obscènes ; leurs pensées sont tournées vers des objets malsains et un certain nombre sont la proie de vices abjects..

Vous me direz, pour me prouver que j’exagère, que si nos collèges étaient véritablement en si piteux état, ceux qui y ont passé en conserveraient toute leur vie un si affreux souvenir, qu’ils fuiraient ces lieux abhorés, qu’il n’existerait pas d’associations amicales les réunissant de temps à autres à leurs anciens camarades, comme cela se fait presque partout… La réponse est facile ; sur tout cela la routine a étendu son manteau, mais sous ce manteau dorment, j’en suis convaincu, des rancunes sans nombre qui se lèveront toutes à la fois, dans une immense explosion de colère. Combien de regrets amers seront alors formulés et combien de bouches répéteront ces paroles de M. Maxime du Camp ! écoutez-les bien : « Le regret des temps du collège ne m’a jamais visité ; encore à l’heure qu’il est, je ne puis voir passer une bande de lycéens sans être pris de tristesse et lorsque, par hasard, je rêve que je suis rentré au collège, je me réveille avec un battement de cœur. »

Mais autre chose est d’y rentrer pour un instant, de prendre plaisir à revoir les murailles sombres, les corridors lugubres, les cours étouffées ; c’est là un sentiment très humain ; l’homme recueille les souvenirs de ses souffrances avec plus d’avidité que les souvenirs de ses joies, et ceux qui les ont partagées restent toujours plus ou moins ses amis. Formez une association amicale des anciens forçats libérés et permettez à cette association de donner en plein bagne son banquet annuel ; il viendra des convives de partout. Et puis encore, la distance est une grande trompeuse ; contemplez du haut d’une montagne la plaine toute ravinée, toute coupée de fondrières que vous venez de traverser ; le sol paraît uni ; ravins et fondrières ne sont plus visibles. De même quand les mauvais jours ne sont pas trop nombreux dans la vie d’un enfant, l’impression qu’ils ont produite va s’effaçant de plus en plus ; la jeunesse, en fuyant, contribue à en atténuer l’amertume : on la regrette si fort qu’aucune douleur ne peut lutter avec ses charmes et que ceux-ci font oublier tout le reste. Enfin, il y a pour nous, Français, un dernier palliatif. L’internat, tel qu’il existe, n’est pas nouveau chez nous ; bien au contraire, il a été un peu amélioré en ces derniers temps ; dès lors, il bénéficie du respect que nous portons, nous, peuple changeant, aux choses immobiles. Les enfants vont au collège parce que les pères y ont été ; il faut bien passer par là et en tenant de semblables propos à vos héritiers, messieurs, vous éprouvez un indéfinissable mouvement de fierté ; vous êtes presque contents d’avoir porté un harnais très lourd et d’être encore debout. N’importe, j’en reviens à ce que je disais tout à l’heure ; beaucoup de citoyens maudissent leur faiblesse de caractère, leur pessimisme et leurs rhumatismes, et s’ils découvraient que l’éducation en est responsable, à l’instant ils prendraient des haches pour démolir cette seconde Bastille. Ils le découvriront et ils la démoliront. La sagesse nous commande donc de préparer quelque chose à mettre à la place.


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Je confesse que je ne croyais pas trouver les éléments de cette reconstruction en Angleterre. Le paquebot qui, il y a bientôt six ans, m’y conduisait pour la première fois, contenait un anglophobe irréfléchi pour lequel je réclame le bénéfice des circonstances atténuantes, eu égard à son extrême jeunesse et à son inexpérience. Au reste, cette anglophobie n’a pas été sans utilité au point de vue des recherches dont je vous présente le résultat. À mesure que se révélait à moi un monde scolaire en contradiction absolue avec tout ce que j’avais été habitué à considérer ici comme la base même de l’éducation, mon incrédulité me portait à chercher la petite bête ; je furetais partout pour la découvrir, désirant y réussir et en même temps le redoutant. La petite bête, je ne l’ai pas trouvée.

Autant nos écoliers ont l’air de s’ennuyer, autant les écoliers britanniques ont l’air de s’amuser : c’est la chose qui frappe en premier lieu. Tout d’abord, on pense que leur gaîté provient en partie du bon air qu’ils respirent. Quand un Français va en Angleterre, il visite un collège et ne manque point de s’extasier ; mais c’est toujours un de ces superbes établissements d’origine antique, d’aspect majestueux, situés à la campagne, entourés de verdure et d’espace libre ; faut-il vous apprendre qu’il y en a dans les villes, en plein Londres, et que là comme ailleurs, dans le brouillard de la grande métropole, sans verdure et sans beaucoup d’espace, les enfants ont l’air heureux ? Qu’elles soient grandes ou petites, riches ou pauvres, aristocratiques ou démocratiques, les écoles sont toutes les mêmes ; partout le bonheur et partout aussi la confiance. Rien de militaire, rien d’autoritaire, mais quelque chose d’indéfinissable qui rend perplexe et jaloux. Telle est l’impression première..… et alors on se heurte à cette prodigieuse, à cette incompréhensible action qu’exerce le sport. Ces jeux athlétiques — comme on les appelle là-bas — semblaient d’abord n’être là que pour amuser les enfants en les fortifiant ; c’est déjà un immense avantage que d’assurer la gaîté et la santé à l’intérieur du collège. Mais voici bien autre chose : si vous voulez étudier les causes de cette hiérarchie sociale si extraordinaire chez des enfants, vous découvrez que le sport l’a rendue possible en leur fournissant la matière à enthousiasme qui fait défaut aux nôtres ; si vous voulez savoir quel est le puissant contrepoids de cette liberté si complète et si étonnante, vous constatez que c’est le sport qui en prévient l’abus, et si vous voulez approfondir la question de la moralité à laquelle un tel régime devrait, selon vous, faire courir des dangers, vous voyez que le sport est ici le grand moralisateur.

Ces résultats sont si considérables qu’on est long à les admettre ; l’action physique est évidente et très naturelle ; l’action sociale demande de nombreuses observations et des enquêtes détaillées ; mais l’action morale est tout à fait difficile à saisir. Ce qui en complique encore l’étude, c’est la fâcheuse habitude qu’on a dans les collèges anglais de se dénigrer les uns les autres. À Winchester, on vous dit pis que pendre d’Eton ; vous en arriviez tout émerveillé ; vous vous dépêchez donc d’y retourner avec l’espoir d’y pincer enfin cette fameuse petite bête ; elle n’y est pas, mais on vous conseille de l’aller chercher à Harrow où elle n’est pas davantage ; et ainsi vous faites plusieurs fois votre tour d’Angleterre : cela vous donne occasion de remarquer encore ce fait important que les plus actifs au jeu sont en même temps les plus instruits et les plus avancés ; vous demandez le capitaine des bateaux : c’est le même qu’on vient de vous présenter comme président de la Société littéraire. Paul Bourget, dans un livre récent, a exprimé cela très éloquemment : « Si vous saviez, dit-il, combien le mariage des violents exercices physiques et de la culture intellectuelle est fécond en splendeurs viriles ! »

Il me reste donc à vous dire, messieurs, ce qu’est le sport. J’en ai fini avec l’Angleterre ; je lui ai rendu hommage. À présent occupons-nous de la France et de l’éducation qui lui convient, comme si le système que nous lui proposons n’était emprunté à aucun peuple étranger. Seulement, ne perdons pas de vue que ce système a fait ses preuves chez nos voisins ; n’oublions pas qu’il a été le résultat d’une réforme entreprise par eux, il y a cinquante ans, et que ce qu’ils ont fait, nous pouvons aussi l’accomplir.


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Le mot que je viens d’employer à dessein pour lui rendre ici son sens véritable est aussi mal interprété que fréquemment employé. Voyez-vous un élégant faire chaque jour au Bois une courte promenade à cheval ? Voyez-vous un habitué de Gastinne-Renette se livrer au tir au pistolet ? Voyez-vous, l’été, des Parisiens en villégiature prendre chaque matin un bain de mer de douze minutes ? Les voyez-vous ensuite se livrer pendant une heure ou deux au jeu de lawn-tennis ? Vous dites que tous ces gens-là font du sport. Eh bien ! c’est faux. Ils n’en font point du tout. Ils se livrent à des exercices hygiéniques qui ne peuvent manquer d’avoir un effet salutaire sur leur constitution, mais ce n’est pas là ce dont j’ai voulu parler. À côté de ces exercices anodins il y a ceux qu’exécutent aujourd’hui les jeunes Anglais, qu’exécutaient jadis les Grecs et les Romains. Athènes, Rome et Londres paraissent avoir été les trois grands centres de sport ; peut-être découvrira-t-on quelque jour dans une momie égyptienne des considérations sur le développement raisonné des forces physiques et rien ne dit que, en dehors de ces trois empires, le sport n’a pas été cultivé passionnément ; mais ce sont les seuls que l’on puisse citer avec certitude et, il est juste de le remarquer aussi, ceux qui ont exercé sur le monde l’action la plus puissante et la plus durable. Si nous jetons les yeux autour de nous, à côté des prétendus amateurs de sport que je dénonçais à l’instant, nous en voyons d’autres plus sérieux pour lesquels l’élégance et la pose ne comptent pas, qui se sont attachés à un genre d’exercice et le pratiquent toute leur vie avec enthousiasme. Mais, chose curieuse ! ces gens-là sont pour la plupart des occupés, des travailleurs ; parmi les paresseux que leur fortune dispense — ou que leur noblesse empêche de travailler. — ils n’ont guère d’imitateurs.

Connaissez-vous, dans le bois de Boulogne, deux réunions de jeunes gens dont les uns s’amusent à tirer des pigeons et à patiner, quand vient l’hiver, sur un espace assez restreint, tandis que les autres se livrent à la course, comme le faisaient ces athlètes de l’antiquité dont la Grèce était si fière ? Je n’ai pas besoin de vous dire lesquels font du sport, lesquels n’en font pas. Avez-vous regardé passer sur nos rivières ces trop rares équipes de rameurs s’entraînant en vue d’une régate ? Avez-vous noté leur obéissance passive au capitaine qu’ils se sont donné volontairement ? Avez-vous admiré leur entêtement devant la fatigue et l’expression d’audace qui passe sur leurs traits contractés par l’effort ? Si vous avez remarqué tout cela, vous avez dû comprendre qu’il y avait là une jouissance, âpre à coup sûr, dont on ne peut sans doute goûter les délices du premier coup, mais qui est bien supérieure à toutes celles qu’apportent les plaisirs mièvres, les récréations anodines, les exercices qui reposent. Ainsi compris, le sport mène tout droit à cet idéal humain : la victoire de la volonté. C’est par là qu’il est grand, qu’il est philosophique, qu’il nous ramène à ces doctrines stoïciennes où la postérité a relevé beaucoup d’erreurs et d’exagérations, mais dont elle n’a jamais contesté la noblesse et la pureté. Messieurs, le Manuel d’Épictète est un manuel de sport ; les Pensées de Marc-Aurèle sont les pensées d’un sportsman, c’est-à-dire d’un lutteur. La lutte morale est indépendante de la lutte physique, je ne le nie pas ; certaines âmes d’élite n’ont pas eu besoin de la seconde pour triompher dans la première, mais c’est l’exception ; il faut être doué de qualités exceptionnelles, en effet, pour atteindre directement la volonté sans agir au préalable sur l’enveloppe qui la contient, tandis qu’il est à la portée de tout le monde de fortifier l’une par l’autre.

Ainsi donc voici le sport défini par ses résultats : c’est l’effort libre, c’est la lutte, c’est l’endurcissement, c’est la culture musculaire du corps et du caractère. Je me reprocherais de ne pas parler de son action sur l’intelligence, d’autant que cette action, au dire de beaucoup de personnes, est néfaste. Ici encore il y a confusion entre le sport proprement dit et les exercices que l’on classe d’ordinaire sous cette dénomination. J’ai dit qu’ils n’étaient point pénibles ; ils sont amusants, et voilà tout ; partant, au point de vue intellectuel, ils sont débilitants ; ils endorment la pensée, ils fournissent matière à des conversations insignifiantes, et si l’on joint à cela que ceux qui les pratiquent sont généralement des désœuvrés et des gommeux, on comprend que l’opinion les juge défavorablement. Tout autre est l’effet de ces exercices dans lesquels l’effort joue un rôle prépondérant, où il y a parfois de rapides décisions à prendre, des dangers même à courir, des responsabilités engagées et qui nécessitent autant de vivacité dans la réflexion que de sang-froid dans l’exécution. Pour bien comprendre la différence, je vous demanderai de ne pas considérer seulement l’adolescent, mais aussi l’enfant et l’homme. Ne font-ils pas du sport à leur manière, ces petits audacieux qui escaladent les murs et sautent les ruisseaux ? La chute ou le bain forcé qui les menacent ne sont pour eux qu’un charme de plus ; souvent leurs aînés accomplissent un haut fait du même genre ou soutiennent jusqu’au bout un effort violent, parce qu’il y a là quelqu’un à qui ils veulent montrer leur force, mais les enfants ne s’inquiètent pas si on les regarde : ils prennent un plaisir extrême à vaincre une difficulté naturelle et plus l’obstacle est grand, plus est grande aussi leur satisfaction de l’avoir franchi. C’est un peu le même sentiment qui, à l’autre bout de l’échelle, guide les sauveteurs, les explorateurs, les missionnaires, tous ceux qui, partis de très bas, arrivent très haut, tous ceux qui aiment l’assaut, la mêlée, le corps-à-corps ; l’enjeu est humain ou divin, le mobile est matériel ou moral, il s’agit de gloire ou d’argent : qu’importe ! tout cela, c’est du sport ; dites-moi donc si ces sportsmen-là ne sont pas intelligents ?

Transporté dans le domaine de l’éducation, l’athlétisme dont je viens de vous retracer à grands traits les principes soulève deux objections : la première, c’est qu’il ne convient pas à toutes les natures, et la seconde, c’est qu’il engendre la brutalité. Il y a en effet des enfants maladifs pour lesquels l’éducation athlétique ne vaut rien ; mais ceux-là ne doivent pas aller au collège ; si l’on veut aigrir leur caractère, donner à toute leur existence un arrière-goût d’amertume, en faire des ratés, il n’est pas de plus sûr moyen que de les mêler à d’autres enfants. Je n’ai donc pas à m’occuper de ceux-là. Restent ces natures un peu faibles, un peu timides, sur lesquelles un entraînement modéré et bien compris peut opérer excellemment. En somme, il n’est pas nécessaire d’être très fort pour aimer la lutte, et l’enfant se laisse assez facilement diriger dans cette voie si on ne le brusque pas, si on le laisse procéder doucement, si on l’encourage à propos. D’ailleurs, l’amour-propre s’en mêlant, il s’exerce en cachette pour rattraper ses camarades plus agiles ou plus adroits que lui et n’a plus de cesse qu’il les ait rejoints. — Bien des considérations secondaires agissent dans le même sens : le soldat est fier de son uniforme, et le désir de porter un sabre ou une épaulette est une chose tellement commune qu’il est inutile d’y insister : il n’y a rien d’étonnant à ce que les jerseys et les flanelles blanches excitent l’émulation des enfants et, une fois revêtus de ces uniformes-là, ils sont comme les soldats, ils tiennent à y faire honneur…… Depuis le petit garnement qui grimpe à un arbre jusqu’au citoyen qui, au péril de ses jours, opère un sauvetage, il y a une suite graduée d’efforts proportionnés aux moyens de chacun ; et cette élasticité du sport fait précisément qu’il convient à tous.

La seconde objection a plus d’importance. Très certainement la pratique de ces exercices athlétiques ne va pas sans une intervention morale de l’éducateur. L’athlétisme introduit purement et simplement dans un de nos lycées aurait pour résultat de multiplier les brimades et les mauvais traitements. Donner la puissance pour défendre ensuite d’en faire usage, c’est commettre une faute grossière ; il faut, de toute nécessité, trouver un débouché : c’est ici qu’intervient le maître ; il confie au jeune homme une mission importante et celui-ci conçoit aussitôt une plus haute idée de sa dignité ; il est devenu protecteur, de protégé qu’il était auparavant, et cela l’élève à ses propres yeux. Le voilà désarmé : il pourra faire emploi de sa force inconsidérément, mais ce sera du moins pour une juste cause ; d’ailleurs, il ne s’exposera pas facilement à perdre une confiance à laquelle il attache tant de prix et ne se blasera pas vite sur le plaisir d’être traité en homme. Ses poings sont désormais au service de l’autorité et du bon ordre : il soutient le gouvernement parce qu’il fait partie de ce gouvernement, et le mot d’ordre étant « douceur et calme », il apporte dans l’accomplissement de sa tâche autant de douceur et de calme qu’il peut en apporter. Je dois me contenter d’effleurer un sujet qui exigerait de très longs développements ; ce que je vous expose, c’est la carcasse du système ; mais vous apercevez bien ce qu’est alors le rôle du maître, quel tact, quelle habileté, quelle délicatesse il exige et aussi quelle dose de travail, d’observation et d’amour. Tout acte trop autoritaire de sa part compromettrait les choses, désorienterait ses jeunes lieutenants pleins de bonne volonté, mais d’inexpérience aussi..…

Il est bien encore une objection qui a été faite plus d’une fois : on a dit que l’éducation athlétique n’était point applicable à la race française. Je refuse de discuter cela, parce qu’il faudrait admettre d’abord l’infériorité de notre race, non pas à tel ou tel point de vue spécial, mais bien au point de vue très général du caractère et de la volonté. Il faudrait dire que nous ne sommes aptes qu’à la résignation et bons qu’à faire des administrés ; que la hardiesse, l’énergie, l’initiative ne peuvent pas se développer en nous. Je m’étonne que des Français puissent penser de la sorte et je m’indigne qu’ils osent le dire.


iv


Mon travail serait incomplet si après avoir défini l’éducation athlétique, je ne vous disais pas qui peut la donner. Est-ce l’Université ? Est-ce l’enseignement libre ? L’Université, je l’espère bien, la donnera un jour ; mais ce n’est pas elle qui peut commencer. Il faut, pour cela, une indépendance que n’ont pas ses maîtres et que n’ont pas davantage les membres des congrégations religieuses. Les premiers sont des fonctionnaires chargés d’appliquer le texte des lois ; des circulaires leur en font connaître l’esprit ; la gestion financière se fait absolument en dehors d’eux. Étant donné le système d’éducation que la France a pratiqué jusqu’à ce jour, cet état de choses était compréhensible et excusable. Il est en complet désaccord avec les principes que je viens d’exposer. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est dans les choses et non dans les hommes qu’est le mal ; certaines personnes considérant l’honorabilité de ceux qui appartiennent à l’Université, leur désintéressement, leurs capacités, leur ardeur au travail, s’étonnent qu’on puisse attaquer une éducation donnée par de tels hommes ; c’est que précisément ces bons ouvriers n’ont à leurs dispositions qu’un outil imparfait, de sorte que le résultat ne répond pas à ce que promettent leurs rares et précieuses qualités.

Il ne faut pas se préoccuper seulement d’écarter des obstacles et de briser les entraves que l’ancien système oppose au nouveau, mais aussi de relever la situation des professeurs et des éducateurs. Cette situation est absolument indigne de la tâche glorieuse qu’ils ont à remplir ; il n’est pas de rôle plus noble que celui de former des hommes, des citoyens, et j’imagine que la force morale d’une nation se mesure au respect dont elle entoure les instituteurs de la jeunesse. Il y a donc lieu, en France, d’émanciper les maîtres en même temps que les élèves, car les uns et les autres souffrent de la contrainte étroite qui leur est imposée. À qui fera-t-on admettre qu’un proviseur bien choisi, recommandable par ses vertus et sa science, n’en sait pas plus long sur le gouvernement de son lycée que le recteur auquel il obéit et qui ne peut tout savoir, tout connaître, tout prévoir, — ou bien que le ministre qui se donne la satisfaction bizarre de faire faire la même composition à la même heure dans toute la France ? L’homme qui se vantait de ce bel exploit ne faisait, en somme, que pousser à l’extrême un principe pernicieux. — Vous pensez peut être que non moins pernicieuse serait l’organisation qui conférerait aux proviseurs un pouvoir absolu sur leur personnel : d’accord. Aussi, n’est-ce pas là ce dont il s’agit. Si le proviseur connaît mieux son lycée que le recteur, le professeur connaît mieux sa classe que le proviseur. Pourquoi tous ceux qui participent à ce magnifique ouvrage, qui mettent leur signature sur l’être qu’ils contribuent à former, pourquoi ne seraient-ils pas admis aussi à prendre leur part du gouvernement de l’école ? Pourquoi l’autorité du chef ne s’entourerait-elle pas de leurs conseils et ne s’inspirerait-elle pas de leurs idées ? — Et ensuite, qu’y aurait-il de plus naturel que d’appeler à de véritables conciles pédagogiques les proviseurs et les directeurs d’école, tantôt pour une ou plusieurs provinces, tantôt pour la France entière ?

Voilà ce que l’Université ne peut pas accomplir, si l’initiative privée ne lui ouvre pas la voie. C’est à l’enseignement libre qu’il appartient présentement de commencer la réforme en relevant moralement et financièrement la situation des maîtres appelés à un rôle nouveau, plus vaste et plus individuel ; moralement en les associant à la direction des écoles, financièrement en développant le système tutoral. Cet enseignement libre doit être aussi laïque, non pas au sens irréligieux qu’on a le tort d’attacher à ce mot, — ceux-là se font de grandes illusions qui, dans un internat, séparent la religion de l’éducation et ils se condamnent à une médiocrité pédagogique dont ils ne sortiront jamais, — mais en ce sens que les congrégations religieuses retenues dans le cercle étroit d’une règle immuable souffrent précisément du même mal que l’Université : la centralisation.

Quant au système tutoral, avant de l’appliquer, il faudra le définir ; on a qualifié de tutoral un système qui ne pourrait en aucune façon être désigné de la sorte, car il y manquerait la chose principale : le tuteur. Autour de ce mot il règne une grande confusion, chacun y attache le sens qui lui plaît. Il importe de faire cesser cet état de choses ; et pour ma part, je m’y emploierai de mon mieux dans une conférence prochaine.

C’est donc à l’enseignement libre laïque à faire la réforme. Il l’a déjà commencée et ceux qui ont conçu le plan de cette réforme sont décidés à en poursuivre vaillamment la réalisation, sans précipitation maladroite, mais avec un entêtement dont aucun déboire n’aura raison. L’association qui s’est fondée dans ce but tient à déclarer hautement qu’elle n’a aucune arrière-pensée, qu’elle ne médite aucune attaque, qu’elle est une ligue de paix et de concorde. Mais si vous croyez que les jeunes Français ne sortent pas des écoles actuellement existantes avec des muscles assez durs et un caractère assez trempé ; si vous croyez que ceux qui les élèvent n’ont pas dans l’État la position à laquelle leur donnent droit leurs mérites et la sublime ampleur de leur mission ; si vous croyez surtout que c’est par l’éducation qu’on aguerrit les peuples, qu’on étend leur champ d’action et qu’on assure leurs destinées, venez à nous et soyez certains que jamais nous n’aurons d’autre préoccupation que d’aimer et de servir la grande nation dont la providence a bien voulu nous faire citoyens.