Bucoliques (Le Chevalier d’Agneaux)


Les Bucoliques Première églogue


Les Œuvres de Virgile Maron
tradvittes (en vers) de latin en françois par Robert et Anthoine le Chevalier d'Agneaux freres de Vire en Normandie. Dediees au Roy
Traduction par Robert et Anthoine le Chevalier d'Agneaux freres.
chez Guillaume Auuray.

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Mélibée.

En reposant, Tityre, à l’ombrage couvert
De ce hêtre au feuillage épanchement ouvert,
Tu mets sur le pipeau d’une avène légère
L’air de mainte chanson doucement bocagère.
Et nous, pauvres chétifs, nous laissons loin de nous,
Les fins de notre terre et nos villages doux :
Nous fuyons notre terre, en saison si mauvaise.
Toi cependant, Tityre, en l’ombrage à ton aise,
Tu apprends aux forêts à rebruire en chansons
La belle Amaryllide au rebat de tes sons.

Tityre.

C’est un dieu, Mélibé, qui nous a fait la grâce
De vivre en repos : aussi toujours sera-ce
Mon Dieu que cetui-là, et de mes parcs souvent
Maint agnelet ira ses autels abreuvant.
Il permet à mes bœufs comme tu vois de paître,
Et à moi de jouer d’un chalumeau champêtre
Tout ce que je voudrai.

Mélibée.

xxxxxxxxxxxxxxxx Certes je ne suis point
Sur toi pour ce bonheur d’aucune envie époint :
Plutôt m’en étonné-je, étant si fort troublées
Les affaires des champs : voici désassemblées,
Ces chevrettes, cassé, je mène loin d’ici :
Et à peine, Tityre, entre autres cette-ci :
Car elle a deux bessons, l’espérance plus chère
De tout ce mien troupeau, dans l’épaisseur naguère
De ces coudres, laissés nus sur la dureté,
Las ! d’une froide roche, où elle a chevroté.
Aussi me souvient-il, sinon qu’abandonnée
J’ai eu l’âme au rebours à malheure tournée,
Que les chênes frappés du Ciel auparavant,
M’ont de cette disgrâce admonesté souvent ;
Et que souvent aussi gauche me l’a pareille
D’un yeuse mangé prédite la Corneille.
Mais cependant, Tityr’, au moins enseigne-nous
Qui peut être ce Dieu qui t’a été si doux.


Tityre.

La ville Mélibé’, que l’on appelle Rome,
Peu sage que j’étais, je pensais être comme
La ville, où nous soulons entre nous pastoureaux
Souvent ôter le lait à nos tendres agneaux.
Ainsi je mesurais les levrons à leurs pères,
Ainsi je mesurais les cabris à leurs mères,
Aux grandes choses, fol, les petites ainsi
Je soulais comparer : mais enfin cette-ci
Elève autant dessus toutes autres ses cornes,
Que font les hauts cyprès sur les humbles viornes.


Mélibée.

Quelle chose peut t’avoir tant incité
D’aller visiter Rome ?

Tityre.

xxxxxxxxxxxxxxxx Un air de liberté :
Qui toutefois tardive a étendu sa vue
Sur moi lâche et pesant ; de l’heure que chenue
Sous le rasoir ma barbe à tomber commença :
Tant y a que sur moi la vue elle dressa,
Et finalement vint après un long espace ;
Reçu que je me vis d’Amaryllide en grâce,
Je fus de Galatée aussitôt dégagé,
Car (à dire le vrai) cependant qu’assiégé
Me tenait Galatée, onques je n’eus courage
D’espérer liberté, ni souci de ménage ;
Et bien que maint agneau sortît gras de mes parcs,
Pour être le sang en sacrifice épars ;
Et bien que maint fromage aussi je misse en presse
Pour à la ville ingrate en faire part, si est-ce
Que d’un tout seul denier en aucune saison,
Ma main ne retournait chargée à la maison.


Mélibée.
Aussi m’ébahissais-je à quoi de pleurs humide
On te voyait recourre aux Dieux, Amaryllide :
Pour qui dans leur pommier tu souffrais languissant
Pendre à bas tant de fruits : Tityre était absent ;
Les pins même, Tityre, et même les eaux vives,
Même leurs arbrisseaux t’appelaient sur leurs rives.


Tityre.

Qu’eussé-je fait, douteux ? ne pouvant ni sortir
Du servage où j’étais, ni autre part sentir
Les Dieux à mon secours si, à propos encore,
Là, Mélibé, je vis ce jouvenceau, qui ore
Fait fumer nos autels tous les ans douze fois.
Là. tout premier, réponse il rendit à ma voix :
 « Enfants, paissez vos bœufs, comme vous souliez faire,
Et couplez vos taureaux sous le joug ordinaire. »


Mélibée.

Doncques, heureux vieillard, tu demeureras coi
Possesseur de tes champs, voire assez grands pour toi :
Bien qu’un rocher désert partout les circuïsse,
Et qu’autour des pâtis un marais se hérisse
De limoneux jonchers : là pour d’herbes changer
Chèvres ni brebis prains ne seront en danger,
Là, les troupeaux gâtés du prochain voisinage
Par leur contagion ne porteront dommage.
Heureux vieillard, ici tu cueilleras, auprès
Et des fleuves hantés et des sources, le frais :
D’un côté tu auras pour devise la haie,
Où suçotant les fleurs de la belle saussaye
Les essaims Hybléens d’un bourdonnement doux
Flatteront le sommeil, d’autre côté, dessous
La pente d’un rocher, l’émondeur du branchage,
Aux airs dégoisera les airs de son ramage.
Cependant enroués les ramiers, ton souci,
Et sur un haut ormeau la tourterelle aussi
Sans cesse gémiront.

Tityre.

xxxxxxxxxxxxxxxx Donques les cerfs ès nues
Iront paître légers, et sus les rives nues
La mer à découvert les poissons laissera,
Le Parthe de la Saône, et l’Allemand boira,
Du Tygris, vagabonds échangeant de contrée :
Premier que son image aux plus profonds entrée,
De tous mes pansements, en puisse onques sortir.


Mélibée.

Mais nous, irons d’ici les uns voir au partir
L’Africain altéré, les autres pour retraite
La Scythie, ou l’Oaxe impétueux de Crète,
Et du monde univers le Breton séparé.
Hé ! n’adviendra jamais, qu’ayant longtemps erré,
Je m’ébahisse après quelques moissons passées,
De revoir et les fins du pays délaissées,
Et du mien pauvre toit le faîte gazonné,
Mon royaume champêtre, hélas ! abandonné ?
Aura donc outrageux le soldat pour conquête
Ces beaux champs, l’étranger ces moissons toutes prêtes
Hélas ! où a la guerre amené les Paysans ?
Et pour qui avons-nous ensemencé les champs ?
Or ente Mélibé tes poiriers, et va, plante
Tes vignes au compas sous cette chaude attente.
Allez chèvres, allez, troupe heureuse autrefois,
Je ne vous verrai plus loin comme je soulois
Es verts antres couché, d’un roc buissonneux pendre ;
Je ne chanterai plus ; et plus vous n’irez prendre,
Chevrettes, dessous moi le cytise fleuri,
Ni le faux tendre-amer, duquel je vous nourris.


Tityre.

Si pourras-tu chez moi dessous ce vert feuillage
Reposer cette nuit : nous avons du pommage
Doux et bon à manger, des châtaignes aussi
Et force lait caillé : et puis jà loin d’ici
Vont fumant tout autour les coupeaux des villages,
Et tombent allongés des hauts monts les ombrages.