« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Pilier » : différence entre les versions

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de sorte qu'ayant les mêmes diamètres, les colonnes engagées
antérieures X sont beaucoup plus longues que les colonnes M et N.
Ainsi, dès cette époque, le principe de soumettre les hauteurs des
colonnes
aux naissances des arcs est admis. Ce sont les voûtes qui commandent l'ordonnance. Les colonnes ne sont engagées que d'un tiers,
afin de laisser à leur diamètre toute leur pureté, ce qui est un point important,
car toute colonne engagée de la moitié de son diamètre, par
l'effet de la perspective, ne paraît jamais posséder son épaisseur réelle.
Il est évident que dans la nef de Vézelay, l'architecte a su, dès la base
de l'édifice, comment il le pourrait voûter; les arcs-doubleaux reposent
en plein sur les saillies des chapiteaux et sur les dosserets auxquels les
colonnes sont adossées; les formerets de la grande voûte trouvent leurs
points d'appui, et les arêtes des voûtes leur place dans des angles rentrants,
comme dans la structure romaine.
 
Les piliers de la cathédrale d'Autun, d'une époque plus récente (1140
environ), mais appartenant à cette belle école de la haute Bourgogne, méritent
également de fixer notre attention. Ils se composent, suivant la
section horizontale, de deux parallélogrammes se pénétrant, cantonnés,
non de colonnes engagées, mais de pilastres cannelés. Il faut observer
que la nef principale de cette église est voûtée en berceau, et non point
par des voûtes d'arête, comme à Vézelay. Ses piliers sont, d'ailleurs,
parfaitement disposés pour ce genre de construction. La section A est
faite sur <i>ab</i> (fig. 7), la section B sur <i>cd</i>, la section C sur <i>ef</i>. Les
arcs-doubleaux
D reposent sur la tête du pilastre montant de fond, et le nerf
qui les cerne à l'extrados, sur les colonnettes E. Les pilastres latéraux <i>i</i>
s'arrêtent à la naissance des archivoltes des collatéraux, et celui postérieur
reçoit, au même niveau, l'arc-doubleau de la voûte du bas côté.
C'est donc, comme à Vézelay, la naissance des arcs des voûtes qui
détermine
la hauteur des colonnes ou pilastres engagés; mais pour ne pas
donner au pilastre antérieur une proportion démesurément allongée,
l'architecte a eu le soin de le couper par les bandeaux <i>n</i> et <i>m</i>. Il n'est pas
nécessaire de faire ressortir l'étude des proportions et des détails qui
perce dans cet exemple d'architecture. On croirait voir là un fragment de
ces monuments gréco-romains si délicats que M. le comte Melchior de
Vogué a découverts dans les environs d'Antioche et d'Alep. Il n'est pas
jusqu'à la sculpture qui ne rappelle cette école orientale si brillante au
V<sup>e</sup> siècle; et bien que les portes gallo-romaines d'Autun aient pu inspirer
aux architectes de la cathédrale du XII<sup>e</sup> siècle le motif de l'arcature du
triforium, ceux-ci ont été certainement prendre ailleurs leurs profils et
leur ornementation, ces profils et ornements étant d'un tout autre style
que ceux des édifices gallo-romains et d'une exécution bien supérieure.
 
Ce motif de piliers a été suivi dans la construction des églises Notre-Dame
de Beaune, de Saint-Andoche de Saulieu et de la cathédrale de
Langres, car la cathédrale d'Autun a fait école.
 
L'école de l'Île-de-France, au moment où l'architecture passait aux
mains des architectes laïques, devait rompre avec ces traditions qui semblaient
 
[Illustration: Fig. 7.]
 
si bien établies dans les contrées de la Bourgogne et de la haute
Champagne. Vers 1160, ces architectes de l'Île-de-France tentaient d'associer
les anciennes données romanes au nouveau système de structure
qu'ils inauguraient; ils conservaient encore la colonne monocylindrique
et ne commençaient l'ordonnance imposée par les voûtes d'arête en
arcs ogives qu'au-dessus de ces colonnes.
 
[Illustration: Fig. 8.]
 
Ce principe est franchement accusé dans l'intérieur de la cathédrale de
Paris. Les piliers du chœur de cette église, élevés vers 1162, et ceux de la
nef, vers 1200, présentent à peu près les mêmes dispositions. Les piliers
du chœur, dont nous donnons la section horizontale (fig. 8), se
composent
d'un gros cylindre de 1<sup>m</sup>,30 de diamètre (4 pieds), portant un large
chapiteau à tailloir carré, sur lequel reposent les archivoltes portant les
murs <i>ab</i>, <i>cd</i>, les arcs-doubleaux du collatéral <i>e</i> et les arcs ogives <i>f</i>. Les trois
colonnettes <i>g<i/>, <i>h</i>, <i>h</i>, s'élancent jusqu'aux naissances des grandes voûtes
pour porter les arcs-doubleaux et les arcs ogives ou les formerets. À la
hauteur du triforium, la section monocylindrique du pilier se divise,
comme l'indique la figure, en autant de membres qu'il y a de nerfs de
voûtes à porter. Dans la nef (fig. 9), la section de la pile du triforium
se simplifie; la pile, construite par assises, ne présente que des retours
d'équerre, des pilastres, et les colonnettes sont détachées en monolithes.
Plus tard, aux piles avoisinant les tours, vers 1210, les constructeurs ont
même accolé après coup, à la grosse colonne monocylindrique du
rez-de-chaussée,
une colonne engagée A pour supporter l'apparence de
porte-à-faux des colonnettes antérieures assises sur le tailloir, ou plutôt
pour épauler le gros cylindre et arrêter son déversement. C'était une
transition.
 
Voici (fig. 10) quelle est la construction des piles de la nef de Notre-Dame
de Paris en élévation<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]]. Il est clair que l'ordonnance propre au
nouveau système de structure adopté alors ne commence qu'à partir
du niveau A, c'est-à-dire au-dessus du tailloir des chapiteaux des
colonnes
 
[Illustration: Fig. 9.]
 
du rez-de-chaussée. Celles-ci constituent une ordonnance séparée,
un quillage inférieur. Ce principe persiste plus longtemps dans
l'Île-de-France
que partout ailleurs, ce n'est qu'avec peine que les architectes
l'abandonnent. Déjà cependant, à Paris, dans la construction de la cathédrale
même, ils avaient élevé, dans les collatéraux de la nef, des colonnes
monocylindriques cantonnées de colonnes monostyles (voy.
CONSTRUCTION,
fig. 92 et 93); mais ce parti leur avait été imposé par la nécessité de
donner à ces points d'appui une résistance exceptionnelle. Nous voyons
qu'à la cathédrale de Laon, sans aucune raison apparente, vers la même
époque, c'est-à-dire vers 1200, les architectes ajoutent aux gros cylindres
du rez-de-chaussée de la nef des colonnes monostyles détachées,
comme un essai, une tentative, un acheminement vers un nouveau
système
de structure des piles. Sur vingt piles qui portent le triforium et
les voûtes de la nef de Notre-Dame de Laon, quatre seulement
présentent
cette particularité de colonnettes posées aux angles du tailloir et
sur la partie antérieure, ainsi que l'indique la section horizontale (fig. 11).
Les trois colonnettes <i>a</i>, <i>b</i>, <i>b</i>, soulagent le tailloir du gros chapiteau, et reçoivent
les cinq colonnettes qui portent l'arc-doubleau, les arcs ogives
et les formerets des grandes voûtes. Quant aux colonnettes <i>c</i>, elles reçoivent
les sommiers des arcs ogives des voûtes des bas côtés. En perspective,
ces piliers présentent donc l'aspect reproduit dans la figure 12.
Ces quatre piliers sont, il est vrai, posés sous les retombées des voûtes,
qui, à Laon comme à Notre-Dame de Paris, embrassent deux travées,
mais on ne s'explique pas pourquoi ce système, qui est très-bon, n'a pas
été suivi tout le long de la nef. Les bagues A forment une assise qui
relie les fûts supérieurs B aux fûts inférieurs C. Les constructeurs de la
cathédrale de Laon n'avaient pas le beau liais cliquart de Paris, et ils
ne pouvaient tailler de colonnettes monostyles d'une grande longueur.
 
[Illustration: Fig. 10.]
 
Aussi reliaient-ils les fûts par ces assises de bagues qui se répétaient
plusieurs fois dans la hauteur des piliers, comme on le voit en D. On
observera que le chapiteau de la grosse colonne comprend deux assises,
tandis que les chapiteaux des colonnettes en délit sont pris dans une
seule assise faisant corps avec la deuxième assise du gros
chapiteau*[?.] Ce
principe est suivi assez rigoureusement pendant les premières années
du XIII<sup>e</sup> siècle (voy. CHAPITEAU).
 
[Illustration: Fig. 11.]
 
Quelques années avant la construction de la cathédrale de Laon,
c'est-à-dire
vers 1170, on élevait dans la même ville la nef et le chœur de
l'église Saint-Martin, et l'architecte conservait le corps de la pile romane,
formée, en section horizontale, de parallélogrammes se pénétrant avec
colonne engagée du côté de la grande nef pour recevoir l'arc doubleau;
mais dans les quatre angles rentrants laissés par les parallélogrammes,
cet architecte posait déjà des colonnettes en délit pour recevoir les arcs
ogives des hautes et basses voûtes (fig. 13). Ces colonnettes, composées
de plusieurs morceaux, étaient retenues par des bagues, ainsi que le fait
voir la vue perspective. Mais ces piles avaient l'inconvénient de donner
une section considérable prenant beaucoup de place, gênant la circulation
et masquant la vue du sanctuaire; cependant ces quatre colonnettes,
disposées pour recevoir les arcs ogives, avaient probablement fait naître
aux architectes de la cathédrale de Laon l'idée de cantonner leur
pilier cylindrique de cinq colonnettes, l'une destinée à porter
l'arc-doubleau
de la grande nef, et les quatre autres à porter les arcs ogives.
Bientôt on prit un parti plus radical, on cantonna la grosse colonne
cylindrique de quatre colonnes engagées, recevant les deux
arcs-doubleaux
et les deux archivoltes; les arcs ogives des collatéraux retombèrent alors sur le gros chapiteau du cylindre principal, et ceux des voûtes
de la grande nef sur des colonnettes en délit portant sur la saillie du
tailloir. C'est suivant ce système que furent élevés les piliers de la cathédrale
de Reims (fig. 14). En A nous donnons la section de ces piliers au
niveau du rez-de-chaussée, la grande nef étant du côté N. Les gros cylindres
ont 1<sup>m</sup>,60 de diamètre (5 pieds); dans le sens de la coupe en travers,
 
[Illustration: Fig. 12.]
 
les piliers, compris les colonnes engagées, ont 2<sup>m</sup>,48, et dans le
sens de la nef 2<sup>m</sup>,40 seulement. C'était une précaution prise pour donner
[Illustration: Fig. 13.]
 
à ces piliers un peu plus d'assiette dans le sens de la poussée des voûtes.
 
[Illustration: Fig. 14.]
 
L'appareil de ces piliers est donné par Villard de Honnecourt et est reproduit dans notre figure. Villard de Honnecourt a bien le soin de nous
dire que cet appareil avait été combiné afin de cacher les joints des
tambours; il n'est pas besoin d'ajouter que l'appareil se chevauche de
deux en deux assises. Au niveau du triforium, en <i>ab</i> (voy. l'élévation B),
le pilier adopte la section C. La colonne engagée <i>d</i> fait corps avec la
bâtisse, c'est-à-dire qu'elle est élevée par assises, tandis que les colonnettes
<i>e</i> recevant les arcs ogives des grandes voûtes, et les colonnettes <i>f</i>
recevant les formerets, sont rapportées en délit, maintenues par les bandeaux
<i>g</i>, <i>h</i>, qui font bagues, et les chapitaux <i>i</i> et <i>l</i>. L'architecte de Notre-Dame
de Reims n'avait pas encore une théorie bien arrêtée sur l'équilibre des voûtes dans les grands édifices gothiques, et il avait cru devoir
donner à ses piliers une très-forte section; il avait, au niveau du triforium,
cru devoir élever encore un gros contre-fort en porte-à-faux pour
asseoir les piles recevant les arcs-boutants (voy.
CATHÉDRALE, fig. 14).
L'architecte de la cathédrale d'Amiens fut plus hardi: il donna une section
beaucoup plus faible à ses piliers, et ne songea à les maintenir dans
leur plan vertical que par le secours des arcs-boutants (voy. CATHÉDRALE,
fig. 20).
 
D'autres constructeurs avaient essayé des colonnes jumelles dans les
cathédrales de Sens et d'Arras (voy. la section D) (1160), ou plus tard des
colonnes avec une seule colonnette adossée (voy. la section E), ou encore
des colonnes à section ovale, comme dans le chœur de la cathédrale de
Seez (fin du XIII<sup>e</sup> siècle) (voy. la section F), dominés qu'ils étaient par
cette idée de résister aux poussées et de prendre le moins de place possible,
de ne pas obstruer la vue des nefs et des sanctuaires.
 
Les exemples de piliers empruntés aux cathédrales de Reims et
d'Amiens nous font voir seulement une grosse colonne centrale cantonnée de quatre colonnes engagées; les colonnettes destinées à porter
les arcs ogives et les formerets ne prennent naissance qu'au-dessus du
chapiteau inférieur. Vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle déjà on faisait descendre
les colonnettes des arcs ogives des grandes voûtes jusqu'à la base
même du pilier; puis bientôt on voulut porter les arcs ogives des voûtes
des collatéraux sur des colonnettes spéciales; les piliers prirent donc la
section donnée par la figure 15: A étant le côté faisant face à la grande
nef et B la partie du pilier en regard du collatéral. Dès l'instant que l'on
admettait que les arcs ogives, comme les archivoltes et les
arcs-doubleaux,
devaient posséder leur colonnette montant de fond, il était logique
d'admettre que les formerets eux-mêmes possédassent leurs supports verticaux,
et même que les membres de ces nefs de voûtes eussent chacun
un point d'appui spécial. On multiplia donc les colonnettes autour du
cylindre central, et les moulures elles-mêmes des arcs vinrent mourir sur
la base du pilier. Ce parti tendait à faire supprimer les chapiteaux, car à
quoi bon un chapiteau dès que la moulure formant l'arc se continue le
long du pilier? Vers 1230 déjà, les colonnettes cantonnant les piliers ne
sont plus détachées, monostyles, mais tiennent aux assises mêmes de la
 
[Illustration: Fig. 15.]
 
[Illustration: Fig. 16.]
 
pile. Ces colonnettes, en se multipliant, devenaient trop grêles pour
qu'il fût possible de les tailler dans une pierre posée en délit, et même
alors comme il devenait très-difficile, sans risquer de faire casser les
pierres, de fouiller au ciseau les angles rentrants, jonctions des colonnettes
avec le noyau, on adoucissait ces angles, ainsi que le fait voir la
section (fig. 16}. Il résultait de cette nécessité pratique une succession
de surfaces courbes, molles, qui ne donnaient que des ombres indécises;
il fallait trouver sur ces surfaces des arrêts de lumière qui pussent accuser
les nerfs principaux. Les architectes eurent alors l'idée de réserver sur
le devant de chaque colonnette une arête qui accrochât la lumière et fit
ressortir la saillie du nerf cylindrique (voy. en A, fig. 16). Il résultait de
l'adoption de ce principe, que la colonnette, mariée au noyau principal
par une gorge et armée d'un nerf saillant, passait de la forme
cylindrique
à la forme prismatique.
 
Dès la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, l'école champenoise, qui, à partir de 1250,
avait pris les devants sur les autres écoles gothiques, cherchait des sections
de piliers qui fussent rigoureusement logiques, c'est-à-dire qui ne
fussent que la section, réunie en faisceau, des arcs que portaient ces
piliers. Alors les profils des arcs commandaient impérieusement les sections
des piles, et, pour tracer un pilier, il fallait commencer par
connaître
et tracer les divers membres des voûtes.
 
Les gens qui élevèrent l'église Saint-Urbain de Troyes, vers 1290, prirent,
dès cette époque, le parti radical que nous venons d'indiquer;
mais on comprendra facilement que la forme consacrée du gros pilier
cylindrique central ne devait plus s'accorder avec ce système nouveau,
la réunion en faisceau de tous ces nerfs d'arcs ne pouvant se résoudre en
un cylindre, même en y joignant des appendices comme on l'avait fait
précédemment et comme l'indiquent les figures 15 et 16. Il fallait abandonner
absolument la tradition de la grosse colonne centrale, qui persistait encore vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle. Entraînés par la marche
logique de leur art, les constructeurs de Saint-Urbain n'hésitèrent pas,
et nous voyons que dans le même édifice et pendant un espace de
temps très-court (dix ans au plus), ils abordent franchement le pilier
prismatique, en supprimant les chapiteaux.
 
La figure 17 présente en A une des quatre piles du transsept. Cette
pile porte deux arcs-doubleaux B des grandes voûtes, deux archivoltes C
de bas côtés, la branche d'arc ogive D de la voûte de la croisée, deux
branches d'arcs ogives E des voûtes hautes, et la branche d'arc ogive F
de la voûte du collatéral. Son plan affecte la forme donnée par les profils
de ces huit arcs, et place les points d'appui verticalement sous la
trace des sommiers de ces arcs. La première pile de la nef, dont la section
est donnée en G, indique de même la projection horizontale des
sommiers des archivoltes B', des arcs ogives E' des grandes voûtes, et
des arcs ogives E'' des voûtes des bas côtés, ainsi que celle des arcs-doubleaux
H des grandes voûtes et I des basses voûtes. Ces piles portent
encore des chapiteaux, très-bas d'assise, parce que le profil des
arcs des voûtes n'est pas identique avec la section de ces piliers. Mais la
seconde pile de la nef donne la section K, et est tracée de telle façon,
que les archivoltes L, les arcs-doubleaux H et I, les arcs ogives M, viennent
pénétrer exactement cette section, les membres <i>a</i> tombant en <i>a'</i>,
les membres <i>b</i> en <i>b'</i>, les membres <i>c</i> en <i>c'</i>, les membres <i>d</i> en <i>d'</i>, etc. Mais,
pour ne pas affaiblir la pile par des évidements, les cavets, gorges et
profils <i>e</i> viennent rencontrer les surfaces pleines <i>e'</i>, les arêtes vives <i>f</i> des
boudins s'accusant sur la pile par les arêtes <i>f'</i>. Dès lors les chapiteaux
sont supprimés. Une semblable tentative, datant des dernières années
du XIII<sup>e</sup> siècle, ne laisse pas d'être d'un grand intérêt, quand on voit que
pendant le XIV<sup>e</sup> encore, dans la province de l'Île-de-France et en Normandie,
on s'en tenait à des sections de piles n'accusant pas entièrement
la section des arcs des voûtes, et nécessitant par conséquent l'emploi
[Illustration: Fig. 17.]
 
du chapiteau pour séparer les sommiers de faisceau des colonnettes
des piliers.
 
L'église de Saint-Ouen de Rouen, dont le chœur date du XIV<sup>e</sup> siècle,
présente des piliers qui sont tracés conformément à la section G, c'est-à-dire
qui projettent avec quelques modifications les arcs-doubleaux et les
arcs ogives des voûtes, et qui possèdent encore des chapiteaux; ce n'est
qu'à la fin du XIV<sup>e</sup> siècle et au commencement du XV<sup>e</sup> que la donnée
déjà adoptée à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle par l'architecte de
Saint-Urbain de
Troyes est définitivement acceptée, et que les piles ne sont que la projection
réunie en faisceau des différents profils des arcs. Mais comme
cette méthode, toute rationnelle qu'elle était, exigeait une
main-d'œuvre
et par conséquent des dépenses considérables, souvent à cette
époque
on en revient au pilier monocylindrique, dans lequel alors pénétraient
les profils des divers arcs des voûtes. C'est ainsi que sont construits
les piliers de l'église basse du mont Saint-Michel en mer, et d'un
grand nombre d'édifices construits de 1400 à 1500, particulièrement
dans les constructions civiles, où l'on prétendait ne pas faire de dépenses
inutiles. Toutefois il ne faut pas perdre de vue ce fait, savoir, qu'à dater
de 1220, les architectes français, renonçant à ]a colonne
monocylindrique
pour porter les voûtes, cherchèrent sans interruption à transformer cette colonne en un <i>support des membres saillants constituant la
voûte</i>, et par suite en un faisceau vertical de ces membres. Le pilier
tendait ainsi chaque jour à n'être que la continuation des arcs des voûtes,
et nous voyons que dès la fin du XIII<sup>e</sup> siècle on était déjà arrivé à ce
résultat. Le pilier n'étant que le faisceau vertical des arcs des voûtes, ce
n'est plus, à proprement parler, un pilier, mais un groupe de moulures
d'arcs descendant verticalement jusqu'au sol, c'est le tracé du lit inférieur
des sommiers qui constitue la section horizontale de la pile; et en
effet, ce tracé est si important dans les édifices voûtés, si impérieux,
dirons-nous, qu'il devait nécessairement conduire à ce résultat. Dès
1220, les architectes gothiques ne pouvaient élever un monument voûté
sans, au préalable, tracer le plan des voûtes et de leurs sommiers; il était
assez naturel de considérer ce tracé comme le tracé du <i>plan par terre</i>, et
de planter ces sommiers dès la base de sa construction: c'était un moyen
de faire une économie d'épures, et surtout d'éviter des erreurs de plantation.
 
Les piliers, dans l'architecture civile, affectent des formes qui ne sont
pas moins l'expression des nécessités de la construction, soit qu'ils portent
des voûtes, soit qu'ils soutiennent des planchers. Ainsi, dans les
étages inférieurs de l'évêché de Meaux, étages qui datent de la fin du
XII<sup>e</sup> siècle, nous voyons des piliers posés en épine qui portent des voûtes
doubles, et dont la structure est assez remarquable. Voici (fig. 18) leur
section horizontale en A, et en B leur élévation. Les voûtes sont privées
d'arcs-doubleaux. Ce sont des voûtes d'arête construites comme les
voûtes romaines, avec un simple boudin en relief sur les arêtes et un
angle obtus à la place occupée ordinairement par l'arc-doubleau (voy. la
section C faite sur <i>ab</i>). Le pilier se compose d'un corps principal cylindrique,
 
[Illustration: fig. 18 ]
 
cantonné de quatre boudins également cylindriques (voy. la section
A); les piles sont monolithes du dessus de la base à l'astragale du
chapiteau.
 
[Illustration: Fig. 19 ]
 
Des maisons de la ville de Dol possèdent encore des piliers monolithes de granit et qui datent du XIII<sup>e</sup> siècle. Ils portent des poitraux de
bois et formaient portiques ou pieds-droits de boutiques. Voici (fig. 19)
deux de ces piliers. En A est la section du pilier A', en B celle du pilier
B'. Les architectes cherchaient toujours, avec raison, à éviter, dans la
taille de ces piliers isolés ou adossés, les arêtes vives, qui s'épaufrent
facilement et sont fort gênantes. Il suffit de s'être promené un jour de
foule dans la rue de Rivoli, à Paris, pour reconnaître les inconvénients
des arêtes vives laissées sur les piliers isolés: ce sont autant de lames blessantes
placées au-devant des passants. Admettant que cela soit monumental,
ce n'en est pas moins très-incommode.
 
Les architectes de la fin du XV<sup>e</sup> siècle ont non-seulement fait descendre
le long des piles les profils prismatiques des arêtes des voûtes, mais
encore ils se sont plu parfois à tordre ces profils en spirale, et à décorer
d'ornements sculptés les intervalles laissés entre les côtes. On voit un
curieux pilier ainsi taillé au fond du chevet de l'église de Saint-Séverin,
à Paris. On en voit un composé de gros boudins en spirale dans l'église
de Sainte-Croix de Provins. Ce sont là des fantaisies qui ne sauraient
servir d'exemples et que rien ne justifie. La province de Normandie
fournit plus qu'aucune autre ces étrangetés dues au caprice de l'artiste
qui, à bout de ressources, cherche dans son imagination des combinaisons
propres à surprendre le public. Les maîtres du moyen âge n'ont
jamais eu recours à ces bizarreries. Ce n'est qu'en Angleterre que dès le
XIII<sup>e</sup> siècle naît ce désir de produire des effets surprenants. Déjà dans
la cathédrale de Lincoln on voit des piliers de cette époque, composés
avec une recherche des petits effets que l'on ne trouve dans notre école
que beaucoup plus tard. Des exemples de piliers sont présentés dans les
articles ARCHITECTURE RELIGIEUSE, CATHÉDRALE, CONSTRUCTION et TRAVÉE.
 
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<span id="footnote3">[[#note3|3]] : Ces dessins nous ont été fournis par M. Gaucherel.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : Voy. CATHÉDRALE, fig. 2 et 4.