« Husserl. Sa critique du psychologisme et sa conception d’une Logique pure » : différence entre les versions

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L’explication des règles de la connaissance peut être poursuivie et présentée sans aucun doute de plus de deux façons ; mais, dès que l’on se croit autorisé à simplifier, il est tout de même possible de concevoir que c’est dans l’une ou l’autre des deux grandes directions suivantes qu’elle peut être engagée. Ou bien elle se donne pour fin essentielle de définir les lois idéales de la pensée logique, d’en développer rigoureusement la signification régulatrice et impérative, sans avoir égard aux conditions de fait qui ont porté les esprits à en prendre conscience, même peut-être sans avoir égard aux transactions qu’elles sont plus ou moins obligées de consentir pour s’appliquer à tels ou tels objets ; ou bien au contraire, dépouillant la pensée logique de l’apparente rigueur de ses formes propres, elle tendra surtout à la replacer dans l’ensemble des événements qui composent la vie mentale, à la prendre dans sa signification réelle, mêlée de contingences et de compromissions, à la traiter en tout cas comme un fait, sujet aux mêmes recherches génétiques et aux mêmes déterminations causales que les autres faits psychologiques. La première de ces deux façons est celle qui est la plus fidèle à la tradition ; c’est qu’en effet elle est celle qui fut pour les philosophes la plus naturelle et pendant un temps la seule possible à pratiquer. La pensée logique, par ce qu’elle a de régulier et de clair, s’offre d’elle-même à la réflexion ; elle accomplit ses démarches dans la lumière ; elle est incomparablement plus aisée à saisir que la plupart des états psychologiques, qui s’appellent, se combinent, se déterminent selon des affinités imprévues et obscures ; et c’est précisément parce qu’elle était la plus claire, la plus capable d’être fixée, qu’elle a imposé longtemps le type auquel on ramenait bon gré mal gré les autres formes de la vie mentale. Cependant, à mesure que la psychologie est devenue davantage une science d’observation positive et d’expérience, non seulement elle a dissipé de plus en plus le préjugé d’une vie mentale qui ne serait guère qu’une logique réalisée, mais encore elle a été portée à s’attribuer le pouvoir de ramener aux conditions du milieu psychologique la structure et le fonctionnement de la pensée logique. Par là, du reste, elle a souvent prétendu ne faire que manifester d’une façon particulière sa souveraineté, justifiée par le principe, qu’il n’est rien pour nous qui nequie soit, directement ou indirectement, une donnée de la conscience.
 
Cette prétention de la psychologie à être toute la philosophie ou du moins l’essentiel de la philosophie a reçu dans ces derniers temps, principalement en Allemagne, l’appellation de « Psychologisme » : appellation dont je ne saurais dire qui l’a inventée — l’inventeur fut sans doute quelqu’un que la prétention offensait ; et ce n’est pas la seule fois qu’une doctrine a reçu de ses adversaires le nom attaché à sa notoriété ; — appellation qui, en tout cas convient parfaitement, dès qu’à l’usage s’efface le souvenir de la petite intention malveillante qui a pu l’inspirer. Cependant, malgré la force croissante que lui conféraient les conquêtes de la Psychologie, le psychologisme devait se heurter à, ce qui, dans la connaissance authentique des choses, en constitue l’objectivité, impossible à résoudre, semble-t-il, en simples états ou données de la conscience d’où, par action, un effort en vue de reconstituer avec une rigueur plus systématique la logique indépendamment de la psychologie, et pour les conceptions issues de cet effort le nom de « Logicisme ». « Psychologisme » et « Logicisme », sont des termes nouveaux pour d’assez anciennes choses. Le Logicisme, je viens de le dire, a été, comme doctrine ou comme tendance, inhérent aux philosophies rationalistes et même parfois aux autres ; quant au Psychologisme, n’est-il pas, depuis Hume et même depuis Berkeley ; la caractéristique de l’École anglaise, très portée, comme on sait, à ne voir dans les rapports logiques que des schèmes, fictifs dans leur abstraction, de relations mentales concrètes ? N’est-il pas la disposition la plus foncière du récent pragmatisme ? Cependant c’est surtout en Allemagne et en Autriche que Psychologisme et Logicisme se sont rencontrés sous cette forme expresse. Constitué par Brentano, le Psychologisme est représenté, avec des nuances de pensée d’ailleurs différentes, par des philosophes tels que Marty, Stumpf, Lipps, Uphues, etc. ; il a des affinités étroites avec l’empirio-criticisme d’Avénarius, avec les analyses et les vues d’Ernest Mach, avec la philosophie immanente de Schuppe et de Rehmke. Contre lui en revanche se dresse le Logicisme des néo-kantiens, d’un Hermann Cohen par exemple, et de ses disciples, ou le Logicisme formaliste d’un Husserl. C’est de ce dernier que je dois vous entretenir : je ne pourrai guère, dans les limites de cette leçon, vous exposer que les préliminaires et les idées directrices d’une œuvre qui du reste n’a mis son plan à exécution que dans des recherches partielles, assez difficiles à suivre dans le détail. Mais si je dois, pour réparer en quelque mesure cette lacune, rendre hommage à l’ingéniosité très subtile et souvent vigoureuse que Husserl a apportée dans ces recherches, j’estime cependant que sa critique du Psychologisme et sa conception d’une logique pure gardent une valeur propre en même temps qu’une signification plus générale et plus accessible.
 
Husserl ne saurait pécher par l’ignorance de la doctrine qu’il combat ; car cette doctrine, il l’avait un moment adoptée dans sa Philosophie de l’arithmétique, dédiée à « son maître, M. Brentano » (1891). Il était naturellement parti, nous avoue-t-il lui-même, de l’opinion régnante d’après laquelle c’est de la psychologie que la logique en général, et même la logique déductive, doit attendre son explication philosophique. De fait, tant qu’il s’était agi uniquement de l’origine des notions mathématiques ou de la formation des méthodes pratiques, l’analyse psychologique avait paru aboutir à des résultats clairs et féconds. Mais dès qu’il avait fallu passer des combinaisons psychologiques de l’esprit à l’unité logique du contenu de la pensée, elle s’était montrée incapable de continuité et de rigueur. Dès lors il devenait indispensable de se demander si l’objectivité de la mathématique et de toute science en général est compatible avec une explication purement psychologique de la pensée logique.
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Dès le début de ses « Logische Untersuchungen » (Erster Theil : Prolegomena zur reinen Logik, 1900), Husserl pose en ces termes les questions controversées sur l’objet, la nature et les procédés de la Logique : La Logique est-elle une discipline théorique ou un art pratique ? Est-elle une science indépendante des autres sciences, en particulier de la psychologie ou de la métaphysique ? Est-elle une discipline qui n’a affaire qu’à la simple forme de la connaissance, sans souci de ce qui en est la matière ? A-t-elle le caractère d’une discipline démonstrative a priori, ou bien celui d’une discipline empirique et inductive ? Il y a entre ces questions diverses une solidarité telle que quiconque résout l’une d’elles dans un sens, décide par là même du sens dans lequel il doit résoudre les autres.
 
Pour justifier le sens dans lequel il les résout, quant à, lui, Husserl relève surtout le caractère systématique de la science, qui ne se borne pas à accumuler des connaissances isolées, mais qui ne transforme des connaissances en vérités, que tout autant qu’elle les lie par des raisons susceptibles de constituer une unité théorique ; ni la suite des raisons n’est arbitraire, ni la valeur des raisons n’est spéciale à l’objet qu’elles comprennent. Ce sont là des caractères qui ne nous frappent plus autant qu’ils le devraient, parce que notre pratique journalière de la science les enveloppe, mais qui n’en représentent pas moins les conditions constitutives de la science. Il doit y avoir pour déterminer ces conditions, pour expliquer la possibilité de la science en général, une science d’une certaine sorte, qui soit une doctrine de la science, une Wissenschaftslehre. Et cette doctrine de la science ne peut en un sens être que normative : car pour savoir si une science est vraiment une science, si une méthode est vraiment une méthode, il faut les comparer l’une et l’autre à la fin qu’elles doivent réaliser. Or c’est à la Logique qu’il appartient d’exposer ce qui constitue l’idée de la science. Cependant l’expression de « normative » ne caractérise qu’imparfaitement la Logique et peut même contribuer à en altérer la notion ; car elle peut laisser entendre que, posant naturellement des règles, la Logique est un art pratique qui se suffit comme tel. Or des propositions normatives ne sont véritablement justifiées que si elles se fondent sur des propositions théoriques dont elles sont comme des applications à certains objets : les lois de la Logique, idéales si l’on veut, n’en ont pas moins une réalité et une valeur indépendantes de toute application aux choses.
 
Mais les propositions théoriques fondamentales sur lesquelles repose la Logique conçue comme discipline normative, ne peuvent-elles et ne doivent-elles pas être fournies par la psychologie ? C’est à l’examen de cette question que Husserl consacre la plus grande part de ses prolégomènes à la logique pure ; et non seulement il combat le psychologisme qui se donne ouvertement comme tel ; mais encore il s’applique à dépister le psychologisme modeste ou honteux qui se réfugie dans les parties obscures des doctrines ; il a incontestablement le flair subtil et l’attaque vigoureuse, et l’on dirait bien que certains des coups qu’il porte sont décisifs.