« Charlotte Corday (Michel Corday) » : différence entre les versions

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Charlotte, en effet, continuait d’en suivre passionnément l’essor. Depuis la mort affreuse d'Henri de Belzunce, nul autre excès n’était venu ébranler sa foi. Depuis bientôt deux ans, aucune nouvelle tache de sang n’avait souillé la Révolution. La Constituante poursuivait dans la paix son gigantesque travail de reconstruction. La foule avait ramené la famille royale de Versailles à Paris dans un cortège d’
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allégressed’allégresse. Et dans une apothéose, émouvante de simple grandeur, le 14 juillet 1790, à la fête de la Fédération, toutes les provinces avaient scellé au Champ-de-Mars l'Unité Nationale.
 
 
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Mais Mme de Bretteville s’était surtout attachée à sa jeune parente depuis la mort de sa fille unique, en 1788. Deux ans plus tard, elle avait
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avait perdu à court intervalle son père et son mari. Ce double deuil avait encore accru sa solitude et son besoin d’affection.
 
 
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Elle avait soixante-sept ans lorsque Charlotte vint lui demander asile. Elle était toute menue, au surplus voûtée par l’âge, et marquée de la petite vérole. Pieuse, attachée aux traditions, toujours coiffée d’un haut bonnet blanc, elle passait pour un peu naïve. Mais sa simplicité
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simplicité n’allait pas sans finesse. Car elle était avant tout très bonne, et son cœur lui donnait de l’esprit.
 
 
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Elle habitait 148, rue Saint-Jean, en face de la rue des Carmes, une maison en pierre apparente et de style gothique. En façade, le rez-de-chaussée, surmonté de deux étages trois
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trois fenêtres, était occupé par l’atelier d’un tourneur en bois, nommé Lunel. A droite, une porte basse et cintrée s’ouvrait sur un couloir où donnait l’escalier particulier de Mme de Bretteville. Cette allée débouchait sur une cour intérieure, pavée, étroite et longue, fermée à droite par un mur, entourée par la maison sur les trois autres côtés. Un enfoncement abritait une pompe.
 
 
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Cependant, Charlotte n’était pas mondaine. Elle n’avait, en particulier, aucun souci de la parure. Elle s’habillait, non pas sans goût, mais sans recherche. Dans la rue, elle laissait sa
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sa robe balayer le sol. Mais quand elle revêtait une tenue d’apparat, elle se transformait soudain, elle retrouvait une grâce fière, une allure souveraine.
 
 
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À soixante-six ans, Mme de Bretteville, qui avait longtemps vécu en tutelle sous le règne de
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de son père et de son mari, s’était trouvée brusquement à la tête d’une grosse fortune. Se jugeant incapable de la gérer, elle eut la sagesse de prendre un intendant, un homme de confiance.
 
 
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À l’unisson sur ce point avec Charlotte, il avait tout de suite fait alliance avec la jeune fille. Ils avaient même entre eux de petits secrets. Comme il tenait les cordons de la bourse,
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bourse, il était chargé de lui remettre une somme mensuelle pour ses bonnes œuvres. Mais le zèle charitable de Charlotte grandissait avec ses ressources. Avant la fin du mois il ne lui restait rien. Alors, Augustin Leclerc, tout en risquant de discrets reproches, lui consentait des avances à l’insu de la bonne dame.
 
 
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Charlotte avait d’autres informateurs. D’abord, à son retour à Caen, elle avait retrouvé Gustave Doulcet. Fidèle à ses doctrines, il avançait droit et vite. Depuis l’année précédente, où la Constituante avait partagé la France en départements, il présidait l’administration du Calvados.
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Il communiquait à la jeune fille des journaux et de ces innombrables brochures dont usaient les partis pour répandre leurs opinions et combattre leurs adversaires. Tous deux discutaient, s’écrivaient même, sur des sujets d’
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histoired’histoire, de politique, de littérature. Charlotte se plaisait à ce commerce. Et lui s’y plaisait plus encore. Certainement, s’il lui avait fallut prendre un mari, elle aurait choisi Bougon-Longrais.
 
 
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Et surtout, elle ne s’appartenait plus : elle s’était déjà donnée. Elle s’était consacrée à ses espérances.
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espérances. Elle n’attendait que le bonheur d'autrui. Les vrais événements de sa vie, c’étaient ceux de la vie publique. Les mots de Liberté, de Paix, de Justice, représentaient vraiment pour elle des êtres vivants, des êtres aimés ; ils étaient pour elle ce que sont pour une mère les noms de ses enfants. Sa plus pure tendresse n’allait point à ses proches ; jaillie du plus profond d’elle-même, elle s’élançait en jet d’eau, retombait loin d'elle, sur le monde.
 
 
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Hélas ! Sa foi subit très vite de durs assauts. La longue trêve qui, depuis près de deux ans, permettait
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permettait à la Constituante d’organiser en paix la liberté, avait cessé au moment même où Charlotte s’installait rue Saint-Jean. La fuite du roi, son arrestation à Varennes, en marquèrent la fin.
 
 
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À Caen même, on vivait dans une atmosphère agitée : tambours battant la générale, cloches sonnant en fête ou jetant le tocsin, salves d’artillerie, canon d’alarme. Le soir, la ville s’embrasait de feux de joie, d’illuminations plus ou moins imposées aux citadins. Les troubles étaient surtout provoqués par l’application de la nouvelle loi sur le clergé. Les prêtres constitutionnels, qui avaient accepté le serment, et les prêtres réfractaires, qui l’avaient refusé, gardaient les uns et les autres leurs fidèles. Et ces deux partis se heurtaient sans cesse.Parfois
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Parfois ils en venaient aux mains, comme dans cette échauffourée que l’on continua d'appeler à Caen l’affaire du 5 novembre. Ce jour-là, le curé réfractaire de Saint-Jean avait annoncé qu'il dirait la messe à neuf heures du matin. Les deux clans, réunis devant l’église, échangèrent des injures, puis des coups de feu. On releva un mort, des blessés. Les tambours battirent la générale, la panique gagna la ville, le bruit se répandit d’un complot contre-révolutionnaire et la garde nationale arrêta plus de quatre-vingts partisans du prêtre réfractaire, qui furent enfermés au Château.
 
 
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Elle s’affecta aussi vivement de l’affaire de Verson, quelques mois plus tard. Ce village, où sa tante possédait une maison, lui était familier. Elle écrivait à Mme Levaillant qu’on avait commis à Verson « toutes les abominations qu’on peut commettre ». Là encore, il s’agissait d’arrêter des prêtres non assermentés, coupables d’avoir dit la messe. Des gardes nationaux, entraînant avec eux des canons du Château, s'étaient chargés de l’expédition. Ils arrivèrent
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arrivèrent trop tard : les réfractaires avaient fui.
 
 
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Charlotte s’inquiétait, s’alarmait. De telles scènes ébranlaient sa foi. Le grand effort délibérationde
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libération devait-il nécessairement entraîner ces excès abominables ? Étaient-ils la rançon de la félicité promise ? Ses craintes étaient encore confuses, flottantes dans son esprit. Pour la première fois, elles se précisèrent le jour où elle les reconnut, explicites, formelles, dans une page qu’Augustin Leclerc lui mit sous les yeux.
 
 
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Les scrupules de ce vieillard de quatre vingts ans étaient pourtant pathétiques et dignes de respect. Il avait travaillé avec les grands précurseurs. La Révolution était un peu son œuvre. En la voyant glisser dans le sang, il se demandait s’il n’en était pas en partie responsable. « J’ai médité toute ma vie les idées que vous venez d’appliquer à la régénération du royaume, dans un temps où elles ne présentaient que la séduction d’un vœu consolant.. Suis-je de ceux qui, en éprouvant une indignation généreuse contre le pouvoir arbitraire, ont peut-être donné des armes à la licence ? » Sentant
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Sentant le péril plus vivement que tout autre, il revendiquait le droit de jeter l’alarme: « Prêt à descendre dans la nuit du tombeau, prêt à quitter cette famille immense dont j'ai ardemment désiré le bonheur, que vois-je autour de moi? Des troubles religieux, des dissensions civiles, un gouvernement esclave de la tyrannie populaire… »
 
 
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Le 16 août 1792, on venait d’apprendre à Caen que les Tuileries étaient prises et que la famille royale était enfermée au Temple, lorsque la nouvelle se répandit par la ville de l’arrestation du procureur-général-syndic du département, M. Bayeux. Ancien secrétaire de Necker, avocat réputé, c’était un homme doux et
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et fin, honnête et lettré ; il avait publié plusieurs Essais et traduit Ovide.
 
 
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Mais les circonstances servaient ses ennemis. La Révolution était menacée dans son existence : les souverains d'Autriche et de Prusse, unis aux émigrés, poussaient leurs troupes vers ses frontières. La Législative, qui succédait à la Constituante, avait « déclaré la guerre aux rois et la paix aux nations. » Partout, au Bruit du canon d’alarme, parmi les roulements de la générale, ce n’étaient que levées, appels, enrôlements, an nom de « la patrie en danger ». Mais
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Mais à la fin d’août, on apprit que les armées ennemies avaient pris Longwy et menaçaient Verdun. Aussitôt retentit le cri de la panique : « Nous sommes trahis! » Affolée de haine, hallucinée de complots, la foule aveugle était désormais prête à toutes les violences.
 
 
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En même temps que ces atroces nouvelles, parvenait à Caen une circulaire du Comité de surveillance de la Commune. Elle invitait la province
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province à imiter Paris : « La Commune de Paris se hâte d’informer ses frères des départements qu’une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le peuple ; actes de justice indispensables pour contenir les traîtres par la terreur. Sans doute la nation entière s’empressera d’adopter ce moyen si nécessaire de salut public. »
 
 
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Bayeux comprit. Il resta très ferme. Son petit garçon, âgé de douze ans, vint se jeter dans ses bras. Il lui remit les bijoux qu’il portait et le pressa de s'éloigner. Déjà, la horde déferlait sur lui. Blessé d’un coup de baïonnette dans les reins, d’un coup de feu à la tête, Il s’écroula au seuil d’une maison. La porte était entr’ouverte. C’était peut-être le salut. Mais une servante la ferma. Il acheva de
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de mourir. Un tambour-major, nommé Briant, lui taillada le visage à coups de sabre. D’autres lui coupèrent la tête et la promenèrent dans la ville au bout d’un bâton.
 
 
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Il est vrai qu’en ce mois de septembre 1792, Gustave Doulcet, nommé député à la Convention, s’apprêtait à partir pour Paris ; mais elle gardait son ami Bougon-Longrais, qui succédait à l’infortuné Bayeux comme procureur-général-syndic et qui, de ce poste, suivrait de plus près que jamais les événements. Enfin, près d'elle, dans l’ombre, veillait le fidèle Augustin Leclerc, actif, agile, aux aguets. Tous deux nourrissaient les mêmes espoirs et déploraient les mêmes violences. ils exécraient les mêmes monstres
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mêmes monstres et vénéraient les mêmes dieux. Leurs haines comme leurs enthousiasmes, à l’unisson, se renforçaient mutuellement.
 
 
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Elle l’imaginait difforme, hideux, vivant dans une cave comme un hibou dans son trou, n’en sortant que pour hurler à la mort dans les clubs des Jacobins, des Cordeliers. Bref, elle ne voyait confusément en lui qu’un agité, un
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un énergumène, un grotesque. Après les massacres des prisons, il lui apparaissait pour la première fois tragique.
 
 
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Très vite, l’événement lui apporte une preuve nouvelle de la responsabilité de Marat. Le publiciste, l’orateur de club, le commissaire à la Commune, vient d’être élu député à la Convention. Le 21 septembre 92, la nouvelle Assemblée a proclamé la République. Et, dès le 25, elle se tourne tout entière, poings brandis, contre « l’ami du peuple ». Un député l’accuse d’avoir provoqué les massacres, d’aspirer à la dictature. Robespierre et Danton eux-mêmes le désavouent. Il monte à la tribune : « J’ai dans cette assemblée un grand nombre d’ennemis personnels. » Un cri jaillit, unanime : «  Tous ! Tous ! » Imperturbable, il veut poursuivre. Debout, les députés l’accablent d’invectives : « À bas de la tribune ! —
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Atribune ! — À l’Abbaye ! — AÀ la guillotine ! » Mais l’homme s’obstine et tient tête. « Oui, dit-il, parfois la dictature s’impose. » Il justifie les massacres : « Le peuple, obéissant à ma voix, a sauvé la patrie, en se faisant dictateur lui-même pour se débarrasser des traîtres. » Et comme le tumulte continue, il brandit un pistolet, le porte à sa tempe. Il se tuera au pied de la tribune si on le décrète d’accusation. Écœurée, l’Assemblée passe outre. Par son mépris, elle marque sa réprobation. Charlotte n’oubliera plus cette muette sentence.
 
 
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Elle guette Marat pendant le procès de Louis XVI devant la Convention, en janvier 93. Certes, Charlotte n’est pas tendre pour le roi, ni pour le pouvoir royal. Elle les juge en maximes rigoureuses, d’une frappe cornélienne, dans ces controverses politiques où elle se jette par sursauts. « Un roi faible ne peut pas être bon… Les rois sont faits pour les peuples, et non les peuples pour les rois. » Mais l’exécution de Louis XVI lui apparaît comme une inutile cruauté, le symbole même de
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de ces excès qui défigurent à ses yeux la Révolution, celle dont elle a vu briller la figure radieuse dans la nuit du 4 août.
 
 
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Cette fois, Marat renonce à toute mise en scène,
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scène. Il ne braque point de pistolet vers sa tempe. Et l’Assemblée vote le décret d’accusation. Mais aussitôt, le public exalté des tribunes proteste et vocifère. De plus en plus, il tend à se mêler aux débats. Tour à tour, il acclame, il injurie. A plusieurs reprises, des députés ont voulu sévir contre ses fureurs. Marat est l’idole de ces fanatiques. Aujourd’hui, ils descendent dans la salle, entourent « l’ami du peuple », s’opposent à son arrestation, le prennent sous leur sauvegarde.
 
 
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La foule qui bat les murs du Palais de Justice l’accueille à sa sortie d’une clameur unanime, le couronne de chêne et de laurier, puis chantant, dansant, le porte en triomphe à la Convention. Le cortège aux bras nus, hérissé de piques et coiffé de bonnets phrygiens, défile devant l’Assemblée silencieuse. Un sapeur, nommé Rocher, brandissant sa hache, déclare à la barre qu’on devra faire tomber sa tête avant d’avoir celle de « l’ami du
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du peuple ». Marat, à la tribune, exalte son innocence et savoure l’apothéose.
 
 
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Elle croit le bien connaître, depuis sept mois qu’elle instruit sourdement son procès. Une phrase lancée par Vergniaud, le plus éloquent des Girondins, la poursuit : « Marat, tout dégouttant de calomnie, de fiel et de sang, élevat
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élevat sa tête audacieuse au-dessus des lois. » C’est ainsi qu'elle le voit.
 
 
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De lui, tout irrite la jeune fille : ce titre de « médecin des incurables » qu’il se vante d’
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avoird’avoir reçu quand il donnait des consultations ; ce nom qu’il s’est décerné lui-même, ce nom dont il signe, « Marat, l’ami du peuple », comme s'’il était l’ami par excellence, le seul ami du peuple, comme s’il exerçait un privilège !
 
 
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Mais, dira-t-on encore, disgracié par la nature, ne doit-il pas compatir mieux qu’un autre aux souffrances des humbles, à l’éternelle injustice dont ils sont victimes ? Il est sincère.
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sincère. De plus, il est désintéressé. Qu’importe ? Il est néfaste.
 
 
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Le 2 avril, le Directoire du département avait enregistré un décret de la Convention relatif aux prêtres réfractaires : tous ceux qui seraient trouvés sur le territoire français huit jours après la publication de la loi seraient punis de mort. L’
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abbéL’abbé Gombault, ancien curé de Saint-Gilles, fut arrêté le 3, près de la Délivrance. Un tribunal, composé d'officiers de la garde nationale, le jugea sur-le-champ. Plusieurs d’entre eux prirent la défense de l’accusé : la loi, applicable huit jours après sa publication, n’était enregistrée que de la veille et n’était même pas encore affichée. Néanmoins, après de pénibles pourparlers, l’ancien curé de Saint-Gilles fut condamné à mort. Le 5, sur la place Saint-Gilles, la guillotine fut dressée.
 
 
La machine nouvelle inspirait encore une ignoble curiosité. Adoptée par la Législative en mars 92, elle avait fonctionné pour la première fois à Caen en novembre de la même année, dans des circonstances particulièrement atroces. Dans le faubourg de Vauxcelles, les époux Delorme, au cours d’une rixe, avaient tué leur voisin ivre. La populace réclama leur jugement sans délai. Et dès qu'ils furent condamnés à mort, elle exigea l’exécution immédiate. Dans son impatience de voir fonctionner la guillotine, elle contraignit le bourreau, malgré sa résistance, à monter sa machine. Elle força un coutelier à en aiguiser le tranchant. En vain, le tribunal objectait que les époux Delorme s'étaient pourvus en cassation.
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cassation. La foule, menaçante, n'écoutait rien. Les juges, pour se couvrir, durent persuader les deux condamnés de renoncer à leur pourvoi. Revêtus d’une chemise rouge, ils furent exécutés tous deux, bien que la femme se fût offerte à mourir la première dans l’espoir que son mari serait gracié.
 
 
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Charlotte avait passionnément suivi le rapide procès de l’abbé Gombault. Elle s’y était d’autant plus intéressée qu’elle connaissait l’un des juges, le brasseur Lacouture, chef de bataillon de la Garde nationale, l’un de ceux qui avaient pris le plus courageusement le parti de l’accusé. Il était son proche voisin. La maison Lacouture, située derrière celle de Mme de Bretteville, n’en était séparée que par une cour étroite. L’une des deux fenêtres de la chambre de Charlotte donnait sur cette courette. Et la jeune fille avait même pris l’habitude d’écouter de là, vers le soir, les fils Lacouture jouer du violon…
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L’affreuse disgrâce de sa personne, le désordre voulu de sa tenue, la fureur délatrice de
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de son langage et de son journal, tout le désignait d’abord à l’attention. Il était le plus voyant. De loin, il masquait de sa silhouette inhumaine deux hommes qui pourtant le dominaient, l’un tumultueux, l’autre glacé Danton, Robespierre.
 
 
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Ces luttes, que déploraient dans leurs Adresses les magistrats du Calvados, mettaient aux prises, au sein de la Convention, les Montagnards et les Girondins. On avait d’abord donné plaisamment, dans la nouvelle Assemblée, le nom de Montagnards aux fougueux députés qui siégeaient sur les plus hauts gradins à la gauche du président. Ils l’avaient accepté et pris pour enseigne. Ils entendaient pousser à fond la Révolution, la débarrasser de tous ses ennemis, au dedans comme au dehors, et ils soutenaient la nécessité de la violence. Un
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Un groupe de députés du Sud-Ouest, la Gironde, existait déjà dans la Législative. Leur parti était revenu plus nombreux à la Convention. Et, bien qu’ils fussent désormais recrutés dans toutes les régions, on continuait de les appeler les Girondins. Ils tenaient le pouvoir. Ils auraient voulu fixer la Révolution, l’organiser dans la paix.
 
 
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Moins séparés par les doctrines que par les moyens d’en assurer le triomphe, les Girondins et les Montagnards s’entre-déchiraient. Éternel conflit entre les partisans de la réforme et ceux de la violence. Les Girondins accusaient les Montagnards de pousser le pays vers la dictature ou l’anarchie. La Montagne incriminait la Gironde de fédéralisme. Par une perversion fréquente, le mot avait changé de sens. On était loin des fêtes grandioses de 1790, qui célébraient la touchante union des provinces, la Fédération. D’après les Montagnards, les Girondins voulaient créer de petites républiques provinciales, dissocier la patrie. En
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En apparence, les Girondins n'avaient pas de plus furieux adversaire que Marat. Il n’était pas seulement, selon l’expression de Charlotte, « à la cime de la Montagne », il était aussi l’orateur adoré des hurlantes, des frénétiques tribunes. Il était le porte-parole de forces extérieures, plus exaltées, dont il devait prendre le ton, pour rester leur chef : les Sections armées, les Clubs des Jacobins et des Cordeliers, et surtout la Commune de Paris.
 
 
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Mais, dans la cour du Carrousel, Hanriot, à cheval, se rue sur le cortège. Il y a derrière lui
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lui des milliers d'hommes en armes, cent cinquante canons, mèche allumée. Le président lui ordonne de livrer passage. La voix tonnante, Hanriot tire son sabre, enfonce son chapeau : « Vous n’avez pas d’ordre à donner. Nous ne sommes pas ici pour entendre des phrases, mais pour nous faire livrer les traîtres. Canonniers, à vos pièces! »
 
 
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Charlotte connut le 4 juin ce coup de force sans précédent. L’Assemblée avait délibéré sous
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sous le canon. C’en était fait de la Représentation nationale, de la Loi, de la Liberté, de la Paix. Marat précipitait bien le pays vers l’anarchie, vers d'innombrables massacres. Et, ce jour-là, elle sentit prendre corps et tressaillir de vie l’idée qui sourdement, depuis des mois, depuis septembre, germait et se développait en elle : immoler Marat.
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Jusqu'au dernier moment, ils avaient essayé d’empêcher l'attentat. Dans la nuit du 30 au 31 mai, ils décrétaient le principe d’une force armée, capable de faire respecter au besoin la représentation nationale. Et ils expédiaient aussitôt à Paris dix commissaires, chargés d’informer la Convention de leur décret. Leur nouvelle Adresse s’achevait par ces mots : « Nous déclarons une guerre à mort aux anarchistes, aux proscripteurs et aux factieux, et nous
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nous ne mettrons bas les armes qu'après les avoir fait rentrer dans le néant. » Ces dix commissaires arrivèrent trop tard. Le drame était joué.
 
 
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Charlotte partageait l’indignation de Bougon-Longrais
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Longrais et de ses collègues, mais non pas leur confiance. Pour elle, l'expédition ne serait pas si facile, ne prendrait pas l’allure d’une marche triomphale. Elle prévoyait des hécatombes nouvelles. Toujours la guerre civile. Elle n’en voulait plus.
 
 
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Les Girondins à Caen… On imagine à grand peine combien Charlotte fut bouleversée par cette nouvelle. Elle allait voir ces hommes pour
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pour qui elle tremblait depuis des mois, et dont la défaite avait fixé sa résolution.
 
 
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Ils arrivèrent à partir du 9 juin, soit par petits
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petits groupes, soit isolément. Quelques-uns n'avaient pu s'échapper de Paris qu’à la faveur d’un déguisement. Tous se présentaient le premier jour à l’Assemblée de résistance, où ils se contentaient de commenter brièvement la situation politique. Un certain nombre d’entre eux continuèrent d'assister aux séances, mais ils y prirent rarement la parole. Jamais aucun d’eux ne prononça de discours public. Par une sorte de discrétion qui était bien dans leur manière, ils se gardaient d’intervenir dans un mouvement qui existait à leur arrivée. Ils entendaient en laisser la conduite à ceux qui l’avait créé.