« Les Caprices de Marianne (Charpentier, 1888) » : différence entre les versions

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OCTAVE'' et ''CIUTA'' entrent.''
 
'''OCTAVE'''.—  Il y renonce, dites-vous ?
 
'''CIUTA'''.—  Hélas ! Pauvre jeune homme ! Il aime plus que jamais, et sa mélancolie se trompe elle-même sur les désirs qui la nourrissent. Je croirais presque qu’il se défie de vous, de moi, de tout ce qui l’entoure.
'''OCTAVE''' Il y renonce, dites-vous ?
 
'''OCTAVE'''.—  Non, de par le ciel ! Je n’y renoncerai pas ; je me sens moi-même une autre Marianne, et il y a du plaisir à être entêté. Ou Coelio réussira, ou j’y perdrai ma langue.
'''CIUTA''' Hélas ! Pauvre jeune homme ! Il aime plus que jamais, et sa mélancolie se trompe elle-même sur les désirs qui la nourrissent. Je croirais presque qu’il se défie de vous, de moi, de tout ce qui l’entoure.
 
'''CIUTA'''.—  Agirez-vous contre sa volonté ?
'''OCTAVE''' Non, de par le ciel ! Je n’y renoncerai pas ; je me sens moi-même une autre Marianne, et il y a du plaisir à être entêté. Ou Coelio réussira, ou j’y perdrai ma langue.
 
'''OCTAVE'''.—  Oui, pour agir d’après la mienne, qui est sa sœur aînée, et pour envoyer aux enfers messer Claudio le juge, que je déteste, méprise et abhorre depuis les pieds jusqu’à la tête.
'''CIUTA''' Agirez-vous contre sa volonté ?
 
'''CIUTA'''.—  Je lui porterai donc votre réponse, et, quant à moi, je cesse de m’en mêler.
'''OCTAVE''' Oui, pour agir d’après la mienne, qui est sa sœur aînée, et pour envoyer aux enfers messer Claudio le juge, que je déteste, méprise et abhorre depuis les pieds jusqu’à la tête.
 
'''OCTAVE'''.—  Je suis comme un homme qui tient la banque d’un pharaon pour le compte d’un autre, et qui a la veine contre lui ; il noierait plutôt son meilleur ami que de céder, et la colère de perdre avec l’argent d’autrui l’enflamme cent fois plus que ne le ferait sa propre ruine.
'''CIUTA''' Je lui porterai donc votre réponse, et, quant à moi, je cesse de m’en mêler.
 
'''OCTAVE''' Je suis comme un homme qui tient la banque d’un pharaon pour le compte d’un autre, et qui a la veine contre lui ; il noierait plutôt son meilleur ami que de céder, et la colère de perdre avec l’argent d’autrui l’enflamme cent fois plus que ne le ferait sa propre ruine.
 
''Entre Coelio.''
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Comment, Coelio, tu abandonnes la partie ?
 
'''COELIO'''.—  Que veux-tu que je fasse ?
 
'''OCTAVE'''.—  Te défies-tu de moi ? Qu’as-tu ? Te voilà pâle comme la neige. Que se passe-t-il en toi ?
 
'''COELIO'''.—  Pardonne-moi ! Pardonne-moi ! Fais ce que tu voudras ; va trouver Marianne. - Dis-lui que me tromper, c’est me donner la mort, et que ma vie est dans ses yeux.
 
''Il sort.''
 
'''OCTAVE'''.—  Par le ciel, Voilà qui est étrange !
 
'''CIUTA'''.—  Silence ! Vêpres Sonnent ; la grille du jardin vient de s’ouvrir ; Marianne sort. - Elle approche lentement.
 
''Ciuta se retire. - Entre Marianne.''
 
'''OCTAVE'''.—  Belle Marianne, vous dormirez tranquillement. - Le cœur de Coelio est à une autre, et ce n’est plus sous vos fenêtres qu’il donnera ses sérénades.
 
'''MARIANNE'''.—  Quel dommage et quel grand malheur de n’avoir pu partager un amour comme celui-là ! Voyez comme le hasard me contrarie ! Moi qui allais l’aimer.
 
'''OCTAVE'''.—  En vérité !
 
'''MARIANNE'''.—  Oui, sur mon âme, ce soir ou demain matin, dimanche au plus tard, je lui appartenais. Qui pourrait ne pas réussir avec un ambassadeur tel que vous ? Il faut croire que sa passion pour moi était quelque chose comme du chinois ou de l’arabe, puisqu’il lui fallait un interprète, et qu’elle ne pouvait s’expliquer tonte seule.
 
'''OCTAVE'''.—  Raillez, raillez, nous ne vous craignons plus.
 
'''MARIANNE'''.—  Ou peut-être que cet amour n’était encore qu’un pauvre enfant à la mamelle, et vous, comme une sage nourrice, en le menant à la lisière, vous l’aurez laissé tomber la tête la première en le promenant par la ville.
 
'''OCTAVE'''.—  La sage nourrice s’est contentée de lui faire boire d’un certain lait que la vôtre vous a versé sans doute, et généreusement ; vous en avez encore sur les lèvres une goutte qui se mêle à toutes vos paroles.
 
'''MARIANNE'''.—  Comment s’appelle ce lait merveilleux ?
 
'''OCTAVE'''.—  L’indifférence. Vous ne pouvez aimer ni haïr, et vous êtes comme les roses du Bengale, Marianne, sans épines et sans parfum.
 
'''MARIANNE'''.—  Bien dit. Aviez-vous préparé d’avance cette comparaison ? Si vous ne brûlez pas le brouillon de vos harangues, donnez-le-moi, de grâce, que je les apprenne à ma perruche.
 
'''OCTAVE'''.—  Qu’y trouvez-vous qui puisse vous blesser ? Une fleur sans parfum n’en est pas moins belle ; bien au contraire, ce sont les plus belles que Dieu a faites ainsi ; et le jour où, comme une Galatée d’une nouvelle espèce, vous deviendrez de marbre au fond de quelque église, ce sera une charmante statue que vous ferez et qui ne laissera pas que de trouver quelque niche respectable dans un confessionnal.
 
'''MARIANNE'''.—  Mon cher cousin, est-ce que vous ne plaignez pas le sort des femmes? Voyez un peu ce qui m’arrive : il est décrété par le sort que Coelio m’aime, ou qu’il croit m’aimer, lequel Coelio le dit à ses amis, lesquels amis décrètent à leur tour que, sous peine de mort, je serai sa maîtresse. La jeunesse napolitaine daigne m’envoyer en votre personne un digne représentant chargé de me faire savoir que j’ai à aimer ledit seigneur Coelio d’ici à une huitaine de jours. Pesez cela, je vous en prie. Si je me rends, que dira-t-on de moi ? N’est-ce pas une femme bien abjecte que celle qui obéit à point nommé, à l’heure convenue, à une pareille proposition ? Ne va-t-on pas la déchirer à belles dents, la montrer au doigt et faire de son nom le refrain d’une chanson à boire ? Si elle refuse, au contraire, est-il un monstre qui lui soit comparable ? Est-il une statue plus froide qu’elle, et l’homme qui lui parle, qui ose l’arrêter en place publique son livre de messe à la main, n’a-t-il pas le droit de lui dire : vous êtes une rose du Bengale sans épines et sans parfum ?
 
'''OCTAVE'''.—  Cousine, cousine, ne vous fâchez pas.
 
'''MARIANNE'''.—  N’est-ce pas une chose bien ridicule que l’honnêteté et la foi jurée ? Que l’éducation d’une fille, la fierté d’un cœur qui s’est figuré qu’il vaut quelque chose, et qu’avant de jeter au vent la poussière de sa fleur chérie, il faut que le calice en soit baigné de larmes, épanoui par quelques rayons de soleil, entre ouvert par une main délicate ? Tout cela n’est-il pas un rêve, une bulle de savon qui, au premier soupir d’un cavalier à la mode, doit s’évaporer dans les airs ?
 
'''OCTAVE'''.—  Vous vous méprenez sur mon compte et sur celui de Coelio.
 
 
'''MARIANNE'''.—  Qu’est-ce après tout qu’une femme? L’occupation d’un moment, une coupe fragile qui renferme une goutte de rosée, qu’on porte à ses lèvres et qu’on jette par-dessus son épaule. Une femme ! C’est une partie de plaisir ! Ne pourrait-on pas dire, quand on en rencontre une : voilà une belle nuit qui passe ? Et ne serait-ce pas un grand écolier en de telles matières que celui qui baisserait les yeux devant elle, qui se dirait tout bas : “ Voilà peut-être le bonheur d’une vie entière ”, et qui la laisserait passer ?
 
''Elle sort.''
 
'''OCTAVE''','' seul.''.—  Tra, tra, poum ! poum ! tra deri la la ! Quelle drôle de petite bonne femme ! Ha! ! Holà ! ''(Il frappe à une auberge.)'' Apportez-moi ici, sous cette tonnelle, une bouteille de quelque chose.
 
'''LE GARÇON'''.—  Ce qui vous plaira, Excellence. Voulez vous du Lacryma-Christi ?
 
'''OCTAVE'''.—  Soit, soit. Allez-vous-en un peu chercher dans les rues d’alentour le seigneur Coelio, qui porte un manteau noir et des culottes plus noires encore. Vous lui direz qu’un de ses amis est là qui boit tout seul du Lacryma Christi. Après quoi vous irez à la grande place, et vous m’apporterez une certaine Rosalinde qui est rousse et qui est toujours à sa fenêtre.
 
''Le garçon sort.''
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Cousin Claudio, vous êtes un beau juge ; où allez-vous si couramment ?
 
''CLAUDIO'''.—  Qu’entendez-vous par là, Seigneur Octave ?
 
'''OCTAVE'''.—  J’entends que vous êtes un magistrat qui a de belles formes.
 
'''CLAUDIO'''.—  De langage ou de complexion ?
 
'''OCTAVE'''.—  De langage, de langage. Votre perruque est pleine d’éloquence, et vos jambes sont deux charmantes parenthèses.
 
'''CLAUDIO'''.—  Soit dit en passant, Seigneur Octave, le marteau de ma porte m’a tout l’air de vous avoir brûlé les doigts.
 
'''OCTAVE'''.—  En quelle façon, juge plein de science ?
 
'''CLAUDIO'''.—  En y voulant frapper, cousin plein de finesse.
 
'''OCTAVE'''.—  Ajoute hardiment plein de respect, juge, pour le marteau de ta porte, mais tu peux le faire peindre à neuf sans que je craigne de m’y salir les doigts.
 
'''CLAUDIO'''.—  En quelle façon, cousin plein de facéties ?
 
'''OCTAVE'''.—  En n’y frappant jamais, juge plein de causticité.
 
'''CLAUDIO'''.—  Cela vous est pourtant arrivé, puisque ma femme a enjoint à ses gens de vous fermer la porte au nez à la première occasion.
 
'''OCTAVE'''.—  Tes lunettes sont myopes, juge plein de grâce ; tu te trompes d’adresse dans ton compliment.
 
'''CLAUDIO'''.—  Mes lunettes sont excellentes, cousin plein de riposte ; n’as-tu pas fait à ma femme une déclaration amoureuse ?
 
'''OCTAVE'''.—  A quelle occasion, subtil magistrat ?
 
'''CLAUDIO'''.—  A l’occasion de ton ami Coelio, cousin. Malheureusement j’ai tout entendu.
 
'''OCTAVE'''.—  Par quelle oreille, sénateur incorruptible ?
 
'''CLAUDIO'''.—  Par celle de ma femme, qui m’a tout raconté, godelureau chéri.
 
'''OCTAVE'''.—  Tout absolument, époux idolâtré ? Rien n’est resté dans cette charmante oreille ?
 
'''CLAUDIO'''.—  Il y est resté sa réponse, charmant pilier de cabaret, que je suis chargé de te faire.
 
'''OCTAVE'''.—  Je ne suis pas chargé de l’entendre, cher procès-verbal.
 
'''CLAUDIO'''.—  Ce sera donc ma porte en personne qui te la fera, aimable croupier de roulette, si tu t’avises de la consulter.
 
'''OCTAVE'''.—  C’est ce dont je ne me soucie guère, chère sentence de mort ; je vivrai heureux sans cela.
 
'''CLAUDIO'''.—  Puisses-tu le faire en repos, cher cornet de passe-dix ! Je te souhaite mille prospérités.
 
'''OCTAVE'''.—  Rassure-toi sur ce sujet, cher verrou de prison ! Je dors tranquille comme une audience.
 
''Sortent Claudio et Tibia.''
 
'''OCTAVE,'' seul''.—  Il me semble que voilà Coelio qui s’avance de ce côté. Coelio ! Coelio ! A qui diable en a-t-il ?
 
''Entre Coelio.''
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Sais-tu, mon cher ami, le beau tour que nous joue ta princesse ? Elle a tout dit à son mari.
 
'''COELIO'''.—  Comment le sais-tu ?
 
'''OCTAVE'''.—  Par la meilleure de toutes les voies possibles. Je quitte à l’instant Claudio. Marianne nous fera fermer la porte au nez, si nous nous avisons de l’importuner davantage.
 
'''COELIO'''.—  Tu l’as vue tout à l’heure ; que t’avait-elle dit ?
 
'''OCTAVE'''.—  Rien qui pût me faire pressentir cette douce nouvelle; rien d’agréable cependant. Tiens, Coelio, renonce à cette femme. Holà ! Un second verre !
 
'''COELIO'''.—  Pour qui ?
 
'''OCTAVE'''.—  Pour toi. Marianne est une bégueule ; je ne sais trop ce qu’elle m’a dit ce matin, je suis resté comme une brute sans pouvoir lui répondre. Allons ! N’y pense plus, voilà qui est convenu et que le ciel m’écrase si je lui adresse jamais la parole ! Du courage, Coelio, n’y pense plus.
 
'''COELIO'''.—  Adieu, mon cher ami.
 
'''OCTAVE'''.—  Ou vas-tu ?
 
'''COELIO'''.—  J’ai affaire en ville ce soir.
 
'''OCTAVE'''.—  Tu as l’air d’aller te noyer. Voyons, Coelio, à quoi penses-tu ? Il y a d’autres Marianne sous le ciel. Soupons ensemble, et moquons-nous de cette Marianne-là.
 
'''COELIO'''.—  Adieu, adieu, je ne puis m’arrêter plus longtemps. Je te verrai demain, mon ami.
 
''Il sort.''
 
'''OCTAVE'''.—  Coelio ! Écoute donc ! Nous te trouverons une Marianne bien gentille, douce comme un agneau et n’allant point à vêpres surtout ! Ah ! Les maudites cloches ! Quand auront-elles fini de me mener en terre ?
 
'''LE GARÇON''','' rentrant''.—  Monsieur, la demoiselle rousse n’est point à sa fenêtre ; elle ne peut se rendre à votre invitation.
 
'''OCTAVE'''.—  La peste soit de tout l’univers ! Est-il donc décidé que je souperai seul aujourd’hui ? La nuit arrive en poste ; que diable vais-je devenir ? Bon ! Bon ! Ceci me convient. ''(Il boit.)'' Je suis capable d’ensevelir ma tristesse dans ce vin, ou du moins ce vin dans ma tristesse. Ah ! Ah ! Les vêpres sont finies; voici Marianne qui revient.
 
''Entre Marianne.''
 
'''MARIANNE'''.—  Encore ici, seigneur Octave? Et déjà à table ? C’est un peu triste de s’enivrer tout seul.
 
'''OCTAVE'''.—  Le monde entier m’abandonne ; je tâche d’y voir double, afin de me servir à moi-même de compagnie.
 
'''MARIANNE'''.—  Comment ! Pas un de vos amis, pas une de vos maîtresses qui vous soulage de ce fardeau terrible, la solitude ?
 
'''OCTAVE'''.—  Faut-il vous dire ma pensée ? J’avais envoyé chercher une certaine Rosalinde, qui me sert de maîtresse ; elle soupe en ville comme une personne de qualité.
 
'''MARIANNE'''.—  C’est une fâcheuse affaire sans doute, et votre cœur en doit ressentir un vide effroyable.
 
'''OCTAVE'''.—  Un vide que je ne Saurais exprimer, et que je communique en vain à cette large coupe. Le carillon des vêpres m’a fendu le crâne pour tout l’après-dîner.
 
'''MARIANNE'''.—  Dites-moi, cousin, est-ce du vin à quinze sous la bouteille que vous buvez ?
 
'''OCTAVE'''.—  N’en riez pas ; ce sont les larmes du Christ en personne.
 
'''MARIANNE'''.—  Cela m’étonne que vous ne buviez pas du vin à quinze sous ; buvez-en, je vous en supplie.
 
'''OCTAVE'''.—  Pourquoi en boirais-je, s’il vous plaît ?
 
'''MARIANNE'''.—  Goûtez-en ; je suis sûre qu’il n’y a aucune différence avec celui-là.
 
'''OCTAVE'''.—  Il y en a une aussi grande qu’entre le soleil et une lanterne.
 
'''MARIANNE'''.—  Non, vous dis-je, c’est la même chose.
 
'''OCTAVE'''.—  Dieu m’en préserve ! Vous moquez-vous de moi ?
 
'''MARIANNE'''.—  Vous trouvez qu’il y a une grande différence ?
 
'''OCTAVE'''.—  Assurément.
 
'''MARIANNE'''.—  Je croyais qu’il en était du vin comme des femmes. Une femme n’est-elle pas aussi un vase précieux, scellé comme ce flacon de cristal ? Ne renferme-t-elle pas une ivresse grossière ou divine, selon sa force et sa valeur ? Et n’y a-t-il pas parmi elles le vin du peuple et les larmes du Christ ? Quel misérable cœur est-ce donc que le vôtre, pour que vos lèvres lui fassent la leçon ? Vous ne boiriez pas le vin que boit le peuple, vous aimez les femmes qu’il aime ; l’esprit généreux et poétique de ce flacon doré, ces sucs merveilleux que la lave du Vésuve a cuvés sous son ardent soleil, vous conduiront chancelant et sans force dans les bras d’une fille de joie ; vous rougiriez de boire un vin grossier ; votre gorge se soulèverait. Ah ! Vos lèvres sont délicates, mais votre cœur s’enivre à bon marché. Bonsoir, cousin; puisse Rosalinde rentrer ce soir chez elle !
Bonsoir, cousin; puisse Rosalinde rentrer ce soir chez elle !
 
'''OCTAVE'''.—  Deux mots, de grâce, belle Marianne, et ma réponse sera courte. Combien de temps pensez-vous qu’il faille faire la cour à la bouteille que vous voyez pour obtenir ses faveurs ? Elle est, comme vous dites, toute pleine d’un esprit céleste et le vin du peuple lui ressemble aussi peu qu’un paysan ressemble à son seigneur. Cependant, regardez comme elle se laisse faire ! - Elle n’a reçu, j’imagine, aucune éducation, elle n’a aucun principe; vous voyez comme elle est bonne fille ! Un mot a suffi pour la faire sortir du couvent ; toute poudreuse encore, elle s’en est échappée pour me donner un quart d’heure d’oubli, et mourir. Sa couronne virginale, empourprée de cire odorante, est aussitôt tombée en poussière, et, je ne puis vous le cacher, elle a failli passer tout entière sur mes lèvres dans la chaleur de son premier baiser.
 
'''MARIANNE'''.—  Etes-vous sûr qu’elle en vaut davantage ? Et si vous êtes un de ses vrais amants, n’iriez-vous pas, si la recette en était perdue, en chercher la dernière goutte jusque dans la bouche du volcan ?
 
'''OCTAVE'''.—  Elle n’en vaut ni plus ni moins. Elle sait qu’elle est bonne à boire et qu’elle est faite pour être bue. Dieu n’en a pas caché la source au sommet d’un pic inabordable, au fond d’une caverne profonde ; il l’a suspendue en grappes dorées au bord de nos chemins ; elle y fait le métier des courtisanes ; elle y effleure la main du passant ; elle y étale aux rayons du soleil sa gorge rebondie, et toute une cour d’abeilles et de frelons murmure autour d’elle matin et soir. Le voyageur dévoré de soif peut se coucher sous ses rameaux verts ; jamais elle ne l’a laissé languir, jamais elle ne lui a refusé les douces larmes dont son cœur est plein. Ah ! Marianne, c’est un don fatal que la beauté ! - La sagesse dont elle se vante est sœur de l’avarice, et il y a plus de miséricorde dans le ciel pour ses faiblesses que pour sa cruauté. Bonsoir, cousine; puisse Coelio vous oublier!
 
''Il entre dans l’auberge, Marianne dans sa maison.''